20) Christopher Bang : Cohabitation forcée
Ce n'est pas aussi rapidement qu'il s'attendait à être renvoyé dans sa cellule d'isolement. Il est vrai que le peu d'air frais qu'il avait eus dans son jardin ne lui avait pas fait de mal. S'il avait su, il aurait demandé un bain rempli d'eau froide, une eau gelée qui aurait fait se stopper cette douleur imaginaire qui lui broyait le dos et les omoplates jusque dans le cou. C'était toujours quand il voyait son père que la douleur imaginaire revenait et lui faisait vivre un putain d'enfer. Les traumatismes de son enfance lui pourrissaient la vie, jusqu'à la moelle.
La remarque acerbe de son frère après la première séance du procès avait provoqué tellement de haine en lui. Il n'y avait personne d'autre qui pouvait appeler Monsieur et Madame Bang 'une famille'. Et puis cette annonce devant tous ces partenaires commerciaux, quel foutage de gueule.
Christopher avait tant de raison de détester sa famille du plus profond de son âme, tellement de regrets d'être né dans cette famille qu'il aurait dû être celui qui a déguerpi et changé de nom. Son frère était vraiment hypocrite, toute la tristesse et l'injustice que ses parents ressentaient se répercutaient sur Christopher et lui-seul.
"On t'attend dans la salle d'interrogation." déclara un policier qui passait devant sa cellule sans aucune envie.
Le charmant détenu fut conduit dans une petite salle avec une table, des chaises et une anse en acier pour qu'il ne puisse pas bouger, attaché par une magnifique paire de menottes lustrées au préalable. Avait-il le droit de demander à les garder à la sortie ? Juste une petite envie personnelle...
L'officier Yang le retrouva là. Il était assis de dos et lisait un dossier d'une longueur et d'une largeur interminable qui le fit presque rire.
"C'est tout ce que vous avez sur moi, officier ? Ne me dites pas que vous commencez à fantasmer sur l'incroyable Christopher Bang ?"
Le policier lui demanda de s'asseoir en face et de ne pas parler pour rien. Même Jimin était plus réceptif à son humour alors qu'il était muet.
"C'est déjà bien assez pour vous faire coffrer pour plus de vingt ans."
L'officier Yang était - et non sans peine - l'officier chargé de s'occuper et de couvrir l'affaire Bang sous toutes ses coutures. Les dossiers et les non-dits qui entouraient ce type étaient encore plus présents et remplis qu'il n'y croyait. Il comptait bien sur cette enquête pour se propulser au rang de commissaire avant la fin de l'année et quitter Séoul pour de bonnes vacances méritées au bord de mer. Mais plus de jours passait, moins il avait de temps pour tout boucler et tout ça commençait à véritablement pencher en faveur du malfrat bouclé.
"Le procès a l'air de s'être bien passé. Les juges vous ont été favorables à ce que je vois."
"Aucune idée, je n'y étais pas. C'était ma doublure cascade." Dit-il ironiquement. "En revanche, j'ai bien assisté à votre venue à la petite garden-party que j'ai organisée."
Christopher se languissait d'attendre le jour où le corps de son opposant serait retrouvé mort à des kilomètres de chez lui.
"C'est ça... Vous n'avez toujours pas envie d'avouer Monsieur Bang ? Vous savez, ni vous ni moi n'avons envie d'être là."
Christopher ricana dans sa barbe. Tu m'étonnes qu'il n'ait pas envie d'être là, même la chaise sous son cul aurait préféré porter le fessier du grand Bang.
"Vous savez, M. Yang, si vous ne trouvez rien pour me faire enfermer, c'est peut-être parce que je suis un honnête citoyen. Est-ce que vous voulez vraiment continuer à harceler un honnête homme ?"
Le chef du Palace ne pouvait pas perdre la face contre un policier aussi merdique. Certes, on pouvait lui complimenter sa hargne et son entêtement à vouloir le faire craquer, mais il ne tirerait rien de lui.
Un homme de la brigade tapa deux coups sur la vitre teintée et l'officier soupira.
"Bon. C'est tout pour cette fois, mais je vous ai à l'œil Bang."
Christopher lui envoya un sourire ravi, qu'il n'eut pas en retour et quitta la pièce après avoir été démenotté — à son plus grand regret, il ne put les emporter chez lui.
Emily passa la porte d'entrée accompagnée du Chat et de Minho. Drôle de convoi qui le fit intérieurement rire. Trois individus aussi opposés que les points cardinaux se trouvaient réunis là.
Turner, il fallait bien l'admettre, incarnait à elle seule l'exemple de la justesse. Il était difficile de trouver une journaliste plus avide de vérité qu'elle. En contraste, Le Chat était un ancien escroc et un avocat condamné à se perdre sous des rails à cause de ses propres démons. Minho, pour simplifier, était une machine à tuer, un stratège réfléchi, visant les points douloureux et vitaux de manière implacable.
"Décidément, j'ai plus de visite ici que j'en ai jamais eu au Palace..."
Minho se mit près de la porte, appuyé contre le mur tandis que les deux autres se mirent face à lui. Christopher ne pu enlever ses yeux d'Emily. Elle se contentait de fixer le sol ou un de ses dix doigts sans jamais relever le regard.
"J'ai déjà mis Emily au courant de ce que nous avions convenu tout à l'heure. Elle a accepté de témoigner en ta faveur."
Christopher enfonça ses yeux dans ceux de son ancien ami qui ne semblait pas déconner.
Emily avait accepté de témoigner pour lui ? Pourquoi ?
Le dirigeant du Palace était pris au dépourvu. Il aurait dû anticiper cette situation. Pourtant, le regard effrayé d'Emily suscita en lui une fierté malsaine. Elle était finalement impressionnée. C'était comme si elle ne réalisait que maintenant la véritable nature de Christopher, et cela l'excitait au plus haut point.
"Yoongi."
Le concerné se tourna vers lui, intrigué qu'il l'appelle par son nom inutilisé depuis des décennies, mais Christopher ne le regardait pas, il fixait la jeune femme.
"Quoi ?"
"Occupe-toi de toute la paperasse et fais en sorte que l'autre casse-couilles me laisse tranquille."
Le concerné essaya de le contredire.
"Je ne le dirais pas deux fois, tu bouges ton cul et tu te débrouilles avec l'autre con de Yang."
L'ancien avocat, remis sur pied et motivé par dieu seul sait quelles raisons, se leva, soupira et partit vers un bureau sur lequel il était écrit OFFICIER YANG.
"Est-ce qu'un jour on saura pourquoi il tire toujours une gueule d'enterrement ?" Demanda Minho en se craquant les doigts. "Il fout encore plus le cafard que Han..."
"Minho..." interrompt son patron.
Le coréen leva les mains au ciel et partit lui aussi en murmurant un petit "oui oui patron" très peu convaincant.
"Ils sont venus avec la voiture." Précisa Turner qui ne savait pas où se mettre. "Vous voulez rentrer ?"
"Allons-y."
***
"Ce n'est pas le Palace." Affirma Emily qui le suivait en entrant dans la demeure de Christopher Bang.
"Bien vu Sherlock."
Il poussa la grande porte en bois à deux mains et déposa son manteau sur le canapé avant de soupirer. Il était claqué, à sec, jamais on ne l'avait autant éreinté.
"Je ferai ramener tes affaires dans la soirée, en attendant, tu peux t'installer dans le salon."
La journaliste papillonna du regard, incapable de savoir s'il faisait de l'humour ou non.
"M'installer... ici ?" demanda-t-elle en voulant être sûr qu'il n'avait pas dit n'importe quoi. " Vous ne voulez pas, enfin... " elle bégaya trois quatre mots en se triturant les cheveux mi-énervé mi-surprise de sa réaction. " Le Palace était très bien. Pourquoi vouloir me faire venir ici ?"
"Maintenant que Jungkook connait ton existence et qu'il a annoncé notre mariage, il serait bizarre que tu vives là-bas, et puis si je veux pouvoir te protéger, il faut que tu sois dans un endroit où je t'ai à l'œil vingt-quatre heures sur vingt-quatre."
Christopher leva un sourcil et tourna légèrement sa tête en essayant de se contenir. Avoir amené la seule femme qui lui fait tourner la tête dans sa propre maison n'était pas aussi facile qu'il l'avait imaginé. Il se sentait comme le chasseur dans Bambi et elle serait le faon sans défense qui se tient juste devant son arme.
Appuyer ou ne pas appuyer sur la détente ? Telle était la question.
Emily ne lui reprocha rien et partit s'asseoir dans le canapé. C'était inattendu de sa part, mais il en profita pour respirer quelques secondes.
"Et pour le procès ? Qu'est-ce qu'on fait ? Est-ce que tu fais vraiment confiance à ce 'chat' ?"
"Il se débrouille très bien, il est compétent malgré tout le reste."
"C'est un ami ?"
"Un ancien oui. Avant que tout ne dégénère et qu'il fasse tout foirer."
Emily était curieuse de sa vie et des gens qui l'entouraient. C'était comme si elle profitait de la porte ouverte pour en apprendre davantage. Elle lui demanda plus de détails et il ne l'en empêcha pas. Pour une fois, c'était agréable que quelqu'un s'intéresse à lui.
"On s'est connu au lycée, il faisait partie de ma bande de potes, plus vieux, mais c'était un type bien. Jusqu'à ce qu'il rencontre sa première obsession. Il a ce truc, le genre d'amour obsessionnel qui le rend complètement taré."
Emily le regardait avec une tête perplexe et il savait très bien que Yoongi n'était pas le genre de personne qu'on imagine fou amoureux.
"Son obsession, c'était à lui, sa personne, celui qui prévalait sur tout le reste, même lui-même. Et puis un jour, son trésor est allé voir ailleurs. Il ne l'a pas supporté. Il a pété un câble. Une histoire de merde."
Il ne voulait pas tout lui dire. En fait, il ne lui dit quasiment rien.
"Les gens font des choses folles par amour."
La voix d'Emily résonnait encore dans ses oreilles. Elle avait enfoncé ses prunelles dans les siennes. Il y eut un silence et il serra les dents avant de se lever. Il ne pouvait pas lui offrir ce qu'elle cherchait. Christopher n'était pas un homme bien. Il se mordit la langue. Les gens qui ne savent pas aimer ne devraient pas aimer, point barre.
"J'vais me doucher."
Arrivé dans la salle de bain, Christopher se confronta à son reflet dans le miroir. Une étrange nervosité l'envahissait, alimentée par la présence persistante de la jeune femme dans son esprit. Pourquoi hésitait-il à faire volte-face et à l'inviter à le suivre ? Depuis quand était-il devenu l'incarnation d'une vierge qu'il ne reconnaissait plus en lui-même ?
Il soupira profondément, comme s'il tentait de chasser les démons qui hantaient son esprit, et défit lentement les boutons de sa chemise. Évitant soigneusement son propre reflet, il se détourna de la vision dérangeante de son corps. Comment aurait-il pu imaginer, ne serait-ce qu'un instant, que quelqu'un puisse trouver ces cicatrices normales ? Sa propre image lui renvoyait une vérité brutale qu'il peinait à accepter. Emily ne pouvait pas être attirée par lui, ou alors, elle mentait.
Il saisit le flacon prescrit par le Dr Kim et se mit à appliquer fébrilement le produit sur ses épaules, son cou et le haut de ses omoplates, ignorant la douleur lancinante qui embrasait son dos. Ces endroits étaient les seuls qu'il pouvait atteindre, et leur traitement sommaire se répercutait cruellement sur sa souffrance.
"Est-ce que je peux entrer ?"
La voix de Turner, résonnant à travers la porte en bois de la salle de bain, figea Christopher sur place. Elle frappa doucement, comme pour s'assurer qu'il l'avait entendue, puis attendit, silencieuse, que le leader du Palace daigne lui répondre.
"Fais comme tu veux."
Sa réponse aurait dû être virulente, sale, cru. Rien ne lui vient à l'esprit. Timidement, elle poussa la porte, pénétrant dans son sanctuaire avec une réticence palpable.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top