Loki rejoint les Avengers

Loki n'avait pas prévu de se retrouver dans la Tour Stark au beau milieu d'une nuit aussi calme. Bien-sûr, il savait en quittant Midgard que ce n'était sûrement pas sa dernière apparition sur la petite planète bleue, mais rien ne pouvait indiquer au prince qu'il reviendrait aussi vite, surtout sans avoir une quelconque raison valable. Après tout, tout se passait bien : pour la première fois de sa vie, il avait eu droit à une solitude bien méritée. Pas celle qu'il avait toujours ressentie, le sentiment qu'on pouvait percevoir même au centre d'une foule, ce vide intérieur qui vous déchirait presque les entrailles et vous rappelait à chaque instant que vous ne comptiez pour personne et n'aviez pas d'épaule sur laquelle vous appuyer après un énième coup de poignard dans le dos de la part de la vie. Non, cette solitude ci l'avait quitté au moment où les Vengeurs lui avaient donné cette fameuse seconde chance. C'était un isolement physique, bien plus maîtrisé, qui l'avait finalement remis sur pied après tout ce qui s'était passé.

Il venait de passer deux mois dans une petite demeure sur Vanaheim, accepté des Vanes qui le laissèrent reprendre seul une force à la fois physique et mentale. La planète lui semblait la mieux indiquée, malgré le désir certain de revoir son frère biologique sur Jotunheim qui l'avait brièvement fait hésiter sur sa destination finale. Mais le silence et la solitude qu'il recherchait presque inconsciemment dans son indécision lui avaient finalement intimé d'éviter les connaissances lorsqu'il s'agissait de se poser et de réfléchir. Bien que cela ne soit pas vraiment de sa faute, mais plutôt la cause d'une enfance un brin traumatisante, Loki n'avait jamais été quelqu'un de très sociable, et il s'en serait bien trop voulu si sa confusion et fatigue intérieure d'après-bataille l'avaient brouillé avec Býleist avant même que les deux frères n'aient le temps de tisser des liens. Son dévolu s'était donc porté sur les dieux fertiles. Les Vanes avaient fait la paix avec Asgard il y avait longtemps de cela, et leur sagesse assurait au Jotun un environnement stable. Quant au nouveau roi de Jotunheim, il se promit tout de même de lui rendre visite plus tard, lorsque tous deux seraient prêts, afin d'avoir une discussion qui promettait d'être intéressante.

Loki serait probablement encore dans sa petite maison de pierre juste au bord du lac si son esprit n'avait pas fait des siennes. Mais une petite voix idiote, pleine de nostalgie et d'envie, l'avait forcé à se téléporter dans la Tour où tous dormaient sûrement d'un sommeil de plomb. L'expérience était toujours moins agréable que lorsqu'il utilisait le Bifröst, raison pour laquelle il évitait généralement de faire ainsi – la quantité de magie noire qu'il fallait pour se téléporter d'une planète à une autre le rendait particulièrement faible, et, même si ce n'était que l'histoire d'une minute ou deux, Loki n'appréciait pas beaucoup de se savoir vulnérable. Il était d'abord apparu dans le laboratoire de Stark, là où leurs deux fauteuils reposaient toujours. Le Jotun caressa le cuir sombre avec deux de ses doigts, s'étonnant presque de la froideur de la matière. Quelque chose lui disait que personne d'autre n'avait occupé cette place depuis qu'il était parti, et cette intuition lui faisait presque plaisir. Maintenant qu'il était là, il se rendait plus ou moins compte que oui, le milliardaire lui avait peut-être un peu manqué. Lui qui n'avait jamais considéré quelqu'un comme un ami auparavant avait parfois du mal à prendre conscience de ce genre de choses, encore moins à accepter de se l'avouer. Rien de trop préoccupant évidemment, et rien qu'il n'ait vraiment senti avant ce moment : en tant que dieu, deux mois n'était qu'un grain de sable dans le sablier qui représentait sa vie. Mais l'endroit lui rappelait de grandes conversations autour d'un verre, animées de remarques sarcastiques et de confessions plus ou moins sérieuses, et le sentiment que tout cela faisait bruler dans sa poitrine n'était pas forcément déplaisant.

Le prince utilisa ensuite sa magie pour se rendre dans la chambre de son frère. Il ne pensait pas vraiment l'y trouver, certain que le blond serait déjà rentré à Asgard, cependant Thor était bien là, à demi couvert par ses draps, la bouche légèrement entrouverte – incontestablement endormi. Cette fois-ci, Loki eut un petit sourire. Il fut un temps où lui et son frère, lorsqu'ils étaient encore petits, dormaient toujours ensemble. Le Jotun avait à cette époque pris l'habitude de se téléporter dans la chambre de son ainé lorsqu'il n'arrivait pas à se reposer, effrayé par le même genre de monstres dans le placard auxquels croyaient tous les enfants. Thor n'était que trop heureux de serrer son petit frère dans ses bras, ayant juré à ses parents de protéger son cadet, et ayant l'impression d'accomplir ainsi sa mission. Avec le recul, le Jotun observait à quel point leur relation avait changé avec une sorte de nostalgie amère. Et encore, son exil avait permis aux deux d'entre eux de se parler de nouveau, même si le prince devait bien avouer avoir passé la plupart de son séjour sur Midgard à ignorer son frère avec le plus grand soin. Il ne doutait pas une seconde du fait que Thor s'en soit rendu compte, son frère avait beau être parfois idiot, il n'en restait pas moins lucide sur tout ce qui touchait à sa famille – souvent au grand dam du Dieu de la Malice. Mais il ne pouvait tout simplement pas se résoudre à revenir vers Thor, et ce pour tout un tas de raisons. Déjà, il ne savait pas par quoi commencer, et puis il n'était même pas sûr qu'une relation aussi brisée soit réparable. Sans compter que, d'une certaine façon, faire la paix avec son frère voudrait dire prendre une part de responsabilité dans ce qui s'était passé, autrement dit, reconnaitre qu'il avait tord. Loki voulait bien se rapprocher des Vengeurs et même du blond, il voulait bien accepter ces nouveaux sentiments positifs qui l'envahissaient doucement mais sûrement, mais jamais il ne s'abaisserait aussi bas – il ne fallait pas pousser, non plus.

Après un instant encore à profiter des souvenirs lointains que la vision de Thor aussi inoffensif ramenait en lui – tout de même accompagnés de l'idée absurde d'étrangler le blond pendant qu'il était encore endormi ; on ne changeait jamais vraiment – Loki se rendit cette fois-ci dans le salon de la tour que tous semblaient tant affectionner, lui y compris au final. Evidemment, l'endroit était désert, seulement éclairé par la lumière naturelle du ciel nocturne que laissaient apercevoir les baies vitrées. Observant avec un certain intérêt la ville de New York qui s'étendait derrière le verre, les vitres donnant une vue sublime de cet endroit si différent de tous les autres mondes qu'il avait pu visiter, le Jotun commençait tout juste à apprécier le silence autour de lui lorsqu'une voix qu'il reconnut sans peine retentit.

- C'est pas que je suis pas content de te voir, Cornes de Bouc, mais t'aurais pu choisir autre chose que trois heures du matin pour débarquer.

Stark n'avait visiblement pas jugé important de se changer, portant un débardeur noir qui laissait transparaitre la lumière bleue du réacteur Arc et un short de pyjama. L'image du milliardaire face à face au Jotun qui de son côté portait une version plus simpliste de son éternelle armure devait être assez comique, même si ni l'un ni l'autre ne s'en souciait vraiment. Ils échangèrent un sourire à la fois complice et amusé, Stark ne semblant pas le moins du monde agité par la présence du Dieu de la Malice et ancien ennemi dans son salon. Loki aurait presque pu jurer que le milliardaire s'attendait à sa visite, ce qui le fit doucement rire. Etait-il vraiment si prévisible ?

- J'étais pourtant certain que vous seriez encore debout, ça n'aurait pas été la première fois, répliqua le prince avec un regard appuyé vers son interlocuteur.

Loki n'était peut-être pas la mère de Stark, ni la personne la plus apte à se soucier de son état de santé, cependant le Jotun n'était pas dupe. Le milliardaire buvait trop, ne dormait presque pas et était la cible de cauchemars et de crises d'angoisses affreuses. Il avait clairement besoin de quelqu'un pour le secouer un peu et lui dire que tout allait bien se passer. Le pire était sans doute que personne d'autre ne semblait le remarquer. Tony était doué pour jouer le playboy narcissique, mais ce don le desservait sans doute plus qu'il ne l'aidait.

- Je dors mieux depuis Jotunheim.

Loki n'ajouta rien, se contentant d'un petit hochement de tête compréhensif. En quittant Midgard après l'attaque des Chitauris, il ignorait que le milliardaire avait été sévèrement traumatisé par ce qui s'était passé. Mine de rien, c'était quand même le Jotun qui avait subi le plus de dommages physiquement parlant. Ce fut lors de leurs discussions nocturnes qu'il apprit l'existence de l'angoisse permanente du Vengeur de mener à la perte de leur petite équipe de superhéros en ne sachant comment se défendre contre le reste des neuf mondes. Autant dire qu'il s'était senti légèrement coupable, presque mal pour le milliardaire. De ce fait, il était assez soulagé de savoir que le fait d'éliminer Thanos – qui, Stark et son cerveau de génie l'avaient compris depuis un moment, était toujours au centre des opérations – lui avait fait retrouver une certaine quiétude. Il arrivait même à dormir, semblait-il, ce qui était plutôt conséquent comme changement. Et maintenant que Stark lui disait cela, Loki pouvait effectivement constater l'absence des habituels cernes sous les yeux de milliardaire.

- Un verre ? proposa ensuite Stark en se rapprochant du bar.

- Voila au moins une habitude que vous avez gardée, plaisanta le Jotun. Cela dit, j'accepte pour cette fois.

Quelques minutes plus tard, Loki était assis à côté du milliardaire dans son canapé probablement très cher, un verre d'alcool à la main. Ce n'était sans doute pas très raisonnable à cette heure tardive, cependant il avait appris à encaisser pire que ça sur Asgard, et quand bien même, depuis quand le Jotun se préoccupait-il de ce qui était convenable ou non ?

- Alors, Roi des glaçons, que me vaut cette visite ?

Loki se trouva muet devant la question du milliardaire. Lui-même ne savait pas vraiment ce qu'il faisait là, alors expliquer cette confusion un peu trop pressante à Stark...

- Ouais, je vois, soupira finalement le propriétaire des lieux après avoir compris que le prince ne répondrait pas. Tu as réfléchis à ma proposition, au moins ?

Le Jotun fronça tout d'abord les sourcils, encore plus perdu. Il ne mit qu'une demi-seconde à comprendre ce que voulait dire son interlocuteur, et finit par ricaner. Le milliardaire était incorrigible, pour le meilleur et pour le pire.

- Vous devez vraiment être désespéré pour venir me demander une telle chose. Un peu fou également – pas d'une folie très saine, je le crains.

- Je suis un savant fou, Cornes de bouc, pas Gandalf.

- Qui ça ? interrompit l'intéressé sans comprendre la référence.

- Oublies ça, se moqua gentiment Stark. Toujours est-il que faire des plans désespérés, c'est un peu mon domaine d'expertise. Et quand bien même, aussi bizarre que cela puisse paraître, tu es loin d'être aussi mauvais que tu le prétends.

- Peut-être bien... Cela ne veut pas dire que je ne refuserais pas toutes vos règles idiotes ou que je ne mentirais pas constamment à votre cher directeur.

- Parce-que tu crois que je fais quoi, moi ?

- Je ne tiens qu'à ma survie, ne comptez pas sur moi pour vous sauver la vie lors d'un combat.

- Et ce qui s'est passé il y a deux mois ? Tu te contredis, Cornes de bouc.

Bon, peut-être qu'il avait effectivement pensé à préserver la vie des Vengeurs en se livrant à Thanos. Et peut-être qu'il était plus que prêt à recommencer si la vie du milliardaire ou de Barton – c'était fou ce que quelques conversations pouvaient réparer, au final – était menacée. Mais il savait désormais que les Avengers tenteraient de le récupérer et qu'il y avait une chance qu'ils y parviennent. Si les choses tournaient, et le Jotun assumait pleinement sa pensée, il n'était pas sûr de rester du même avis. Lui qui avait tant de fois expérimenté la mort, volontairement ou non, savait qu'il n'y avait rien d'agréable à perdre la vie. Et ce même lorsqu'il y avait plus de chance de survivre que de réllement y passer, c'était dire. 

- Je vais continuer à fuir Thor comme la peste.

- Menteur, je ne vous donne pas un an avant d'au moins échanger quelques ordres dans une oreillette.

Et c'était, au final, tout ce que Stark lui demandait de pouvoir faire s'il rejoignait l'équipe. Tout comme le prince s'en doutait, le milliardaire se fichait pas mal de savoir si les deux frères se retrouvaient autour d'un brunch tous les dimanches ou s'ils s'envoyaient des menaces de mort par pigeons voyageurs.

- Si l'ennemi semble victorieux, je n'hésiterais pas une seconde à troquer votre petite bande de justiciers. Question de survie, encore une fois.

- Alors on s'assurera de gagner.

Loki lança un regard blasé au milliardaire qui avait presque l'air d'avoir préparé ses réponses à l'avance, comme un bon petit premier de la classe. C'est que sa proposition était tentante, en plus. Presque trop enviable pour le Jotun qui commençait lentement à considérer la proposition avec plus de sérieux. Après tout, qu'est-ce qu'il avait à perdre ? Lorsqu'on y réfléchissait bien, l'idée semblait assez intéressante.

- Les autres ne seraient pas d'accord, argumenta encore le Jotun sans grande conviction.

- Oh, tu serais surpris. Steve et Bruce t'estiment beaucoup depuis ce que tu as fait, tu as la confiance du Captain et le respect de Banner. Tu sais aussi bien que moi que Clint sera entièrement d'accord, tout comme Thor. Quant à Natasha, elle a beau t'aimer autant que le KGB, elle ne sera pas contre quelques pouvoirs en plus dans l'équipe.

Le prince se détourna du milliardaire, fixant de nouveau New York par la fenêtre. Au fond, il avait déjà pris sa décision. Il n'avait rien à craindre des ennemis humains qu'affrontaient les Vengeurs : s'ils pouvaient évidemment lui causer de sévères dommages comme l'avait fait Hulk, ils ne risquaient pas de le tuer. S'il s'avérait que les héros doivent se battre contre d'autres peuples de la galaxie, il pouvait là encore en supporter beaucoup, et même si ce n'était à un moment ou un autre plus le cas, rien ne l'empêchait de mettre fin à son alliance avec Midgard. Il avait été parfaitement honnête avec Stark, et ne comptait pas faire de promesses qu'il ne pouvait tenir. De plus, ce n'était probablement l'affaire que d'une cinquantaine d'années tout au plus. Les Vengeurs n'étaient pas immortels – réflexion qu'il ne savait comment prendre, à la fois déçu, presque triste, et légèrement soulagé d'un engagement à court terme – et finiraient presque tous par périr, tout comme Fury et le reste de leur organisation. De cette façon, rejoindre les Avengers ressemblait presque à une partie de jeu particulièrement mouvementée. Brève, mais suffisamment importante pour qu'on puisse tout de même avoir le temps de s'amuser.

Et puis mince, se battre aux côtés de Stark, Barton et même le reste de l'équipe était plus que plaisant. 

- J'imagine que votre directeur sera ravi de pouvoir m'avoir sous les yeux... murmura presque le Jotun, plus à lui-même qu'à Stark.

- L'œil, rectifia Stark. Et dois-je comprendre que c'est un oui ?

Après une dernière hésitation, Loki hocha la tête, un demi-sourire sur les lèvres. L'air satisfait de Tony lui fit presque rouler des yeux, mais il se contenta de se rassoir sur le canapé avant d'attraper son verre à moitié plein laissé sur la table basse.

- A une décision que nous allons probablement tous regretter, lança-t-il en levant son verre.

Il avala le reste du liquide ambré d'une traite, bientôt imité par le milliardaire. La douce chaleur de l'alcool lui réchauffait presque la poitrine. Ou peut-être était-ce quelque chose d'autre, quelque chose de bien moins logique. Loki ignorait dans quoi il s'engageait, il ne savait pas s'il allait tenir cette décision prise sur un coup de tête ou si c'était quelque chose de raisonnable. Une chose, cependant, demeurait certaine. Le Jotun ne risquait pas de s'ennuyer.

Et, au final, c'était peut-être bien la seule chose qui comptait pour le moment.