15) Emily Turner : Au bord de la mer ...
La robe que monsieur Bang lui avait choisi mettait étrangement bien en valeur ses formes. Le dos nu, les bras partiellement couverts, elle aurait pu diriger le Palace sans la moindre hésitation. En passant devant le miroir de la salle de bain, elle aperçut la trace rouge autour de son cou et pâlit instantanément. Il faudrait la dissimuler.
Emily saisit un foulard, l'enroula en un nœud large pour ne pas irriter sa peau meurtrie et sortit enfin. Elle ignorait ce qui se tramait dans la tête de ce fou qui l'attendait quelque part, entre le rez-de-chaussée et la voiture. Plus le temps passait, plus elle croyait le cerner, mais c'était tout l'inverse. Il revenait toujours plus mystérieux qu'avant. Elle se rappela du regard empreint de haine, puis de cette lueur de détresse, comme un phare émergeant du brouillard, éclairant la voie pour des marins perdus.
Ses pas la guidèrent jusqu'à la porte d'entrée vitrée. Poussant la lourde plaque, elle s'engouffra dans le froid cinglant d'une nuit étoilée. Pas un nuage, seulement les étoiles et la lune pour lui montrer le chemin jusqu'à la berline noire qui l'attendait, impassible.
— Assieds-toi devant, lui dit-il en ouvrant la fenêtre conducteur, sa main dépassant avec une cigarette fumante.
Elle contournait la voiture et ouvrit la portière côté passager. L'intérieur était déjà chauffé, assez confortable pour lui offrir un semblant de sécurité.
— Où va-t-on ? demanda-t-elle.
— Tu verras, répondit-il d'une voix rocailleuse.
L'odeur de tabac l'assaillit, et elle ne put s'empêcher de trouver cela cliché. Son chauffeur la scrutait, terminant sa cigarette, comme s'il attendait une remarque ou un signe de sa part. Jamais elle ne s'était sentie plus prisonnière que dans ce siège en cuir brun, le dos collé à la portière lisse, ses jambes enserrées dans un étau métallique. Christopher avait dû s'en rendre compte, appuyant lentement sur le bouton de verrouillage centralisé avant de refermer la fenêtre après avoir jeté son mégot dans le caniveau. Il y eut un moment de silence, puis il plongea ses yeux dans les siens.
— Si tu attends que ce soit moi qui t'attache, on risque d'attendre longtemps ici, lança-t-il, brisant le silence pesant.
Emily sortit de sa torpeur et attacha rapidement sa ceinture, réalisant que c'était ce qu'il attendait depuis tout ce temps.
— Pardon.
Ce soir-là, elle était intimidée.
Christopher roula pendant une heure, puis deux, voire même trois, sans prononcer un mot. Ils étaient seuls dans la voiture, mais il n'y avait aucun sentiment de solitude. La chaleur réconfortante, la douceur du siège, et cette discrète mais persistante fragrance boisée du parfum masculin du conducteur berçaient Emily, l'empêchant de sombrer dans le sommeil. C'était calme, rassurant, comme se reposer au coin du feu, lovée dans une couverture avec des chaussettes douillettes.
— Sors. Emily sursauta, son visage à quelques centimètres de celui de Christopher. Elle avait déjà vécu cette scène, ses yeux sombres, son patron la surplombant, son regard perçant. Il avait fait le tour de la voiture et s'était penché pour la réveiller.
— Où sommes-nous ? La mer ?
Elle émergea de la berline noire et sentit immédiatement l'odeur du sel, le murmure incessant des vagues et la lueur tamisée des lanternes éparpillées sur le sable, entre divers restaurants et couples alentour.
Christopher se dirigea vers une petite maison aux murs blancs et toit bleu. Les volets vert bouteille étaient si voyants que même les plantes sur le rebord semblaient pâlottes, et l'avant-toit en bois noir ajoutait à l'étrangeté de l'ensemble.
Ils s'installèrent à une petite table près de l'eau. C'est toujours lui qui prenait l'initiative de s'asseoir.
— Pourquoi ? Toi, enfin... pourquoi ici ? hésita Emily, cherchant ses mots. On aurait pu simplement aller à un magasin ou à un barbecue, alors pourquoi faire tout ce chemin pour venir dans ce petit restaurant au bord de l'eau ? En plus, vous avez bu...
Elle resta sur le vouvoiement pour ce soir.
— Je tiens très bien l'alcool, répondit-il, laconique.
Emily fronça les sourcils. Ce type était le roi des réponses évasives. Un petit homme arriva près d'eux, regardant Emily avec un brin de surprise, voyant cette jeune femme assise là, les cheveux balayés par le vent et le bout de son nez déjà rosé.
— Comme d'habitude, s'il te plaît, dit Christopher. Emily cligna des yeux. Il venait de dire "s'il te plaît". Il esquissa même un sourire agréable, tenta un clin d'œil avant que le serveur ne s'en aille. C'était tellement inattendu qu'elle éclata de rire. Une explosion d'honnêteté surprenante, même pour elle.
— Vous souriez... ? rit-elle encore doucement. Le grand Christopher Bang est donc capable de sourire.
Il lui servit un verre d'eau et se servit également.
— Vous ne connaissez certainement pas tout sur moi, dit-il.
— J'ai plus de deux ans d'expérience, des centaines de dossiers, d'innombrables photos de vous, de votre vie et de tout ce qu'on peut y trouver, répliqua-t-elle en jouant avec son verre. Ne me sous-estimez pas.
Christopher s'adossa à son siège.
— Emily Turner, née le 24 octobre 1995. Journaliste à Five.ent depuis deux ans. Ah non, j'oubliais ! Ancienne journaliste. Vient d'une famille pauvre, aucun frère et sœur. Deux petits amis qui se sont tous deux suicidés après quelques mois, énuméra-t-il en avalant son verre tout en la fixant. Moi aussi, je vous connais, Turner.
Un jeu de regards s'instaura. Peut-être parce qu'ils étaient isolés, loin de tout, elle crut un instant qu'il était séduisant. Bien sûr, il avait un charme extérieur, un Don Juan, une surface séduisante. Ses cheveux bouclés, son sourire éclatant, ses fossettes charmeuses. Tout cela l'aurait attirée, mais à l'intérieur, au cœur du Palace et en lui, résidait une haine et une folie si profondes qu'elle se demandait comment elle avait pu survivre aussi longtemps.
Le serveur revint avec deux plats de fruits de mer, les disposa, puis resta immobile, figé sur place. Christopher sortit son paquet de cigarettes, en alluma une et l'approcha de ses lèvres rouges. Le serveur pointa Emily du doigt, puis regarda Christopher, intrigué. Christopher fit un signe affirmatif.
Le serveur continua ses gestes. Il fit un cercle avec son index devant son menton, puis le dirigea vers Emily, avant d'ouvrir la main devant son menton et de la bouger vers l'avant et l'arrière, puis il pointa le sol. Emily comprit vite qu'ils parlaient d'elle, vu l'expression surprise de l'homme.
Christopher lui répondit en se pointant du doigt, formant un "T" avec sa main en touchant son front, puis en faisant un mouvement vers l'extérieur. Il se désigna ensuite, puis fit un geste rapide vers l'avant avec sa main ouverte.
Pendant cette conversation visuelle, Emily murmura,
— Et moi ? Je suppose que je vais me faire voir...
Voyant leur échange sans bruit, elle reçut un regard désapprobateur de Christopher, qui présenta ensuite son ami.
— Emily, voici Jimin, un ami de longue date.
Jimin se présenta et signa une phrase interminable.
— Je suis désolée, je ne parle pas la langue des signes, avoua Emily.
Elle attendit une explication, espérant que l'un des deux hommes daigne lui donner des éclaircissements. Mais Christopher resta impassible, la regardant lutter sans broncher.
Finalement, Jimin leva les yeux au ciel, sortit son téléphone et tapa quelque chose avant de le lui montrer.
— C'est vraiment toi ?!
Emily voulut s'excuser pour sa réponse brusque, mais il hocha la tête avec un sourire timide, tapant autre chose.
Sur les lèvres, vraiment ? C'est impressionnant. D'accord, je ferais attention de parler lentement maintenant, dit-elle en lui prenant les mains. Encore merci de m'avoir soignée ce jour-là.
Jimin se tourna vers son autre client et signa vigoureusement avant de repartir dans la maison. Emily interrogea Christopher sur ce qu'il venait de dire, mais il haussa simplement les épaules avec un sourire ironique.
— Sérieusement ? Qu'est-ce qu'il a dit ? insista-t-elle, cherchant désespérément une réponse.
Mais il refit simplement ce qu'avait signé son acolyte. M'enfin dans les yeux d'Emily, ça ressemblait plutôt au signe pour "stop" en agitant sa main devant lui, puis des signes en faisant un mouvement de jeu avec ses mains. Ensuite il avait approché ses deux index comme pour faire un bisou. Après, il avait fait un geste pour ramener quelqu'un vers lui en enchaînant sur un S avec sa main en le faisant tourner. Ensuite, il se pointa puis fit un cœur avec ses mains. Il avait fini le tout en croisant ses bras devant lui, en montrant que tout allait bien avec ses pouces, puis en faisant un mouvement de saleté avec ses mains.
— Manges. Conclu-t-il simplement après avoir fini son cirque.
Le repas fut très copieux. Christopher lui avait expliqué que la mère de Jimin s'occupait du restaurant depuis des années et qu'il venait souvent par ici. Les deux jeunes hommes avaient grandi ensemble, allant à la même école et au même collège. Ils se sont perdus de vue quand Mr.Bang est entré au lycée, dans un établissement pour enfant fortuné. Il dit que c'est l'un des seul ami qu'il a gardé, Emily l'a cru directement. Il avait l'air particulièrement honnête ce soir.
Christopher avait proposé une balade sur la plage, une proposition qu'Emily n'avait pas refusée. Profiter du bruit des vagues et contempler l'immensité du ciel était une rare opportunité.
Le vent balayait le long manteau de son patron, lui conférant une aura impressionnante.
Soudain, sa voix rauque perça le silence, alors qu'il enchaînait cigarettes sur cigarettes. Emily se retourna pour le regarder. Il s'était arrêté, ses chaussures noires enfoncées dans le sable froid.
— Est-ce que tu sais te servir d'une arme ? demanda-t-il.
Emily, surprise, répondit,
— Pas du tout. Pourquoi devrais-je savoir utiliser une arme ? Je ne suis pas comme Han, toujours armé jusqu'aux dents.
Elle tenta de replacer une mèche de cheveux balayée par le vent, lorsque Christopher attrapa quelque chose dans son dos et lui tendit un pistolet.
— Vous n'êtes pas sérieux, là... s'étonna-t-elle.
Il lui plaça l'arme dans la main et fit un signe de tête, comme pour dire "Vas-y, tire." Mais Emily se sentit déconcertée, le poids oppressant du pistolet entre ses mains. Le millionnaire arqua un sourcil. Le silence s'installa, épais.
Finalement, elle prit le pistolet, le pointa sur lui, bras tendu, tremblante, le souffle court. C'était peut-être l'unique opportunité qui se présentait. Une seule balle pourrait le mettre à terre. Avec un peu de chance, elle récupérerait les clés et s'enfuirait avec la voiture.
Ses yeux communiquaient pour lui.
— Qu'est ce que t'attends ?
— Je pourrais vous tuer sur place, articula-t-elle. Il me suffirait d'appuyer sur la gâchette.
— Il suffirait, oui, répondit-il d'un léger signe de tête.
Elle tremblait tellement qu'elle aurait pu tirer involontairement. Christopher retira son manteau, laissant ses bras musclés à découvert. Il s'approcha, le pistolet contre son torse, là où son cœur battait frénétiquement, puis il s'immobilisa, plongeant ses yeux dans les siens.
— Je-Sa voix s'interrompit net.
Doucement, il glissa le long manteau sur ses épaules, la protégeant du froid hivernal. Ce geste, empreint d'une noblesse digne des plus grands gentlemen, même avec une arme pointée sur sa poitrine, fit reculer Emily. Profitant de son recul, il se plaça derrière elle, posant ses mains sur les siennes. Dirigeant ses mains vers une cible invisible, il appuya sur la détente.
Un son assourdissant retentit, la balle s'enfonça loin dans le sable, et le calme revint instantanément.
— Comme ça. Voilà, la félicita-t-il à voix basse près de son oreille. Tu vois quand tu veux.
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