Chapitre 3

Je n'ai jamais aimé l'eau. D'aussi loin que je me souvienne, j'en ai toujours eu une peur bleue. Maman m'a raconté que quand j'étais encore bébé, dès que je devais prendre un bain, je hurlais si fort qu'on m'entendait jusque dans les champs.

En grandissant, ma peur de l'eau est devenue plus forte. Les enfants allaient jouer dans le grand étang pendant que leurs mères les surveillaient en lavant le linge, mais moi je ne m'approchais pas. J'occupais mes journées en jouant dans la forêt où en écoutant les histoires de Magda. 

Je me souviens avec précision d'un jour où j'aidais Magda dans le potager. C'était une de ces journées d'été où l'air était trop lourd et le soleil trop fort. Je tentais tant bien que mal d'arracher avec elle les mauvaises herbes malgré la transpiration qui me piquait les yeux quand Philippe a débarqué, accompagné de sa bande d'amis stupides. On les entendaient arriver de loin, avec leurs gros rires gras. Eux contrairement à la plupart des villageois ne travaillaient pas dans les champs. Philippe qui suivait la formation des guerriers était donc dispensé du travail aux champs.

A côté de moi, Magda qui les avait aussi entendu souffla de contrariété. Pour autant, elle ne fit pas mine de vouloir leur prêter la moindre attention et continua, comme si la présence de la bande lui était totalement étrangère. Je décidai de l'imiter. Je serai donc fort ma poupée et continuai à arracher les herbes. Mais vexé qu'on ne lui prête aucune attention, Philippe s'énerva, encouragé par ses larbins.

- La vieille ! Lève toi donc et donne à ton futur chef le respect qu'il mérite !

D'appréhension, je me figeai. Il n'était un secret pour personne que Philippe partageait avec mon père son caractère violent et impulsif. J'avais beau être encore très jeune, je connaissais ses accès de colère et les craignait. Mais contrairement à moi, Magda ne semblait pas inquiète, elle ricana même et sans lever la tête répliqua

- Futur chef ? Pauvre enfant, tu n'atteindra pas la trentaine avec ta stupidité. Tu ne seras le chef de personne ici, tu peux me croire.

- J'imagine que tu l'as vu dans tes cartes ? Se moqua-t-il en ricanant.

- Pas besoin de cartes pour constater à quel point tu es simple d'esprit.

Derrière moi, je sentis Philippe se tendre à l'entente de cette insulte. Je savais exactement ce qu'il pensait, il était humilié. La sorcière l'avait humilié devant ses amis et pour cela elle devait payer.Mais bien sûre on ne fait pas de mal à une vieille dame respectée de tous.

Par contre à une petite fille, une petite fille qui ne sait pas nager, on peut essayer .

- Louise regarde moi.

En tremblant, je relevai la tête, grosse erreur. De cette manière, il pouvait faire me menacer à sa guise.

- Approche, dit-il en me tendant la main.

Je regardai Magda qui avait enfin relevé la tête et qui avait enfin l'air paniqué. Ca n'augurait rien de bon pour la suite. Mais pour l'avoir déjà expérimenté, je savais ce qui m'attendrait si jamais j'osais lui désobéir. Dans les deux cas, Magda ne pourrait rien pour moi.

-Philippe je t'en prie, la petite n'a rien f...

- Tais-toi ! Louise vient ici, aboya-t'-il plus aggressivement.

Je m'approchai lentement, serrant toujours contre moi ma poupée et lui attrapai la main. Elle était chaude et enveloppait complètement la mienne, bien plus petite. Elle aurait pu passer pour rassurante si elle n'avait pas serré aussi fort mes doigts entre les siens.

- Tu es une petite fille très sage, c'est bien.

Je le regardai sans comprendre, il semblait si énervé la seconde d'avant et maintenant, il était si calme. Mais je n'eus pas le temps de m'appesantir plus sur le sujet, il m'attrapa brusquement, me jeta sur son épaule et se mit à courir en riant.

J'entendais derrière moi en échos à sa propre hilarité, celles de ses amis et plus loin encore, les cris de Magda qui le suppliait de me lâcher, prétextant que je ne savais pas nager.

C'est à ce moment précis que je compris, je compris qu'on se dirigeait tout droit vers l'étang et qu'il allait me lâcher dedans, Philippe, mon frère.

Je ne pense pas, même avec le recul n'avoir jamais éprouvé pareil effroi.  Je sentis mon coeur manquer un battement et mon sang se glacer dans mes veines. L'espace d'une seconde, je ne fus plus capable ni de parler, ni même de bouger. 

Puis quand je pris pleinement conscience que ce cauchemar ne se terminerait pas par un brusque réveil dans mon lit, je hurlai de toutes mes forces et me débattis comme un diable. Mais à cette heure ci, ils travaillaient tous aux champs, hommes comme femmes. Le village était désert. 

Le moment où il me lâcha dans l'étang, que ma gorge et mes poumons s'emplir d'eau et que ma vue se brouilla, c'est sans la moindre hésitation le moment que je qualifierai de plus traumatisant. Nous étions en automne, l'eau de la mare était glacée, sombre et remplie de vase qui m'entraînait vers le fond. J'avais de plus en plus de mal à remonter à la surface et à respirer. A chaque remontées à la surface, je voyais mon frère et ses amis rirent depuis la rive.

Il allait me laisser me noyer, il allait me laisser mourir. 

Je hurlais, encore et encore, au plus je buvais la tasse et au plus j'avais de mal à remonter, mes hurlements devenaient moins puissants et je sentais l'espoir d'en réchapper m'abandonner. J'avais compris depuis le début qu'ils ne feraient rien pour me sortir de là. Et personne d'autre n'entendait...

Je ne sais comment, dans mon désespoir, j'en suis même venue à l'appeler lui, à l'aide.

Je hurlai son nom.

Son nom ?

J'inspire pour la dernière fois de l'air et j'ouvre d'un grand coup les yeux.

- Maman !

Mon pouls bat vite, ma respiration est courte, je pourrais presque sentir l'eau qui coule à l'intérieur.

- Tu peux appeler ta mère autant que tu veux, elle ne viendra pas.

Complètement perdue, je regarde partout autour de moi et ne reconnaissant pas l'endroit, je me tourne vers l'homme de l'autre soir. Il se tient debout devant ma couche, un seau vide à la main et un sourire sadique sur les lèvres.

- Ça t'a fait du bien ? Tu gesticulais un peu trop à mon goût.

J'essaie de comprendre ce qu'il me raconte, je dormais sans couverture et l'eau glacée qu'il m'a jeté dessus me fait trembler de froid.

- Qu...quoi...

- Non, j'ai dû me tromper, l'eau du lac ne t'a pas bien réveillée, tu veux que je recommence ?

Je rencontre son regard, il est hilare et moi je suis gelée. Je ne lui répond rien mais lui offre mon regard le plus noir pour qu'il puisse bien saisir l'ampleur de ma haine pour lui.

- Quel regard ! C'est cette nuit que tu es devenue courageuse ?

- Je n'ai pas peur de vous.

En une seconde, il s'abaisse colle son visage face au mien, attrape fermement mon menton entre ses doigts et me chuchote.

- Tu mens, tu trembles, tu es terrorisée alors avoue le.

- Non !

- Stupide humaine, dit-il en se retournant, blasé, tu n'as pas compris que plus tu résistes et plus tu souffriras ? Lève toi maintenant, je veux arriver avant que le château ne se réveille.

- Je...

- Quoi qu'est-ce ce que tu n'as pas compris dans la phrase "Lève-toi" ?

- J'ai faim...

- Et qu'est-ce que j'y peux moi ?

- Je voudrais manger, rajoutais-je pour qu'il comprenne.

- J'avais saisi et moi je te dis que tu peux encore attendre longtemps, tu mangeras quand on arrivera.

Et sur ces derniers mots il sort, me laissant seule rassembler toutes ses affaires.
Je me lève donc et commence à ronchonner. Je déteste ce rêve et je déteste tout autant me faire réveiller de cette manière.

- Marmonne encore une fois et je te coupe la langue.

Je ne l'ai même pas entendu revenir. Je sursaute comme si j'avais été prise en faute, ce qu'il remarque et qui semble l'amuser. Un sourire nait sur ses lèvres ce qui, j'ai l'impression, le rend encore plus inhumain. Mais prenant ça pour un progrès, je souris à mon tour. Très vite, il reprend son sérieux et me dit

- Dépêche toi.

Il s'apprête à ressortir quand je m'exclame

- Où est mon frère ?

- À quoi cela t'avancerait-t-il de le savoir ? Me demande-t-il sans se retourner.

- Je...je veux juste savoir, être sur qu'il va bien...

- Et bien je te le dis, il va bien. Mais n'oublie pas que son sort dépend uniquement de toi et de ta conduite.

- Je sais.

- Alors tout est parfait, s'exclame-t-il joyeux en s'en allant.

Sans bouger, je fixe l'endroit par lequel il a disparut et une fois bien certaine qu'il ne peut plus m'entendre, je souffle et marmonne

- Stupide méchant...et je marmonne si je veux.

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