𝐗𝐕𝐈𝐈𝐈. 𝐋𝐨𝐮

Je fais partie de ceux qui pensent que dans la vie, il y a deux catégories.
Ceux qui osent, et ceux qui ne le font pas.

Aujourd'hui, j'ai décidé d'enfin réellement oser.

Allongée dans le lit de Lou, au milieu de mes immenses peluches qui servent plus de souvenir et de décoration qu'autre chose, je ressasse.

La vie a ce petit côté cruel qui fait que lorsque l'on obtient ce que l'on veut, c'est toujours lorsque l'on ne le veut plus.

De nouveau dans le corps de Lou, j'ai l'étrange et désagréable impression d'avoir vécu deux vies parallèles.
Je me rappelle dans un rictus ironique que c'est le cas.
Dans mon esprit se mélangent les souvenirs du corps de Liv, et ceux du corps de Lou, qui transforment ma tête en un beau cafouillis d'incompréhension.

Je reste sous les draps un moment, pour rassembler mes idées, et j'arrive enfin à séparer dans mon cerveau les deux parcours bien distincts des deux filles dans lesquelles a vécu mon âme. Les derniers jours de Liv fleurissent dans mon crâne comme une existence étrangère, tandis que je me reconnais beaucoup plus dans les actions et les pensées de Lou.

Maintenant que mes deux fragments d'âme sont à nouveau réunis, par un sort du destin que je ne comprends pas, ou que je refuse de comprendre, il faut que je décide laquelle des deux voies que me proposent mes esprits, je vais finalement emprunter.

Celle de Lou, celle de la sécurité et de la sûreté ?
Ou celle de Liv, celle de la justice et des réparations ?

Je souris, les yeux fermés, sachant très bien ce que je vais faire.

Aujourd'hui, j'ose enfin.

Dans mon esprit, un petit chien jappe.
Ses boucles noires danse tandis qu'il court dans les prés, avec ses maîtres les Huberts.

J'attrape mon téléphone, le déverrouille, et regarde sans réelle attention mes notifications.
Noémie m'a envoyé un message pour me demander si on se verra aujourd'hui, en ce Samedi 07 novembre.

Je ne lui réponds pas, et me rends sur notre compte commun Instagram.
Le compte de deux meilleures amies liées à jamais, pour le meilleur, mais surtout pour le pire.

Je regarde le nombre de vues et de partages de la fameuse vidéo.
Beaucoup, beaucoup trop pour que cela puisse être réparé.
Mais on peut toujours éviter que cela empire.

J'efface la vidéo, et une bouffée de satisfaction m'emplit le corps.
Je me dis que j'ai sûrement retiré d'autres nombreuses souffrances d'Edgar.

Aujourd'hui, j'ose enfin choisir la voie de Liv.

Et j'entends au fond de mon cœur le chien me remercier.

Sur ma petite table de chevet se trouve un pendentif que je connais bien. Je revois dans les souvenirs de Lou celle-ci arrachant le bijou du cou de Liv et décidant de le garder vu la beauté de l'obsidienne.
Le collier et son pendentif en forme de goutte d'eau me rappellent une autre vie, où j'ai été une autre personne bien meilleure que je ne pourrai jamais l'être en tant que Lou.
Je me lève, grimaçant de douleur et me rappelant que mes blessures sont dues à une bagarre contre ma propre personne.

Deux parties de moi-même en désaccord.

J'enlève mon pyjama et m'habille, puis j'attrape le pendentif en le fourrant rapidement dans ma poche.
Je sors de ma chambre et me rend dans la cuisine de l'appartement où nous vivons avec ma grande sœur, Layla.

Elle chantonne en se préparant des tartines de confiture.
Ma nature rancunière et son manque de confiance en moi me force à lui reprocher avec amertume :

— À quoi ça sert de me demander si je te cache des choses, si toi-même tu ne peux même pas me dire ta véritable orientation sexuelle ? 

Layla me regarde d'un air ébahi.

« Lou, tu me fais confiance, n'est-ce pas ? Si tu avais des choses à cacher, tu me le dirais, non ? »

Et bien non, je ne t'ai rien dit.
J'ai tué un chien et je ne ne t'ai même pas dit, mais de toute façon, toi non plus tu me dis rien.

— Bonjour, peut-être ?, balbutie ma sœur.

— Non ! Pourquoi tu as fait semblant d'être hétérosexuelle !?

Layla recule d'un pas, elle ne comprend pas.

— Comment... qui t'a dit ? Mais j'aime aussi les hommes, tu sais ?

Je retiens mes larmes de colère.

— Pourquoi... pourquoi te justifies-tu comme si j'allais mal le prendre ?, soufflé-je. Tu croyais que j'étais homophobe, c'est ça ?

Layla ignore ma question et affirme.

— C'est Liv qui te l'a dit, c'est ça ?

Je sors de la cuisine sans même manger, la discussion m'ayant coupé l'appétit.

— Oui, c'est elle... en quelque sorte.

Dehors, il fait tout blanc.
La neige a tout recouvert de son manteau affectueux.

Je me rends à pied, en soufflant des petits nuages de vapeur cristallisée à chaque pas, vers le salon de coiffure le plus proche de notre appartement.

Avant d'entrer, je réponds au message de Noémie.

Moi- Je passerai tout à l'heure...

Puis je passe la porte du salon, où déjà de bon matin, femmes et hommes confient le soin à des professionnels de s'occuper de leurs cheveux.
Une jeune femme me prend en charge, et je lui demande poliment une coupe toute nouvelle, pour que je change complément de tête.

Je ressors du salon de coiffure avec des cheveux encore plus courte, s'arrêtant au dessous de mes oreilles, mes boucles qui faisaient ma fierté lissées, et mes cheveux bruns foncés teints d'une jolie couleur auburn.
J'ai payé la coiffure avec l'argent que je voulais utiliser pour ma fête d'anniversaire.

Tant pis.

Je ne prends même pas la peine de me demander si je suis belle ainsi.
Je prends le bus pour me rendre vers les extrémités de la ville. Le véhicule me dépose au dernier arrêt, celui à cinq minutes à pied du chemin de la Parure.

Ce quartier de petits et jolis pavillons rend encore plus réel mes douloureux souvenirs.
Cette rue, c'est celle de la maison de Noémie, et celle du chien.

Mais je ne vais ni chez l'un, ni chez l'autre.
Je m'arrête devant l'habitation de deux personnes, qui malgré moi, me sont à présents chères.

Après avoir sonné, c'est Kaya qui m'ouvre. Elle porte une robe de chambre, et ses cheveux violets foncés sont tous emmêlés et en bataille.

Son regard méprisant me fait mal, car j'ai pris l'habitude de la voir me regarder sereinement.

Mais je ne suis plus Liv...

La seule chose que je garde d'elle, se sont ses convictions.

— Noémie habite au numéro 25, pas au 23, grogne la lycéenne à moitié endormie.

— Je sais, répondis-je.

Je ne m'en étais pas rapidement fait la réflexion, mais puisque Jack, Liam, et Kaya étaient eux aussi les voisins des Huberts, cela était plutôt évident que le jeune garçon ait pu se faire accuser à tort.
Je remarque avec une joie légère que Kaya observe ma nouvelle coiffure avec attention.

— Est-ce que Liam est là ?, questionné-je.

— Non. Qu'est-ce que tu lui veux ?, grince Kaya.

Tant pis, je lui ferai un message.
Réglons déjà ce que nous avons à régler avec la jeune femme aux cheveux violets.

— J'ai changé de coupe, tu vois, fais-je en pointant mes cheveux du doigt. C'est pour m'excuser, pour le primaire et toutes les... emmerdes.

Kaya me fixe avec ennui, et rétorque.

— Écoute, hier, tu t'es littéralement battue contre ma meilleure amie, ok ? Maintenant, elle est introuvable, et en plus, il se pourrait qu'elle soit en fait quelqu'un qui s'est fait renverser par un camion dans le putain de Jura !

La jeune fille s'énerve.

— Alors tes histoires de coiffure de poupées Barbie, de CM2, et de délires de gamines harceleuses
complètement stupides, je m'en fous, Lou ! C'est pas maintenant qu'il faut jouer la charité et s'excuser ! Si tu veux être utile, retrouve Liv !

Je souris légèrement.

Sa meilleure amie, elle a dit...

— Je sais qu'on ne pourra jamais devenir amie, soupiré-je. Mais avec Liv... vous auriez pu développer un véritable lien.

Elle me claque la porte au nez.

Je ne sais pas si elle a relevé le fait que je parlais de Liv au passé.
Je m'en vais, satisfaite de mes excuses.

Retrouver Liv, cela ne va pas vraiment être possible...

Avant que nous commencions à l'harceler, Noémie et moi, nous jouions avec Kaya, puisque les deux filles étaient voisines.
Nous aurions pu être un trio beaucoup plus joli que celui que je forme actuellement avec Noémie et Lisa.

Avant de sonner chez ma meilleure amie, j'envoie deux messages.
Un à Liam:

Moi- Prends soin de ta sœur et de ton frère, tu lui diras bonjour de ma part lorsque que tu iras le voir à la prison, d'ailleurs. De toute façon, je pense qu'il n'y sera plus pour longtemps. Ne te laisse pas faire par les rumeurs, et ne laisse pas les professeurs de musique t'embêter... Et puis, si jamais Arthur te demande de l'aide, accepte-la ! Bisous !
Liv

Et un à Arthur:

Moi- Si jamais ta mère ne peut pas venir te ramener à Paris, tu peux toujours demander à Liam de t'héberger, je suis sûre qu'il sera d'accord ! Sinon, prends bien soin de toi et de tes sucettes, évite de trop te faire coller quand même. J'aurais bien voulu t'offrir mon pendentif mais je dois le rendre à quelqu'un d'autre. Bisous !
Liv

Je ne les relis pas trop avant de les envoyer. Je veux qu'ils sachent que ça vient du fond de mon cœur.
Du fond du cœur de la Liv qu'ils ont connue...

Ils verront que c'est Lou qui a envoyé le message. Mais ils verront aussi que c'est Liv qui a signé.
Me poseront-ils des questions ?
Peut-être...

Je sonne à la porte de Noémie. La jeune fille m'ouvre avec un grand sourire. Il disparaît quand elle remarque ma nouvelle coiffure et mon attitude distante.

— Qu'est-ce que tu as fait à tes cheveux, Lo...

— Rien, la coupé-je. Je devais ça à quelqu'un.

Je m'assois sur le canapé sans que la jeune fille ne m'y invite. Je sais que le Samedi, ni ses parents ni son petit frère ne sont là. C'est le moment où nous allons pouvoir parler en toute tranquillité.

— Je ne comprends pas pourquoi tu m'as dit que l'enquête sur le meurtre du chien avait  été stoppée...

Noémie me fusille du regard.

— Lou ! On avait dit qu'on ne reparlait plus jamais de ça ! On a fait une erreur, ok, mais on ne va pas ressasser ça comme si...

— On a fait une erreur ?, m'écrié-je dans un hoquet outré. J'ai tué un chien, Noémie ! J'ai tué !

Mon amie lance ses bras en l'air et s'agace.

— Pourquoi tu remets ça sur le plateau ! C'est à cause de l'autre fille d'hier qui en a parlé ?! D'ailleurs, comment ça se fait qu'elle soit au courant ?

Je me lève subitement et crache.

— Mais tu n'en as pas marre de ne pas voir le véritable problème ! Le problème ce n'est pas qu'on va peut-être avoir un casier judiciaire, le problème c'est que ce soit quelqu'un d'autre qui en ait un à notre place !

Noémie se lève aussi.
Cela faisait une éternité que nous ne nous étions pas disputées.

— T'es en train de dire que tu veux qu'on aille se dénoncer !?

— Jack Hussein, le frère de tes voisins que tu vois tous les jours est en prison à cause de nos actes, et tu t'en fiches ?! Tu savais qu'il s'était fait condamner à ma place ! Tu ne m'as rien dit ! Tu m'avais promis que tu me dirais tout ce qui allait se passer au sujet de l'enquête !

Son attitude me dégoûte.

— ...mais tu ne m'as absolument rien dit. Et tu viens me raconter que l'on ne doit rien faire pour réparer nos erreurs ?!

Noémie me dévisage comme si j'avais perdu la tête, et elle lâche.

— Ce n'est pas de ma faute si la fille des Huberts a accusé Jack parce qu'il lui avait fait du mal par le passé... Tu voulais que je fasse quoi ? Que j'aille témoigner pour le défendre, peut être ?!

— Oui ! Que tu répares nos erreurs, insisté-je.

Noémie me regarde, et en soutenant mon regard, elle me corrige avec dédain.

— Ce n'est pas nos erreurs. C'est toi qui lui as fracassé le crâne avec la pierre.

— Sale folle, murmuré-je, scandalisée qu'elle ose me dire ça. C'est toi qui as voulu aller te venger sur un chien alors que c'était de ma faute si ton chat était mort ! Tu voulais juste faire du mal à un innocent ! Comme toujours ! Tu aimes faire souffrir les innocents !

Noémie me gifle.

— Toi aussi, tu aimes ça ! Arrête de faire comme si c'était moi la seule criminelle ici !

Je me retiens d'insulter mon « amie » et je porte ma main sur ma joue rougie. Je sors de la maison sous les cris hystériques de la jeune fille qui me menace et m'interdit de parler du meurtre à quelqu'un.

Elle l'a dit elle-même, c'est moi qui aie tué le chien. Alors je ne vois pas le problème si je parle de ce meurtre, puisqu'elle prétend n'avoir aucun lien avec.

— C'est à cause de l'autre folle d'hier ! Cette Liv t'a planté des choses débiles dans le crâne, Lou !, s'exclame Noémie dans l'encadrement de la porte. Ne fais pas de choses que tu pourrais regretter !

Elle a raison.
C'est Liv qui m'a fait changer.

Mais elle a aussi tort.
Je ne regretterai plus jamais rien.

Je ne prends pas le bus et fais l'immense trajet qui sépare le chemin de la Parure au centre-ville à pied. Pour m'y rendre, je passe par le pont.
La neige le recouvre, et de récentes traces de pas ont tapissé la substance blanche au sol.

Le pont est vide.
Aucun corps.

Pas de Liv.

Après quelques minutes de marche, j'entre dans le commissariat comme une habituée des lieux. Un gendarme me salue et me demande ce que je viens chercher.

Je fais partie de ceux qui pensent que dans la vie, il y a deux catégories.
Ceux qui osent, et ceux qui ne le font pas.

— Je viens témoigner pour rouvrir une enquête qui a été terminée en 2019, sur le meurtre du chien des Huberts.

Je fais partie de la deuxième catégorie de personne, ceux qui osent.
Aujourd'hui, j'ose enfin avouer mes crimes à tous.

Le policier me dévisage. Je me souviens de lui, c'est l'un des amis des parents de Liam. Il devait connaître Jack, lui aussi. Je l'ai croisé quand mon ami venait négocier au commissariat, je reconnais bien sa jolie peau foncée, et il acquiesce en appelant un de ses collègues.

— Ah oui, et aussi..., ajouté-je en sortant le pendentif de ma poche.

Je m'en fiche de ce que tu peux me dire, Noémie.

Aujourd'hui, j'ose tout.
J'ai envie de réparer toutes mes erreurs, et je remercie le destin d'avoir dédoublé mon âme, pour que j'apprenne tant de choses dans le corps de Liv.

Elle m'a tellement apporté.

Des amis, une conscience.
Elle est la version bien de Lou...

Elle m'a offert un aperçu de la magnifique vie que j'aurais pu avoir. Ce n'est pas le cas, mais soit.

Grâce à toi, lorsque je me regarderai dans un miroir, j'arrivai à apprécier mon reflet.

Celui-ci ne dissimulera plus tous mes défauts et toutes mes fautes.

Il renverra juste la réflexion de la vraie moi.

Et elle n'est ni Lou, ni Liv...

La vraie moi, c'est à présent le mélange des deux.

Je dépose le pendentif d'obsidienne et sa chaîne en or sur le comptoir.

— ...C'est un collier à Liv Senz-Nima. Enfin, à sa mère, plus précisément, expliqué-je. Est-ce que vous pourriez lui rendre ? Je ne suis pas sûre de les revoir.

Le gendarme se stoppe net dans ses mouvements.

— Liv Senz-Nima...? La lycéenne qui s'est enfuie hier, et qui a été retrouvée ce matin morte d'hypothermie dans la neige ?

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