22. Susceptible confiance

— Qui êtes-vous ? tonitrua Alban.

Le cri de détresse de la jeune femme le surprit. Recroquevillée sur la jument de la princesse, la frêle brune, aux longues tresses raides et au visage somme toute banal, se cramponna à sa selle et se mit à balbutier :

— Je... Je suis... La... Une amie de... Elle m'a demandé de vous... dire...

Alban, conscient d'avoir été brutal, baissa d'un ton :

— Je ne vais pas vous faire de mal, ne tremblez donc pas ! Vous êtes là de la part de Kristina, n'est-ce pas ?

Ladite amie fronça les sourcils et reprit, son hésitation soudain envolée :

— Oui, je viens de la part de Son Altesse.

— Pourquoi n'est-elle pas là ?

Son ton ronchon dut l'agacer, car elle se redressa et endossa une attitude presque aussi hautaine que la princesse :

— Elle est retenue au château pour des affaires qui requièrent toute son attention.

— Je vois... Elle m'a donc fait me déplacer pour rien.

La déception le prenait à la gorge. Ce n'est pas cette jouvencelle, aussi mignonne pouvait-elle être, qu'il espérait voir. Il se raidit. Il savait jouer avec les imprévus, d'habitude. Pourquoi prenait-il si mal celui-là ? Il émit un grognement. Cette fichue princesse avait le don d'intensifier toutes ses frustrations.

— Elle m'a envoyée vous prévenir !

— Je devrais la remercier ? ironisa-t-il.

La messagère fit mine de croiser les bras, mais n'osa pas lâcher ses rênes. Avec un brin de pitié pour cette jeune qui visiblement n'avait pas demandé à être mise dans cette situation, il relança sans animosité :

— Combien de temps y sera-t-elle retenue ?

— Un mois, peut-être plus. Elle vous rejoindra ici, aux rendez- vous prévus, aussitôt qu'elle le pourra, elle vous l'assure.

L'air lui manqua soudain. Un mois ? Diable, ça lui paraissait long.

— Et je suis censé patienter sagement, n'est-ce pas ?

— Idéalement.

Il souffla du nez, ahuri. Quel culot elle avait, cette princesse ! Il s'apprêta à dire que sa vie ne tournait pas qu'autour d'elle et qu'il n'avait pas le luxe d'ainsi perdre son temps, mais il se rappela que son frère et son unique ami étaient partis, que par conséquent personne ne l'attendait à la maison, et qu'il ne pouvait donner de cours à aucun client au vu de sa blessure encore douloureuse. Seul un repos ferme pouvait le guérir plus rapidement et il n'avait pas ce luxe. Il préférait de loin être collé à Kristina, quitte à sentir leurs vêtements respectifs frotter contre les bords de sa plaie à peine refermée, que de ne rien faire. Au moins, il avait l'impression d'avancer et s'occupait l'esprit, agréablement même, souvent.

Leur rapprochement l'avait-elle fait fuir ? Usait-elle de prétextes pour ne plus le voir ? Allait-elle l'abandonner, comme tous les autres ? Il ne le permettrait pas.

— Soit, lâcha-t-il. Arriverez-vous à rentrer seule ?

— Vous approcheriez du château pour me raccompagner ? s'étonna la dame.

— Ma foi, oui !

Il pressa les talons. Lorsqu'Önskan frôla Silkë, ils s'ébrouèrent. Leur gaieté déstabilisa la jeune femme, qui gémit en fermant les yeux. En écartant son étalon, Alban la chambra :

— Première fois à cheval, je me trompe ?

Elle déglutit et rougit, n'osant certainement pas l'admettre. Les deux chevaux marchèrent côte à côte tranquillement. Silkë ne pouvait cependant pas s'empêcher de faire des siennes : en secouant la tête de haut en bas, elle tirait sa cavalière en avant. La néophyte manquait de passer par-dessus l'encolure à chaque fois.

— Catholique ? dit-elle alors.

— Je vous demande pardon ?

— Avant, vous avez dit « ma foi ».

— Oh.

Il se gratta le crâne sous son capuchon et répondit sans réfléchir :

— Je ne suis pas catholique. Mais je ne suis pas protestant non plus.

— Je ne comprends pas. Vous êtes le Ryttare, qui encourage les révoltes catholiques contre les têtes protestantes au pouvoir.

Il se mordit les lèvres rageusement, tenta de se rattraper :

— Je n'encourage rien, si ce n'est la justice.

Allait-elle répéter cela à Kristina ? Évidemment... Il venait de démentir le mythe de sa légitimité. Et potentiellement, d'entacher la confiance que la princesse pouvait lui vouer.

— Mais... Si vous n'êtes ni catholique ni protestant. Vous êtes un véritable hérétique !

— J'ai du mal à croire en un dieu tout puissant, mais cela ne fait pas de moi un hérétique. Uniquement un sceptique ! se défendit-il avec véhémence.

— C'est vous qui me rendez sceptique.

— Eh bien, restez-le, au moins vous serez concentrée. Vous avez failli tomber dix fois déjà.

En se penchant pour éviter les branches traîtresses, Alban re- pensa à ce que lui avait raconté Aslog, le tavernier. En couplant ces informations avec les sous-entendus de la jeune femme, il devina sans mal que la princesse était accaparée par les préparatifs de son couronnement. Il perdait son avance.

S'il l'empêchait de monter sur le trône, de quelque manière que ce soit, il pouvait assouvir sa vengeance ; le peuple allait pouvoir profiter de l'absence de successeur pour renverser le pouvoir. Mais comment pouvait-il poursuivre son plan si l'héritière ne venait pas ? Qu'à sa place, dix mercenaires l'attendaient à la clairière ? Même s'il guérissait, il n'en était pas moins infirme, sans que cela ne soit critique, mais assez pour perdre le combat dans une embuscade.

Il emporta ses rênes pour bifurquer et freina Önskan, qui s'excitait à la vue d'une ligne droite, par respect pour la novice qu'il ramenait à bon port.

— Et vous, comment vous appelez-vous ? interrogea la dame.

— Pourquoi me demandez-vous cela ?

— Puisque vous appelez ma maîtresse par son prénom, j'imagine qu'elle fait de même !

— Non.

— Pourquoi ?

— Vous êtes encore plus curieuse qu'elle...

— Alors ? insista-t-elle, impatiente.

— Après vous.

Elle marqua un arrêt, méfiante, avant d'enfin se présenter.

— Je m'appelle Alva ! Et vous ?

— Et moi, je vous ai ramenée à bon port. Si vous continuez tout droit, vous retomberez sur les sentiers qui mènent au château. Bon courage.

Il claqua énergiquement la langue pour fuir avant que ladite Alva ne fouine davantage. Ses investigations avaient-elles été ordonnées par la princesse ? Il se concentra sur les mouvements de son bassin pour rebondir le moins possible en selle. Les allures vives le lançaient encore, mais il avait pris le réflexe de grincer des molaires plutôt que de se dévoiler.

***

Après cinq semaines, durant lesquels ses sentiments avaient valsé entre haine et ennui, Alban sella Önskan sans conviction. Son ego lui avait interdit de chercher Filip et Sven et de s'excuser auprès d'eux. Peut-être même avaient-ils quitté la ville. Sans pour autant renier la légitimité de ses actes, il déplorait leur absence. Hormis la reprise de ses cours pour quelques bourgeois débutants, il s'était préservé et avait veillé à garder une certaine après-midi libre. Il se raccrochait plus que jamais à son désir de vengeance, et donc à ses entretiens avec la princesse.

Mais, ce jour-là, il se promit que si elle dérogeait encore à leur rendez-vous hebdomadaire, il bafouerait leur accord sans remords.

Comme en réponse à sa menace muette, il tomba nez à nez avec Kristina. Pris de court, il s'exclama :

— J'ai bien cru que vous ne viendriez plus !

Essoufflée, visiblement fraîchement arrivée, elle constata avec un fin sourire :

— Mais vous êtes là...

Il se retint de râler à ce sujet et se souvint qu'il devait rattraper son retard. Il joua la dévotion.

— Chaque semaine, comme convenu.

— Merci !

Bien que surpris par la prévenance de l'héritière, Alban se garda bien de dire que l'attendre et imaginer leurs retrouvailles avaient constitué son occupation principale, pendant tout le mois. Et les appréhender... Mais, étonnamment, la princesse n'affichait aucune rancune... Sa dame de compagnie n'avait-elle rien dit de son athéisme ?

— L'été est pluvieux... Les sols sont marécageux par endroits, une balade me paraît peu raisonnable, dit-elle alors.

— Önskan et moi le savons à nos dépens. Nous avons glissé, il y a une semaine.

— Oh ! Va-t-il bien ?!

— Aucune boiterie ni raideur. Quant à moi, j'ai souffert le martyre, merci de vous en soucier !

Elle pouffa, ses pommettes, malmenées par le froid, rougissant encore d'une teinte.

— Et comment s'est-il comporté, ces derniers temps ?

— Guère mieux, je dirais. Il est frustré de ne pouvoir courir à sa guise, et votre jument lui a manqué.

— N'avez-vous pas un deuxième cheval pour lui tenir compagnie ?

— Le bai n'était qu'un emprunt.

— Vous auriez dû me le dire plus tôt ! Si le changement de matériel n'a rien amélioré dans son comportement, cela démontre que le problème vient d'ailleurs. Peut-être de sa solitude, justement ! Un cheval n'est pas fait pour vivre seul... Ceux qui le sont deviennent agressifs, rétifs. Vous devez en avoir un autre pour qu'Önskan s'apaise.

Alban serra les poings. Il détestait sa manie, de moraliser, d'ajouter son grain de sel. Il en venait presque à regretter de lui avoir confié la rééducation de son cheval. Même si elle n'était qu'un prétexte, elle l'ignorait et prenait cette tâche très au sérieux. Trop.

— Offrez-m'en un, vous qui avez les moyens, ne put-il s'empêcher de grogner.

— Il nous faudrait passer un pacte de paix de toute une vie !

Il plongea son regard dans le sien.

— Et si j'étais prêt à le faire ?

Un fin rictus se dessina sur les lèvres de la princesse. Gênée, elle détourna la tête et la conversation :

— Il reste d'autres théories à creuser concernant Önskan ! Voulez-vous que je le monte dans cette clairière ? Le sol m'a l'air plus ferme ici. Je m'en voudrais d'avoir encore monopolisé votre temps pour rien.

Légèrement pris de court par les civilités aimables de la jeune brune, le Ryttare hocha lentement la tête. Aussitôt, elle repoussa sa cape pour libérer le flanc de Silkë afin de descendre, dévoilant son accoutrement toujours autant surprenant.

— Auriez-vous l'obligeance de tenir ma jument ? Elle est en chaleur et ne résistera pas, si elle est libre, à l'envie de provoquer votre étalon.

Ils firent l'échange et leurs doigts s'effleurèrent. Il cligna des yeux. En vérité, ce contact avait duré trop peu à son goût.

Que lui arrivait-il ?

Kristina s'empressa de concentrer Önskan sur un exercice plutôt que sur l'aguicheuse Silkë. Önskan se montrait appliqué avec la princesse, comme si elle l'envoûtait.

Par jalousie sans doute, Alban joua les impatients :

— Et si vous ne trouvez toujours pas ? Je fais ma part : nul catholique ne vous embête plus et mon cheval est loin d'être moins sauvage !

— Votre part consiste à vous tenir tranquille, rétorqua-t-elle sans sympathie. La mienne, à tester un large champ de possibilités.

Il s'inclina. Il était injuste avec elle, peut-être pour lui faire payer sa longue absence. Il avait l'impression d'avoir reculé de trois pas dans leur relation.

— Nonobstant, ajouta l'héritière, si vous ne me faites pas confiance, revoyons nos termes !

— Vous n'avez que ce mot à la bouche...

— N'est-ce pas primordial, déterminant ?

— C'est surtout bancal et incertain.

— Donc, vous n'imaginez pas même que je puisse réussir.

— Quand on y réfléchit, dresser un cheval est une quête que traditionnellement, on réserve aux hommes.

— Ainsi que le pouvoir. Si je comprends bien, vous êtes persuadé que j'échouerai. Pourtant, vous êtes à l'origine de cette demande. Pour quelle raison ? Pour mes beaux yeux ? Parce que vous n'avez rien trouvé d'autre ? Qu'est-ce que notre pacte vous apporte, si ses termes ne vous conviennent pas ?

Raide, il la jaugea. Elle commençait à le percer à jour. Malgré la douce chaleur d'août, des frissons le parcoururent soudain. Elle le sondait de son regard du bleu des océans au pire de leur tumulte et il ne s'était jamais senti si vulnérable depuis le jour où il avait vu sa maison, sa vie et son innocence partir en fumée.

Elle croisa les bras, un sourcil arqué dans l'attente.

— Ce consensus m'accorde une trêve pendant ma convalescence, choisit-il de répondre. Et du temps pour y réfléchir.

— J'ose espérer, sur ce temps, vous avoir convaincu que la paix ne doit pas nécessairement s'obtenir par les armes... et qu'il n'existe pas meilleur dresseur que moi en ce bas monde.

Elle caressa la robe d'ocre de l'étalon et commença les manipulations, après avoir vérifié chacun de ses membres. Afin de se détendre, Önskan mâchonnait son mors, mais répondait correctement à toutes ses demandes. Elle stoppa net et fixa Alban.

— Puis-je vous poser une question ? Elle me trotte en tête depuis notre rencontre, peut-être même avant avec les couplets à votre éloge.

— Faites...

— Ce cheval descend d'une belle lignée. Sa prestance n'a d'égale que sa vivacité d'esprit. Sa valeur doit être inestimable. Je me suis d'emblée interrogée. Comment un vagabond, comme vous, aurait-il pu se procurer un tel pur-sang ?

— Je l'ai libéré des mains d'une brute.

— Vous l'avez volé...

— Je préfère dire que je l'ai sauvé.

Elle se mordit la lèvre dans une mimique pensive, détestable- ment adorable.

— Était-il battu ?

— Oui, votre Seigneurie.

Elle lui adressa une moue préventive. Elle l'avait déjà mis en garde par rapport à cette formulation, qu'elle semblait exécrer. Alban leva les mains en signe de reddition, bien qu'amusé par la susceptibilité de l'héritière. Il poursuivit :

— Il n'a pas peur de moi ni des hommes en général, si cela est ce que vous pensez. Quant à moi, je ne le bats pas. Au début, il m'en était presque reconnaissant, d'ailleurs.

— Rien n'a changé ?

— Tout au contraire.

Il se remémora ses anciennes escapades nocturnes, les actes originels du Ryttare. Avait-il transmis sa propre agressivité à son cheval, à force de l'impliquer sans cesse dans un combat qui n'était pas le sien ?

La princesse repassa les lanières de cuir par-dessus la tête d'Önskan, se plaça près de son flanc et mit délicatement son pied dans l'étrier. L'équidé plaqua les oreilles en arrière et se raidit. Alban, alerte, se redressa.

— Peut-être devriez-vous rester à terre !

— Faites-moi confiance, s'irrita-t-elle.

Elle monta tout en murmures et douceur. Impatient, l'étalon gratta le sol et avança. Kristina, d'un calme olympien, serra ses doigts et claqua la langue en signe de désapprobation. Elle félicita l'arrêt d'Önskan en grattouillant son garrot et ils ne bougèrent pas durant un bon moment.

Le brun masqué les déifiait, curieux de voir ce qui allait se passer. Contre toute attente, Kristina avança la main et défit les sangles de la bride, jusqu'à pouvoir libérer la tête du cheval de sa prison de cuir. Alban, angoissé, fit un pas en avant.

— Mais que faites-vous ?!

Kristina le gronda :

— Reculez, vous risquez de tout compromettre !

Elle répéta, avec insistance, cette fois :

— Faites-moi confiance !

Alban s'écarta à contrecœur. Quel comble d'employer pareil mot dans leur situation !

Kristina finit ce qu'elle avait commencé et la bride tomba au sol. Önskan, aussi médusé que son propriétaire, n'osa broncher. Kristina enroula ses doigts dans ses longs crins noirs et lui dicta de marcher. Hésitant, il ne le fit que d'un pas. Puis, satisfait de ne plus avoir de fer en bouche, il se fia au poids du corps de sa cavalière ; elle l'orienta à droite, puis à gauche, et ordonna l'arrêt en se faisant lourde.

Leur fervent spectateur, qui redoutait que son fougueux destrier n'embarque la frêle princesse, s'enquit :

— Pourquoi prenez-vous tant de risques ? Qu'essayez-vous de prouver ?

Il attacha Silkë à une solide branche et s'approcha pour flatter son cheval. La dompteuse amorça sa descente, mais dérapa, l'humidité ayant rendu ses semelles glissantes. Alban la rattrapa de justesse. En tombant contre son torse, elle lui arracha un cri. Il serra les dents, sa peau éclopée encore sensible. Kristina balbutia une excuse qu'il suspendit d'un geste nonchalant de la main. Elle se pencha vers lui, les sourcils froncés d'inquiétude.

— Vous m'aviez dit être presque guéri. Montrez-moi.

Alban toussa, manquant de s'étouffer. Avait-il bien entendu ?

— Vous montrer ? répéta-t-il, abasourdi.

— J'ai lu de nombreux ouvrages, je dispose de quelques notions de médecine !

Il contint une grimace de douleur et opta pour une note d'humour plutôt qu'un refus catégorique :

— Alors ainsi, vous savez monter, mais vous ne savez pas descendre !

Elle arrondit la bouche d'indignation.

— Ne vous souciez pas de ma blessure, dit-il. Expliquez-moi plutôt ce que vous venez de faire.

Sûrement piquée par sa critique, elle marmonna :

— Je ne note chez votre cheval nul problème. S'il y en a entre vous, et il y en a, ils ne viennent que de vous.

L'attaque le toucha en plein ego. Tant d'heures à le brosser dans le sens du poil et maintenant, elle dévoilait la véritable vision qu'elle avait de lui : celle du responsable. Comment osait-elle le rendre coupable de tout ?! Le réduire à une incompétence, à un problème. Elle avait bien caché son jeu, à simuler une estime en fait inexistante à son égard... Sa supériorité, voilà le lien qu'elle voulait établir entre eux depuis le début. Et elle le narguait ! Plantée sous son nez, le menton relevé avec une fierté qui donnait envie de l'étriper. Cette fois-ci, Alban n'eut guère la patience de tolérer son effronterie hautaine ni l'humiliation :

— Et moi qui m'apprêtais à vous remercier... Rendez-le-moi !

— Il a besoin de sortir davantage et d'interagir avec des animaux de son espèce.

— Eh bien, puisqu'il lui faut se défouler, je reprendrai dès demain la chasse de vos gardes !

— Non ! J'ai fait ce que vous m'aviez demandé !

Il se félicita de l'inquiéter et voulut récupérer son filet. Önskan ne se laissa pas approcher, ce qui finit de le mettre en rogne.

— Le problème a-t-il l'air résolu selon vous ?! explosa-t-il.

— Vous lui avez fait peur !

Rageusement, il partit à pied, se disant qu'il trouverait une souche hors de vue de la princesse pour grimper en selle. C'était sans compter l'obstination de cette dernière, qui décidément n'aimait pas qu'on lui tienne tête ; elle chercha à le rattraper, de ses courtes, mais furibondes enjambées.

— Votre état ne vous le permet pas ! dit-elle en revenant sur sa menace. Moi non plus, je ne vous le permets pas !

Sans se retourner, dans un savant mélange de lassitude et d'irritation, Alban répondit :

— Vous n'êtes pas encore reine, ce n'est pas vous qui faites la loi. Si vous me craignez tant, lancez sur moi tous vos mercenaires, je vous en prie.

— Ils vous tueront !

— Pas sans que j'en aie tué quelques-uns.

Arrivée presque à sa hauteur, elle s'égosilla :

— Votre vie vous importe-t-elle si peu ?!

— Ce n'est pas moi qui suis venu m'en plaindre le premier, je pourrais vous retourner la question !

— Vous n'êtes qu'un arrogant imbécile !

— Et vous une enfant capricieuse !

Il riva ses pupilles au chemin devant lui, se refusant de regarder l'indocile femme qui tempêtait dans son oreille.

— Vous êtes incapable de reconnaître vos torts ! relança-t-elle.

— Et vous d'accepter qu'on ne vous lèche pas les bottes

Outrée, elle le dépassa et l'arrêta, le doigt sur son torse.

— Je vous interdis de parler de moi alors que vous ne me connaissez pas !

Non, c'était une certitude. Il n'avait vu d'elle que ce qu'elle avait voulu montrer. Tantôt une jouvencelle fragile pour l'attendrir, tantôt une dirigeante redoutable pour susciter la crainte, le respect. Tout n'avait été qu'une mascarade, un tissu de mensonge et de manipulation. On l'avait pourtant prévenu des ravages que faisaient les femmes à l'esprit. Il avait jusqu'à présent su se protéger... Mais pas d'elle. Pas de cette demoiselle en particulier, qui avait pénétré son âme, ses songes, son intimité, comme aucun être avant elle. Elle était le fruit du Diable, en digne descendante d'Ève, de Jézabel et de toutes ces autres tentatrices ayant fait plonger les hommes dans la perdition.

— Vous partez sans votre jument, fit-il remarquer.

Elle lui barra la route.

— Quoi, est-ce tout ce que vous trouvez à me dire ? Vous sembliez prêt à une paix jusqu'à notre mort et vous bafouez cette tacite promesse d'unité pour une banale réflexion ?

— Je bafouerai bien pire si vous ne vous ôtez pas de mon passage !

Il appuya son avertissement en repoussant sa cape derrière son fourreau. Il ne souhaitait plus la revoir, alors qu'est-ce qui l'empêchait de lui trancher la gorge, à cet endroit, à cet instant, à l'abri de témoins ? Il avait voulu l'avoir proche de lui pour être libre de la blesser quand bon lui semblait, dans ce cas, pourquoi sa main tremblait-elle ?

— Je vous en prie, provoqua-t-elle. Touchez-moi.

Il frémit. En l'entendant d'une tout autre tournure, alors que Kristina n'était qu'à quelques centimètres de lui, ses pupilles encolérées ancrées aux siennes, il fut envahi d'une chaleur qu'il ne connaissait que trop peu. Önskan. Plus que son cheval, la signification de son nom aussi le reliait à la princesse.

Il se convainquait lui-même qu'il ne retardait sa vengeance que pour qu'elle soit plus terrible encore. Il voulait tout savoir du château, afin de le réduire en cendres. La vérité, c'était qu'il s'en sentait plus incapable à chaque fois qu'il la voyait. Ne lui avait-il rien fait parce qu'il était gentil, au fond, ou parce qu'il tenait sincèrement à elle et ne pouvait se résoudre à lui faire du mal ?

Il ne parvint pas à retenir sa main, qui prit le visage ivoirin de Kristina en coupe. Elle sursauta tel un lièvre apeuré et il eut l'envie incompréhensible de l'embrasser, persuadé qu'il y trouverait du plaisir, à l'inverse de ses quelques essais. Pourquoi éveillait-elle tant de sentiments contraires en lui ? Pourquoi fallait-il qu'elle remue son cœur, son corps, alors qu'il lui réservait les pires malheurs ?

Un éclair de raison remit de la distance entre eux. À quoi rêvait- il ? Il ne la connaissait pas, et elle était la future reine, qui n'avait que faire de lui. Une future meurtrière.

— Écartez-vous, demanda-t-il.

Son bras retomba ballant contre sa cuisse et les iris de la princesse se firent tremblants. Y avait-il seulement une once de réalité ou était-elle une excellente comédienne ? Elle souffla du bout de ses lèvres, qu'elle mordait d'émoi :

— Il faut croire que, même pour un voleur et un assassin, je ne suis toujours pas assez bien.

Elle baissa la tête et rebroussa chemin en courant. 

Quoi qu'il eût désiré tirer de leur relation, il avait simplement réussi à la faire fuir. 

Mais qu'y avait-il à espérer d'une personne qui ne voyait en lui que ces deux mots, qui ne voyait en lui qu'un monstre, une brebis perdue ou un rebelle à soumettre ?

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