Le vieux Bâtiment
Qui sont ces fourmis qui osent me tirer ainsi sur la peau ? Elles s'activent, constamment, gesticulent, se bousculent, crient... Pourquoi tant de bruit ?
Je les entends, ne criez point...
Pourquoi sont-elles si pressées ? Elles veulent tant toucher à ma vie, à mon existence...Quelle folie !
Pourquoi déterrer ainsi mes pieds ? Laissez les donc en paix ! Ils étaient bien, cachés, enfouis dans les limbes du monde souterrain. Les vers et les pierres sont de bons copains. Ils ne gesticulent pas vainement comme les grandes fourmis. Les petites, elles, ont un but. Elles chatouillent mais sont aimables. Elles sont dans leur chemin. Les autres, celles-là, devant moi, je ne vois pas.
Je les observe pourtant changer, disparaître, et reconstruire au fil des âges, mais je ne les vois pas.
Je ne les comprends pas. Ce doit être ça.
Leur existence est si courte et leurs occupations si vaines. Des bribes de jour dans l'éternité de la nuit. Si futiles et mortelles... Jamais satisfaites.
Elles me tourmentent parfois, en m'enlevant des pierres pour les remplacer par de jeunes bleus, des enfants inexpérimentés. Pourquoi donc faire cela ? Je n'ai pas besoin de ces jeunots... Toujours trop brillants et pas encore figés....Simples pierres qui roulent. Je ne suis pas leur gardiens. Ils m'ennuient. Je les entends penser. Réfléchir. Questionner. Ils se posent les mêmes questions qui m'ont déserté il y a longtemps deja.
« Pourquoi l'immobilité ? Pourquoi m'a-t-on arraché à ma montagne Mère ? À ma terre première ? Ma carrière nourricière ?»
Ils comprendront. Avec l'immobilité vient la sagesse. Avec le temps l'esprit s'aiguise. Pierre qui roule n'amasse pas mousse. Ils comprendront. Comme j'ai compris.
Je suis moi. Me suis assagie. Sais qui je suis.
Mais ces fourmis qui gambadent à mes pieds ?
Comment l'expliquer...
Je ne sais toujours pas pourquoi elles pensent avoir une moindre importance.
Si brèves que soient leurs existences, elles pensent tout savoir du monde.
Inutiles.
Se donnent tant d'importance, ne comprennent pas la nature la plus facile des choses.
Croient que Pierre et Arbre sont semblables.
Sans cœur ni âme.
Ils se trompent. Je le sais.
Plusieurs familles de mousse et de lichen habitent mes murs.
Ils sont mignons. Ils s'enivrent d'humidité et de lumière, et souvent ils me bercent de leurs discrets gazouillis.
J'aime les entendre grandir. Ils me distraire et contrairement à mes petits frères penseurs, ne gémissent pas. Ils chuchotent entre eux, se racontent des histoires amusantes à propos de la lumière et de l'aube. De la pluie et du vent.
Les grandes fourmis ne les ennuient pas.
Seul le lierre, pauvre de lui, se voit souvent arraché à mon étreinte.
Je ne comprends pas.
Les fourmis pensent qu'il me gène.
Au contraire, il me tient compagnie. Le lierre est bien plus bavard que la mousse qui ne fait que murmurer. Même s'il faut reconnaître que ses histoires sont divertissantes. Quant au lichen, n'en parlons pas. Il passe son temps à grincer, comme un petit vieux. À ronchonner à propos du Nord et du froid. Je l'aime bien pourtant. Il est attachant.
Le lierre ne raconte ni d'histoires ni ne radote. Le lierre, lui, chante. J'aime l'entendre chanter. Il me distrait de mon immobilité... Alors pourquoi vouloir me l'arracher ?
Mais... Qui sont ces fourmis ?
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