Liam est assis sur son canapé, tout seul dans sa maison, en proie à un sentiment de malaise indéfinissable.
La disparition de son amie Liv la veille l'a empêché de dormir cette nuit, et de larges cernes soulignent ses yeux rougis par l'écran de la télé.

Il attend avec impatience des nouvelles de sa camarade, conscient que la police ne lui en fournira sûrement pas avant de les offrir aux médias.

De tout son cœur, il espérait que son amie allait bien. Elle lui avait semblé instable, quelque chose l'étouffait, il l'avait senti.
Liv avait une personnalité incroyable, mais depuis qu'il l'avait rencontrée, il avait tout de suite su qu'elle cachait quelque chose.
Elle semblait perdue, au milieu d'un monde qui lui était inconnu, face à des problèmes qui n'avaient pas de solutions.

Sur la table basse en face du canapé rouge sur lequel il est assis est posée une enveloppe déchirée, aux côtés d'une belle lettre rédigée à la main.
Elle venait du commissariat.

La demande de la famille de Liam pour aller voir son grand frère Jack en prison avait été acceptée, mais Kaya et lui-même n'avaient même pas su s'en réjouir, tant ils étaient inquiets de la situation de Liv.
En plus de cela, le journal parlait d'un accident de la route que la jeune fille aurait subi le week-end d'avant, ce qui était assez perturbant, sachant que ni le lieu, ni la date ne correspondaient à ce que la logique aurait pu accepter.

Avec surprise, Liam voit apparaître sur l'écran de la télé un visage désagréablement familier. Malgré la coiffure totalement différente, le jeune garçon reconnaît sans problème Lou, les menottes aux poignets, parlant avec calme aux policiers qui l'entourent.

Le journal télévisé a pour titre l'inscription suivante: « Une enquête réouverte ? Un an après, la véritable meurtrière du chien des Huberts se dénonce... »

Liam attrape la télécommande et change soudainement de chaîne, agissant comme s'il n'avait rien vu, rien lu. Il ne sait pourquoi, dans l'expression du visage de Lou, il a vu quelque chose qui lui rappelle un souvenir amer.

Le souvenir de quelqu'un...
D'un sourire.

Mais... à qui appartient-il ?

Bizarrement, le lycéen n'arrive pas à haïr la Lou qu'il a vue, pourtant celle qu'il détestait la veille.

« Quelque chose a changé... »comprend-il.

Il ignore du mieux qu'il peut le fait que l'enquête qui a envoyé son frère dans les geôles du pays est peut-être en train d'être réouverte, et il essaie de se concentrer sur le sujet traité par la nouvelle chaîne de télé.
L'image d'une jeune blonde à lunettes en pleurs, dont la moitié des mots sont incompréhensibles, est diffusée à l'écran. La jeune femme explique qu'elle va devenir écrivaine pour rendre hommage à une de ses amies décédée.

Le sujet n'intéresse pas réellement Liam, et les malheurs de cette certaine Constance Albane ne le concernent certainement pas, mais cela l'empêche de se concentrer sur les obscurs pensées qui essaient de s'introduire dans son esprit.

Le téléphone du garçon sonne soudainement et celui-ci décroche en apercevant que c'est sa petite sœur, Kaya, qui est à l'appareil.

— Liam..., balbutie la jeune fille d'une voix brisée.

Son ton suffoquant et sa voix aiguë font paniquer le jeune homme. Elle pleure.
Quelque chose ne va pas.

Quelque chose de grave est arrivé.

— Tout va bien ?, s'empresse-t-il de demander, son inquiétude grandissant en même temps que la boule dans son ventre.

— Je..., bredouille l'autre.

Un sanglot empêche la jeune fille d'aller plus loin dans sa phrase, mais il faut dire que ce n'est plus vraiment sur ça qu'est concentré son frère.
Dans sa main, il serre fort son téléphone comme si c'était la seule chose à laquelle il pouvait s'accrocher.

L'image à la télé a changé.

Sur l'écran, une jeune fille au corps bleui par la neige est transportée par des secouristes.

En fait...

Il s'agit plutôt d'un cadavre, mort d'hypothermie, sur un pont que Liam reconnaît avec horreur.

Le corps du garçon semble se vider de toute substance, sa bouche devient sèche, sa gorge se noue...

La fille possède des cheveux châtains et très fins, un nez légèrement long, et des taches de rousseurs.
Ses yeux sont fermés.

Étrangement, autour de son cou, il manque l'habituel pendentif qui faisait partie de sa personnalité.

Mais surtout, cette fille est morte.

Liam s'agrippe un peu plus au téléphone, les pleurs de sa sœur résonnant à travers le petit appareil électronique.

C'est Liv.

Cette fille, c'est Liv.

Une notification fait vibrer son portable. Il ne sait pas pourquoi, il ne la reçoit que maintenant alors que cela fait plusieurs heures qu'elle a été envoyée.

Lou- Prends soin de ta sœur et de ton frère, tu lui diras bonjour de ma part lorsque que tu iras le voir à la prison, d'ailleurs. De toute façon, je pense qu'il n'y sera plus pour longtemps. Ne te laisse pas faire par les rumeurs, et ne laisse pas les professeurs de musique t'embêter... Et puis, si jamais Arthur te demande de l'aide, accepte-la ! Bisous !

Le texte est signé Liv...

Les larmes sortent toutes seules des yeux du jeune homme.

Lâchant son portable, celui-ci va s'écraser au sol.

•••

Fin de la page 8, "1000 et une façons d'être un autre moi".

« [...] Un dédoublage de l'âme est donc le résultat d'un processus particulier, qui scinde une âme en deux parties, faisant voyager un morceau de l'esprit vers un autre corps. 
L'âme est donc deux fois la même, comme si elle avait été dupliquée. Dédoublage signifie aussi: "enlever la doublure". Ainsi, après un laps de temps entre quatre et sept jours, un des deux corps qui hébergent l'âme mourra, réunissant à nouveau les deux moitiés d'esprit. Ce sera la partie d'âme qui a voyagé vers un nouveau corps qui décidera lequel des deux décédera.
Elle le fera soit mourrir inconsciemment, par suicide ou par tentative de suicide du nouveau corps, soit en attendant tout simplement trop longtemps jusqu'à ce que son corps d'origine meurt [...]»

Chacun peut interpréter ces vagues paroles comme il le souhaite, mais peut-être que cela veut dire que si Liv avait attendu quelques jours de plus sans essayer de sauter du pont, elle serait encore dans le corps de Mlle. Senz-Nima.

Mais avec des "si", on referait le monde.

Et vous, si ça se trouve, vous avez déjà vécu un dédoublage de l'âme.

Et si vous êtes la partie de l'esprit qui est restée dans son corps de naissance, vous ne pourrez pas le savoir avant votre mort, ou celle de l'autre corps.