17. Règlement de compte
Le Jotun fixa le vieux roi, immobile. Il y avait tellement de choses qu'il voulait dire, tellement de – peut-être bien pour la première fois de sa vie - vérités qu'il voulait cracher qu'il finit par ne rien lancer du tout, presque paralysé. Trop de choses se bousculaient derrière ses lèvres closes, et ce fut finalement Odin qui rompit le silence pesant sur leur tête.
- Loki, que s'est-il passé ?
Ce dernier, bouillonnant toujours intérieurement, ne put que ricaner doucement. Pas une seule note d'humour ne rythmait cet écho. L'incompréhension du vieux roi ne fit que rendre son rire plus long, et il dut prendre sur lui afin de contenir la haine et le dégoût que lui inspirait en cet instant son père adoptif. Après tout ce qu'il avait enduré, tout ce qu'il avait fait pour tenter de se racheter et la façon dont il avait failli mourir, voilà qu'il était encore supposé savoir ce qui lui arrivait. Il n'était pas venu à l'esprit d'Odin que le Jotun n'était pas plus maître de ce qui lui arrivait que lui ? Il ne s'était jamais dit que, peut-être, toutes ces années de mensonges et de sentiments partagés lui avaient fait perdre le contrôle de sa propre existence ?
- Vous, répondit-il finalement avec une grimace, mais pas une nuance d'émotion dans la voix. Vous, vos exils et votre stupidité, voilà ce qu'il s'est passé ! Et vous agissez encore comme si tout était de ma faute. Mais ça l'est probablement, après tout. C'est vrai, c'est moi Loki, moi le monstre. Pourquoi chercher un autre coupable lorsque je me tiens encore debout ?
Thor fit un mouvement vers Loki, sans doute pour poser une main sur son épaule d'une manière réconfortante, cependant le Jotun anticipa la chose et s'éloigna de lui. Odin ne sembla pas répliquer, d'un calme olympien, ce qui ne fit qu'agacer le prince qui sentit un semblant de larme se glisser dans ses yeux. Tant qu'il y restait, il n'y voyait pas d'inconvénient, cependant rien n'était moins sûr. Tout comme il n'aurait jamais pleuré devant tout ce beau monde, il n'aurait également jamais perdu son masque de vanité et de détachement avant aujourd'hui. Mais il était fatigué, tout autant physiquement que mentalement, et il ne voulait plus que faire comprendre au neuf mondes ce qu'il ressentait, au lieu de les laisser ne serait-ce qu'une seconde de plus le dévisager comme s'il n'était qu'une abomination.
- Mais en vérité, nous savons tous les deux qui blâmer, pas vrai ? continua-t-il, préférant encore s'entendre déverser sa haine plutôt que de subir le silence glacial qui semblait s'être abattu autour de lui. Vous jouez au roi avisé sur votre trône entouré de vos sujets, tout en étant incapable d'élever ou de protéger vos enfants. Enfin, votre enfant, pardon. J'avais oublié qu'il vous arrivait aussi de voler ceux des autres. Et tout ça pour quoi ? En faire un faire-valoir pour la véritable chair de votre chair, en espérant qu'il ne lui prenne pas l'envie de questionner cette cruauté ? Et bien, c'est trop tard. Et si cette faille dans votre plan a également fait des dégâts, vous ne pouvez vous en prendre qu'à vous-même.
- Loki... tenta de répondre Odin.
- Quoi donc ? Ce n'est pas ce que vous pensez, je suppose ? Je mens, je déforme la vérité, comme toujours. Après tout, je suis le Dieu des Mensonges et de la Fourberie. Que vaut ma parole contre celle du Père de Toute Chose ? Enfin, pas le mien, encore une fois. Et vous ne pouvez pas imaginer à quel point cela me soulage. On dit qu'on finit toujours par ressembler à ses parents : tu as du soucis à te faire, Thor.
Ce dernier regardait le Jotun avec des yeux ronds, ne sachant comment répondre à cette soudaine colère qui, bien que visible dans les yeux et le léger tremblement de voix qu'il laissait parfois échapper, n'était pas le moins du monde perceptible en surface, caché par le ton et la mine hautaine et froide du jeune homme. S'il n'avait rien eu à perdre, Loki aurait congelé le vieux roi juste après le Titan, cependant il avait encore un peu de bon sens et aurait trouvé cela idiot qu'il y ait tout de même d'autres morts après tout ce qu'il avait fait pour les éviter.
- As-tu autre chose à me dire, ou puis-je répondre à tes interrogations ? lança finalement Odin avec cet oh-combien agaçant sourire paisible.
Puis, lorsqu'il vit que le Jotun ne répondait rien, se contentant d'hausser un sourcil dans sa direction :
- Nous aurons tout le temps de parler de toi et ton frère plus tard, cependant il y a une chose que tu ne devrais pas oublier : tu allais mourir lorsque je t'ai recueilli. Si ta haine doit avoir...
- Excusez-moi ? Hum... Roi d'Asgard, c'est cela ? Vous pensiez que Loki allait mourir ?
Býleist s'était avancé aux côtés de son frère, l'air amusé.
- Mon frère n'allait pas mourir, roi d'Asgard. Enfin, excepté si vous lui aviez tranché la gorge, ce qui se serait sûrement passé si mon père ne l'avait pas laissé là, n'est-ce pas ? Cela vous a peut-être échappé, mais les Jotun ne craignent pas le froid. Même pas Loki. Il vous a sans doute paru chétif, mourant même, mais son manque de force physique est comblé par ses pouvoirs – non les vôtres, mais ceux de la glace. C'en est ainsi pour tous les membres de la famille royale, et si mon frère a été laissé sur ce rocher, je suis certain que mon père avait une bonne raison de l'abandonner ici.
Odin resta un instant sans trop savoir quoi dire, l'air surpris par ce qu'il venait d'apprendre. Loki leva les yeux au ciel, décidemment les asgardiens ne savaient rien des autres peuples, et cela ne jouait pas en leur faveur.
- Je... Je l'ignorais, finit par avouer le Père de Toute Chose.
- C'est bien ce que je pensais, répliqua l'autre avec un sourire. Cependant, ne le prenez pas personnellement, que vous ayez « sauvé » Loki prouve que vous n'êtes pas quelqu'un d'entièrement mauvais.
L'intéressé ne partageait pas spécialement cette opinion, vu ce pourquoi le vieux roi l'avait gardé, mais il resta silencieux.
- Enfin, cela ne change pas notre affaire : cette histoire mérite un autre environnement et un peu plus d'intimité, se reprit rapidement le Père de Toute Chose.
- Oh, ne vous gênez pas pour nous, personnellement je trouve tout ça très intéressant, lança Tony.
Et l'air amusé du milliardaire confirmait sa remarque : il avait effectivement l'air de trouver ce petit règlement de compte très attractif. Remarque qu'Odin, au passage, ignora royalement.
- Quant à ce qui s'est passé ces derniers jours... Et bien, d'après tes prouesses d'aujourd'hui, je suppose que tu as appris de tes erreurs. Il n'y a rien à ajouter. Saches simplement que je ne souhaitais pas que les choses prennent cette tournure : j'étais prêt à intervenir lorsque ton ami midgardien a manqué de te tuer.
- Attendez, quoi ?
Loki soupira. Evidemment, il fallait qu'Odin le plonge encore plus profondément, et ce même lorsqu'il avait enfin réussi à se sortir la tête de l'eau pendant quelques temps. Ils ne pouvaient pas faire comme tout superhéros une fois le travail fini, quitter le champ de bataille après une dernière réplique qui serait citée des dizaines de fois après ça. Non, il fallait que ça se finisse en accusations et autres révélations. S'il devait bien avouer qu'il avait un peu démarré l'évènement, cela ne donnait pas le droit au vieux roi d'être aussi indiscret. Thor, qui venait de prendre la parole, ne mit pas longtemps avant de finalement relier les éléments entre eux et de se tourner vers Clint. Ce dernier subissait déjà les regards des quatre autres Vengeurs qui étaient encore une fois visiblement plus développés mentalement que son frère adoptif.
- Clint ? interrogea finalement l'espionne russe, sachant qu'il valait mieux que se soit elle qui s'en occupe plutôt qu'un des idiots qu'ils avaient pour partenaires.
L'intéressé tourna la tête vers Loki, ne sachant que dire ou même s'il devait dire quoique ce soit. Le Jotun se contenta de hausser les épaules, l'air plus ennuyé qu'autre chose. Après tout, au point où il en était, admettre qu'il avait peut-être eu la brillante idée d'en finir à un moment ou un autre n'était qu'un détail.
- Ben... Disons que je l'ai peut-être un peu aidé à glisser ? lança Barton avec hésitation.
Ses yeux passèrent brièvement sur Thor, parce-que bon, l'archer n'avait pas trop envie de se battre avec le blond juste après ce qui venait de se passer. Ce dernier semblait partagé entre la confusion et la déception. Après un instant de réflexion, il roula presque des yeux, et son regard se tourna vers Loki.
- Qu'est-ce que tu as dit, Loki ?
Puis, lorsque l'intéressé lui donna un faux regard interrogateur :
- Qu'est-ce que tu as dit pour que l'ami Barton manque de te tuer ? Je ne suis pas dupe, mon frère. Je te connais assez pour savoir que si tu n'as rien dit, c'est que l'idée vient de toi, même si je ne comprends pas entièrement pourquoi.
- Peu importe ce que j'ai pu dire, le résultat est le même. Et la mort était bien plus séduisante que la perspective de rester un simple mortel pour le reste de cette pathétique existence, mais tu ne comprendrais rien de tout cela.
- Effectivement, je ne comprends pas. Ce genre d'actions ne te ressemble pas... Tu n'es pas suicidaire, si ?
- Je rêve, rit de nouveau le Dieu de la Malice. Non Thor, je ne suis pas suicidaire, même si j'ai plus d'une douzaine de raisons de l'être. Ce qu'il s'est passé avec Barton était un incident qui ne se reproduira pas, alors perds cet air de pitié profonde insensé. J'imagine qu'Heimdall n'a pas manqué de me surveiller ?
L'attention du Jotun était de nouveau sur Odin. Ce dernier eut un petit sourire.
- Il a été mes yeux et mes oreilles, je l'admets. Cela dit, je ne serais pas là s'il ne m'avait pas averti dès qu'il a vu que les choses tournaient en faveur de Thanos.
- Et j'imagine que vous ne pouviez pas arriver plus tôt ? intervint Stark.
- En tant que roi, le peuple d'Asgard est ma priorité, midgardien. Je ne puis risquer une guerre sans en avoir la plus pressante obligation.
- Dis-moi Cornes de Bouc, t'as le père de l'année.
Loki eut un petit sourire et lança un regard reconnaissant et amusé au milliardaire. Bien-sûr, Stark ne pouvait que comprendre ce que cela faisait de savoir qu'on ne pouvait compter que sur soi-même. De nombreuses discussions dans leurs fauteuils au fond du laboratoire lui avaient appris que son père tenait bien plus à son image qu'à son fils. Pour la première fois, face à son père adoptif et ses paroles affutées, il avait l'impression d'avoir un allié. Rien n'était plus gratifiant que ce sentiment là.
- Pour en revenir au Titan Fou, reprit Odin en ignorant toujours le milliardaire, j'ignorais ce qui s'était passé. Heimdall ne te voyait pas et j'ai attribué ce que tu as fais à une colère qui ne t'appartenait pas, je le reconnais. Ta sentence aurait été levée, si ce n'était pas déjà le cas.
Un nouveau silence s'abattit sur le palais de glace. Loki n'attendait pas qu'Odin s'excuse, il savait que ce que venait de dire le vieux roi était le plus proche pardon qu'il obtiendrait aujourd'hui. Cependant, il se rendit compte que cela ne le dérangeait pas. Son père adoptif en avait suffisamment dit pour qu'il comprenne que son erreur le dérangeait d'une manière ou d'une autre, et il se contentait de cela. De toute façon, il n'en attendait plus beaucoup d'Odin. C'est sans doute pour cela que ses prochains mots le surprirent autant.
- Quant à ce que tu as fait aujourd'hui... Tu disais vouloir me rendre fier. Et bien je suis fier de toi, mon fils.
Cette fois-ci, les yeux du Jotun ne manquèrent pas de le trahir. Une larme salée lui échappa avant qu'il ne puisse reprendre ses esprits, glissant nonchalamment le long de sa joue pâle avant de rejoindre le sol glacé. Et s'il put ensuite retrouver une expression neutre, il n'arriva pas à retenir son sourire, lançant un petit hochement de tête à Odin. Il avait beau se dire que l'opinion du vieux roi ne lui importait plus, elle ne manquait tout de même pas de répandre une chaleur étrange dans sa poitrine, une joie qu'il n'avait jamais vraiment connue. Et, s'il se méfiait assez de cette nouvelle sensation pour se promettre de la bannir rapidement, il s'accorda tout de même un moment pour apprécier les paroles de son père adoptif, entouré du froid de sa planète natale, de ses deux familles - peu importe à quel point elles pouvaient être dysfonctionnelles - et de ses alliés d'un jour.
Et, pour la première fois de sa vie, personne ne lui refusa ce moment de faiblesse.
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