Maux du cœur
Ce soir,
La rage bouillonne en elle. Elle la ronge, la détruit, l'empêche de vivre. La prive de ses moyens, la coupe du monde si elle n'y prend pas garde.
Elle aimerait lui dire que ça fait six ans, six putains d'années qu'elle n'a pas eu l'occasion de souffler.
Harcèlement. Anorexie. Perte de proches. Profond désamour avec son corps. Cœur brisé. Détruite. Scarifications. Tentative de suicide. Dépendance aux médicaments. Insomnies.
Et un cercle vicieux, sans fin. Quand elle croit aller mieux, il y a toujours cette réflexion, ce regard, ce geste qui lui rappelle ce qu'elle pense d'elle-même. Qui lui renvoie au visage tout ce pourquoi elle a un jour voulu quitter ce monde.
Elle aimerait qu'il comprenne que non, son dégoût de la nourriture n'est pas un caprice, pas une bêtise d'enfant. Que oui, elle a fumé dans l'espoir d'en crever, mais qu'elle tuerait n'importe lequel de ses proches si elle les voyait faire. Qu'il entende que le sommeil l'a quittée lorsqu'une sombre personne a cherché à la laminer, à avoir sa peau, à lui faire payer de l'avoir quitté, et qu'il connaisse tous les détails de cette sordide histoire. Qu'il sache que si elle parle si peu, c'est qu'elle a une peur bleue de s'ouvrir, de se donner toute entière à une personne qu'elle aime comme elle n'a jamais aimé.
Elle voudrait aussi lui dire à quel point il compte pour elle. Le bien qu'il lui fait. La lumière qu'il a amené dans sa vie si terne. Lui dire qu'elle aimerait prendre ses tourments, ses souffrances, pour l'en soulager lorsqu'il va mal. Lui dire qu'elle pourrait passer sa vie dans ses bras, le seul endroit où elle se sent en sécurité. A quel point sa gorge se serre lorsqu'elle le sent loin d'elle. Comme elle craint de le perdre.
Les larmes roulent désormais sur son visage. Le mascara coule sur ses joues. Elle prend son démaquillant, efface lentement ce qui lui permet de cacher ses cicatrices. Il n'y a pas un moment depuis ce jour, jour dont elle ne se rappelle rien si ce n'est son cri et une longue trainée de sang sur le sol, où elle soit sortie avec la cuisse nue, sans aucun artifice, depuis deux ans. Personne n'a jamais su. Personne ne sait, ces fortunes dépensées en maquillage pour avoir un résultat naturel, invisible, sur ses jambes, ses poignets. Elle a encore parfois de tristes réflexes, ceux d'enfoncer ses mains dans ses poches pour les cacher, comme s'il y avait encore des plaies béantes. Elle se dit qu'au moins, elle sait, elle repère ceux qui se font le mal qu'elle s'infligeait encore il y a peu. Qu'elle n'en a plus peur, plus peur de l'horreur, de la douleur, de la mort. Qu'elle peut tout voir, tout entendre, tout lire, sans juger, sans donner un avis erroné, parce qu'elle comprend.
Et là, que fait-elle? Allongée sur son lit, elle regarde les minutes défiler sur le réveil posé sur la table de chevet à côté d'elle. Elle repense à ceux qui l'ont quittée, ceux morts trop jeunes pour leur âge, celles parties sans qu'elle soit prête à y survivre. A ceux qu'elle-même a quitté, à ces personnes qu'elle a laissées pour ne pas qu'elles aient à subir ce qu'elle était devenue. A son futur, son avenir, sous tous les plans. Aux épreuves qui l'attendent de pied ferme.
La vérité, ce n'est pas seulement qu'elle ne dort plus parce qu'elle réfléchit trop, non, ça serait trop beau. Elle a peur de la nuit, parce que la nuit lui a tout pris. Et si ces visages tant redoutés revenaient hanter ses rêves, comment faire alors? Elle serre parfois son oreiller dans ses bras, comme une enfant, se demandant ce qui pourrait enfin lui apporter de la sérénité au moment où elle ferme les yeux.
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