Chapitre 1

Cause they will run you down, down til the dark
Yes and they will run you down, down til you fall
And they will run you down, down til you go
Yeah so you can't crawl no more

Way down we go – KALEO 

J'avale une énième gorgée de bière tiède. Assise sur mes genoux, une blonde à demi vêtue pose ses lèvres sur les lames de ma mâchoire. Sa bouche humide percute la mienne mais elle n'arrive pas m'arracher la moindre sensation. Je penche la tête en arrière, m'arrachant au baiser alcoolisé de ma partenaire. Je ferme les yeux un instant et me laisse bercer par la musique beaucoup trop forte, qui parvient presque à éteindre le flot incessant de mes pensées.

À mes côtés, Kade emplit ses poumons de fumée. Il aspire goulument sur son troisième joint de la soirée qui se transforme en cendres sous ses assauts continus. Lui aussi tente d'étouffer ses démons.

— Tu devrais ralentir, observé-je, avant de lui arracher les restes de sa roulée des doigts.

Je tire la dernière latte et m'affale un peu plus profondément dans le canapé.

— Tu fais chier putain, grogne-t-il avant d'avaler d'une traite le contenu de son verre.

La bimbo qui me chevauche dessine les contours des tatouages sur mon cou avec sa langue. Je palpe une de ses fesses à travers le pantalon en similicuir qu'elle porte pour tenter de réveiller mon érection, mais toujours rien. Pas le moindre signe d'excitation.

Autour de nous, la soirée bat son plein. Les gobelets rouges s'entassent dans tous les coins du salon. La table basse a disparu sous les bouteilles d'alcool et un épais nuage de fumée, où se mêlent tabac et cannabis, envahit la pièce.

À presque trois heures du matin, les esprits sont embrumés et les corps se rapprochent sur la piste de danse improvisée.

— Je me casse, balance Kade.

Il se lève. Tangue. Avance de quelques pas et chute dans le décolleté d'une rousse incendiaire.

— Bonsoir à vous deux, grommelle-t-il entre ses seins.

— Kade ?

Mon meilleur ami s'extirpe de la poitrine de la jeune femme et fixe pendant une longue minute son regard vert. Il ne semble pas reconnaître Elen et lui adresse un sourire salace.

— Enchanté, messieurs ! Je m'appelle Kade, ça vous dirait d'aller faire connaissance dans une chambre ?

Il tend sa main en direction de l'imposant décolleté dans une parodie de présentation et offre un clin d'œil équivoque à sa propriétaire.

— Bordel Kade, t'es complètement défoncé ! lance Elen avant de se dégager violemment.

Mon meilleur ami nage dans un brouillard de stupéfiants.

D'un geste, je repousse la bimbo qui a glissé ses mains sous mon tee-shirt et attrape le poignet de mon pote pour le traîner loin de la rouquine. Si lui n'a pas reconnu la petite rousse toujours collée à sa sœur, ce n'est pas mon cas. Je suis persuadé qu'il ne faudra pas très longtemps pour voir Aylild débarquer et je n'ai pas la moindre envie d'affronter les foudres de la cadette de Kade.

Je traverse la masse d'étudiants qui s'entasse dans le petit appartement et tire Kade vers la sortie. Ce dernier, qui était si pressé de partir quelques minutes plus tôt, traîne désormais des pieds et tente de s'arrêter dès qu'il aperçoit un verre sans propriétaire.

Ses doigts s'enroulent autour d'une bouteille de vodka presque pleine lorsque nous passons à proximité d'un buffet. D'un seul geste, il dégoupille le goulot et fait couler une longue rasade d'alcool dans sa bouche. Ses yeux papillonnent un instant et il me tend son nouveau trésor.

— Kade ! On rentre ! La fête est finie, tranché-je en refusant de boire.

— Len, depuis quand tu joues les rabats-joie ?

— Depuis que tu te défonces suffisamment pour nous deux, grogné-je.

Il s'arrête, s'arracheà ma poigne et darde son regard vitreux dans le mien.

— Saint Len, qui réduit sa putain de consommation pour surveiller le pauvre Kade ! Saint Len, qui pour une fois refuse un rail ! Saint Len, qui choisit d'arrêter la fête quand il le souhaite ! se met-il à crier au milieu du couloir.

Je m'approche de mon meilleur ami et pose mes paumes sur son torse qui se soulève à un rythme effréné. Il semble au bord de l'implosion.

— Laisse-moi te ramener, soufflé-je.

Il me repousse violemment. Sa mâchoire se contracte. Ses poings se serrent.

— Ne me dit pas quoi faire !

Sa voix, rocailleuse, hurle par-dessus la musique. Les visages se tournent dans notre direction.

— Kade ! grondé-je.

— Quoi ? Toutes ces putains de soirées de merde sont devenues trop bien pour toi ? aboie mon meilleur ami.

— Je...

— Tu penses que maintenant, tu vaux mieux que tout ça ?

D'un geste, il englobe l'ensemble de la salle.

— Que tu vaux mieux que la pouffe qui s'est trémoussée sur ta queue toute la soirée ?

La blonde peroxydée, désormais agrippée à un autre mec, baisse honteusement les yeux.

— Mieux que tous ces paumés ? Mieux que moi ?

Quelqu'un a éteint la musique. Les conversations ont cessé. Un silence lourd nous observe. Je peux voir la myriade d'yeux avides qui attendent patiemment leur lot de drame. Ils ont beau se gaver de séries Netflix, rien ne les excitent plus que de voir le malheur des autres.

Kade porte la bouteille à ses lèvres. Boit une gorgée. Une seconde. Une troisième...

Le liquide transparent dégouline sur ses lèvres. Sur son tee-shirt. Sur le sol. Et il continue à boire. Jusqu'à la dernière goutte. Puis, il balance la bouteille qui se fracasse contre le mur derrière-moi.

— Alors dégage Len ! Dégage et laisse-moi crever ici !

Kade fait demi-tour et s'engouffre dans le couloir. Je le vois disparaître derrière une porte qu'il claque avec fureur. Tous les fêtards continuent à me fixer.

— Le spectacle est terminé ! hurlé-je.

Les étudiants se détournent. La musique reprend. Les conversations murmurent à nouveau. Je glisse mes mains dans les poches de mon jean et m'engage à la suite de mon meilleur ami. Je ne frappe pas et pénètre directement dans la chambre dans laquelle Kade est parti se réfugier.

Allongé sur le lit, les bras en croix, il regarde le plafond.

— Qu'est-ce que tu fous encore là, Len ? grommelle-t-il alors que je m'assois à côté de lui.

— Je prends soin de mon frère déglingué.

Un rictus déchire ses traits. Le blanc de ses yeux est strié par des dizaines de fils rouges. Ses cheveux d'un brun profond se dispersent sur les oreillers.

— T'es presque aussi déglingué que moi, Len.

J'esquisse un sourire triste. Kade a toujours été le pilier de notre duo. Le sage, le lucide, celui qui m'empêchait de me noyer dans l'océan empoisonné de mon esprit, mais ça c'était avant. Avant le drame. Avant les mensonges.

— On va tous les deux couler si tu arrêtes de nager, soufflé-je.

Il sort un sachet rempli de pilules de son pantalon. Il bataille pour l'ouvrir, mais ses gestes sont incertains. Tremblants. J'ai envie de lui arracher sa poche de drogue, mais je n'ai jamais appris à lutter contre le courant.

Finalement, il y arrive. Il attrape un cachet coloré entre son majeur et son index et le porte entre ses lèvres à demi-close. Il déglutit.

— Alors prends une grande respiration, soupire-t-il avant de fermer les yeux.

Je récupère le pochon entre ses doigts. Tandis que je me prépare à sombrer avec Kade, la porte s'ouvre avec fracas. Dans l'embrasure, éclairée par les néons du couloir, Aylild me dévisage.

Avec son jogging gris déchiré et son sweatshirt beaucoup trop large pour sa frêle silhouette, elle semble tout juste sortie de son lit. Ses cheveux, aussi noirs que les miens, sont rassemblés en un chignon à moitié défait sur le sommet de son crâne. Ses iris noisette ponctués d'étincelles dorées alternent entre son frère, le pochon ouvert entre mes mains et mon visage. Ses lèvres pâles sont pincées en une fine ligne et je suis presque sûr que ses narines frémissent sous l'effet de sa rage.

Je laisse tomber le cachet que je m'apprêtais à avaler.

— Aylild, persiflé-je.

— Lennox.

Elle crache mon prénom sans prendre la peine de dissimuler tout le mépris qu'il lui inspire.

— Elen m'a prévenu pour Kade. Je suis juste venue le chercher.

Elle pénètre dans la chambre et repousse la porte derrière elle. Ce n'est pas la première fois qu'elle vient récupérer son frère au milieu de la nuit.

— J'allais le ramener à la maison, dis-je, alors qu'elle s'approche déjà du lit.

Elle hausse un sourcil.

— De toute évidence, lance-t-elle en désignant d'un mouvement de tête le sachet d'ecstasy toujours dans ma main.

Kade n'a toujours pas réagi à la présence de sa cadette. Ses globes oculaires s'agitent sous ses paupières closes. Aylild pose sa main sur la poitrine de son frère et s'approche de son visage avec une douceur déconcertante. Elle attrape son menton, entre ses doigts aux ongles rongés et l'appelle à plusieurs reprises.

— Kade ?

Aucune réaction. Au vu de la quantité d'alcool et de drogues qu'il a ingérée, il est inaccessible.

— Il est complètement défoncé, il ne se réveillera pas avant un bon moment.

Elle me jette un regard noir. Le même regard que j'essuie chaque fois qu'elle me croise en compagnie de Kade. Un regard qui pue la haine et les reproches.

Elle doit me prendre pour un démon, aussi sûrement que je suis persuadé qu'elle est un ange.

Elle ne me répond pas. Elle se contente simplement de glisser le bras inerte de Kade derrière sa nuque. Elle se penche vers l'avant pour essayer de soulever les quatre-vingt kilos de son frère, mais échoue lamentablement.

— Je vais le ramener.

Je me lève et me place à sa droite.

— T'en as assez fait. Je vais gérer, insiste-t-elle.

Elle réitère sa tentative pour soulever Kade, mais elle parvient à peine à le décoller du matelas. Son visage rougit sous l'intensité de l'effort. Quand elle parvient enfin à le redresser en position assise, elle relâche légèrement sa prise et Kade s'effondre à nouveau.

— Bordel de merde ! grogne Aylild.

Je pose ma main sur son épaule et la décale pour pouvoir manœuvrer. Dans un sifflement, elle s'arrache à ma poigne comme si mon contact l'avait brûlé.

— J'ai dit que je n'avais pas besoin de toi.

— De toute évidence.

J'attrape les jambes de mon meilleur ami et les coulisse sur le rebord du lit. Une vague de mauvais souvenirs m'assaillent à la vue du corps inerte et tordu de mon meilleur ami. Je secoue la tête pour les chasser et me concentre sur ma tâche. Je glisse mes bras sous les aisselles de Kade et le redresse d'un seul mouvement. Enfin, je le fais basculer sur mes épaules.

Je traverse l'appartement avec Kade sur le dos. Je repousse la porte d'entrée, descends les escaliers et m'extirpe enfin de l'immeuble. Un silence oppressant règne sur la ville. Le ciel commence déjà à s'éclaircir. L'aube est presque là.

À grandes enjambées, je rejoins la vieille carcasse qui me sert de voiture garée en travers du trottoir. Quand je pose ma main sur la portière arrière, la voix d'Aylild, qui a dû me suivre, retentit.

— Il ne rentre pas avec toi.

J'inspire une grande goulée d'air avant d'affronter l'expression orageuse de la petite brune. Postée à seulement quelques mètres de moi, elle me toise, sourcils froncés, visiblement prête à en découdre.

— Il rentre chez moi, insiste-t-elle. Dépose-le dans ma voiture et dégage, Lennox.

Le poids de Kade semble tripler sur mes trapèzes douloureux.

— Il vit avec moi Aylild. Laisse-moi le ramener. Je te promets que je le surveillerai.

— Comme tu l'as surveillé ce soir ?

Je baisse les yeux. Je sais qu'elle a raison de m'en vouloir, qu'elle a raison de ne pas me faire confiance, qu'elle a raison de ne voir en moi qu'un putain de poison.

— Comme tu l'as surveillé la semaine dernière ? Et la semaine encore avant ? continue-t-elle, de plus en plus fort.

Son corps se rapproche peu à peu du mien. L'air autour de nous crépite de sa colère et moi, je suis incapable d'affronter la tempête de ses yeux.

— Alors, Lennox, comment vas-tu le surveiller ?

Sa poitrine frôle désormais mon torse. Ses pupilles se glissent sous mon visage et attrapent les miennes.

— Tu es défoncé. Alors, s'il. Te. Plaît. Dépose mon frère dans ma voiture et dégage !

Son souffle se fracasse contre mon nez. Son haleine sent la menthe et le café froid. J'acquiesce sans un mot et la suis dans une des rues adjacentes. Quelques lumières piquètent le gris des immeubles : les premiers à se lever ou les derniers à se coucher. Aylild se poste à côté d'une mini cooper d'un bleu criard et ouvre la porte arrière. Je dépose doucement Kade sur la banquette et referme la voiture.

— Tu peux y aller maintenant, siffle-t-elle.

J'attrape son poignet, alors qu'elle me contourne pour grimper dans le véhicule.

— Comment tu vas le monter dans ton appart ? demandé-je.

— Je me débrouillerai.

— Aylild, bordel, laisse-moi t'aider.

Son corps se crispe.

— Je ne t'ai demandé qu'une seule fois ton aide, Len, et tu sais comment ça s'est terminé.

Je la relâche.

Elle se retourne enfin. Elle me regarde un bref instant, sans la moindre colère. Ses yeux ne sont qu'un puits sans fond de tristesse. Puis, elle se détourne.

— Je suis désolé, murmuré-je.

— Garde tes excuses, Len', plus personne ne veut les entendre.

Elle s'arrête un instant, secoue la tête et plonge dans son véhicule. Le moteur démarre. Aylild ouvre la fenêtre côté passager et alors qu'elle me dépasse, me lance :

— Reste loin de nous !

La voiture disparaît au coin de la rue et je reste encore de longues minutes à regarder le jour se lever et à ressasser les dernières paroles de la brunette. 


Voilà le premier chapitre de Redemption's Road ! Je voulais rentrer directement dans le vif du sujet avec un chapitre à la fois dur et intense. J'espère que vous aurez réussi à le ressentir de la même manière.

J'ai choisi un rythme de publication de deux fois par semaine pour cette histoire qui est toujours en cours d'écriture. Vous avez ici le premier jet de Redemption's Road donc n'hésitez pas à relever les petites choses qui peuvent vous gêner.

Merci à tous ceux qui prendront le temps de lire et d'aimer ce chapitre !

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