10. Nouvelle camarade

La jeune fille passa la tête dans l'entrebâillement de la porte. Rien à faire, l'inconnu dormait toujours. En même temps, qui pouvait lui en vouloir, vu les blessures avec lesquelles elle l'avait trouvé ? C'était d'ailleurs presque un miracle qu'il ne soit pas mort d'hémorragie bien avant son arrivée. Enfin, elle disait ça, elle n'était pas médecin non plus, du moins pas encore. Ce n'était que des suppositions, ainsi l'idée que l'homme ne soit pas humain ne lui avait pas traversé l'esprit ne serait-ce qu'une seconde, de même qu'elle ne l'avait absolument pas reconnu. Après tout, elle devait l'avoir vu une fois à la télévision, pas plus.

Refermant doucement la porte afin de ne pas réveiller celui qui occupait son lit depuis avant-hier soir – elle avait dû dormir dans le canapé inconfortable du salon à cause de lui, elle espérait qu'il lui paierait au moins une glace une fois debout – la jeune fille retourna dans le séjour. Ce dernier était désert, et donc totalement silencieux. Elle attrapa la télécommande et la pointa vers la télévision en face d'elle, allumant l'écran puis tapant une chaine au hasard. Elle tomba sur une série télévisée américaine, comme pas mal de séries finalement, et se laissa tomber dans le canapé en soupirant. Elle ne comptait pas suivre l'émission, mais elle détestait le silence. C'était avec le bruit qu'on voyait qu'il y avait de la vie, pas vrai ?

S'ennuyant déjà, mais s'obligeant à rester à la maison au lieu de partir sur la plage afin d'être là lorsque l'inconnu se réveillerait, la jeune fille appuya ses deux coudes sur la table basse, la tête soutenue par ses poings. Elle pouvait presque voir son reflet dans le meuble fait de verre, ce qui semblait être une grande mode en cet été 2012.

C'était une adolescente aux cheveux noirs de jais, coupés à la garçonne, avec une mèche sur le côté gauche qu'elle devait régulièrement repousser loin de ses yeux. Mais même avec sa coiffure, elle faisait tout à fait féminine. Elle était un peu petite pour ses dix-neuf ans, et était régulièrement prise pour une mineure, mais cela ne la dérangeait pas vraiment. Au départ, elle en était vexée, mais il fallait croire qu'elle avait pris l'habitude de recevoir ce genre de réflexions. Sa peau était légèrement halée, de part ses origines et le temps qu'elle passait au soleil, et contrastait avec ses yeux verts. S'il fallait résumer tout cela en une phrase, on aurait dit qu'elle était jolie, mais peut-être un peu enfantine. Et, comme ceux qui la rencontraient le découvraient rapidement, sa personnalité n'arrangeait en rien cette impression un brin insouciante.

C'était donc à quoi ressemblait Mercedes Alarco, étudiante à l'université et absolument ignorante du fait qu'elle hébergeait en ce moment même un Dieu du Chaos, Géant des Glaces et criminel sur les bords.

En parlant de l'inconnu, du bruit commençait à se faire entendre depuis la chambre de la jeune fille, qui ne mit qu'une seconde à se lever et à se diriger vers cette dernière. Lorsqu'elle ouvrit la porte, elle ne put s'empêcher d'écarquiller les yeux. Non seulement l'homme avait enlevé les bandages de fortune qu'elle lui avait passé autour de la tête après avoir nettoyé sa blessure au front, mais il n'y avait plus rien en dessous. Une blessure comme celle qu'il avait ne se soignait pas en deux jours, quand même !

- Euh... Bonjour ?

L'inconnu sembla enfin se rendre compte de la présence de Mercedes, étant auparavant trop occupé à tenter d'observer son dos dans le miroir à pieds de la chambre. D'ailleurs, il était par conséquent torse nu, et l'étudiante ne put s'empêcher de se rincer un peu l'œil. Il n'était pas particulièrement musclé, mais possédait tout de même des abdominaux largement suffisants qui au final allaient parfaitement avec son corps fin. Enfin, là n'était pas le sujet.

- Combien de temps ai-je dormi ? demanda rapidement l'homme, comme pressé par le temps.

- Deux jours, plus ou moins.

Le regard qu'il lui donna ensuite lui fit franchement peur. On aurait dit qu'il était poursuivi par le Diable lui-même. Sans un mot de plus, l'inconnu commença à se rhabiller, débarrassé de ses bandages et, plus inquiétant, de ses blessures. Il n'y avait même pas de cicatrice, alors que n'importe qui aurait trouvé évident que de tels dommages laissent des traces.
L'idée que l'homme était en train de s'habiller en vitesse afin de partir n'avait même pas effleuré l'esprit de Mercedes, qui fut donc surprise lorsqu'il la poussa pour sortir de la chambre avant de se diriger vers la porte.

- Hey, qu'est-ce que vous croyez faire ? lança-t-elle donc en se mettant entre la sortie et l'inconnu.

Elle ne reçut rien d'autre qu'un haussement de sourcil, comme si le fait que partir comme ça, sans remercier ou expliquer quoique ce soit à une personne qui vient de vous sauver la vie, était la chose la plus normal au monde.

- Je pense que vous me devez des explications, non ? Je veux dire, on ne se retrouve pas à moitié mort sur la plage tous les jours, et puis je fais des études de médecine, je sais que personne ne peut guérir aussi vite. Vous êtes quoi, au juste ?

Loki resta impassible, pourtant il leva mentalement les yeux au ciel. Cette mortelle ne pouvait pas juste le laisser partir sans poser de questions, évidemment, cela aurait été trop simple. Et puis ce n'était pas comme s'il n'avait pas le temps de discuter. Il n'avait aucun Titan obsédé par la Mort après lui, aucun groupe de superhéros qui devait en ce moment même le chercher partout, pas du tout. Et en même temps, c'était déjà un miracle que la jeune fille devant lui ne sache pas qui il était. Et pourtant, elle avait une télévision plutôt énorme, comme il avait pu le voir en se dirigeant vers la porte. Ces boites à images étaient déjà suffisamment maléfiques comme ça, il ne voyait pas pourquoi elle avait décidé d'en avoir une si grande.

En tout cas, une question se posait maintenant. Devait-il laisser la jeune fille dans l'incompréhension totale en partant, usant possiblement de sa magie devant elle, en plus du reste, si elle ne le laissait pas s'en aller à l'abri des regards, ou prendre quelques heures pour lui expliquer ce qu'il pouvait, au risque de perdre un temps considérable à retrouver les Avengers qui étaient peut-être déjà menacés par Thanos ? Même si la première option attirait bien plus le Jotun que la seconde, il avait été éduqué comme un prince et avait depuis toujours un grand respect pour les manières et la politesse. C'est donc en se traitant mentalement d'idiot qu'il finit par répondre, sa nature reprenant le dessus.

- Cela risque de prendre un moment.

- Oh, j'ai tout mon temps. Vous voulez quelque chose ? Un café ?

La jeune espagnole avait un accent très prononcé et, même avec les années d'apprentissage des langues midgardiennes comme le voulait le protocole, Loki devait avouer qu'elle n'était pas des plus faciles à comprendre.

- Un thé serait parfait, merci.

Décidément, cette humaine était étrange. N'importe qui d'autre aurait probablement laissé filer le Jotun sans demander son reste, ne souhaitant pas être mêlé à une histoire qui, vu les blessures de Loki, était dangereusement mortelle. Peut-être était-elle trop courageuse, ou peu perspicace. Les deux allaient généralement de paire, de toute façon. Malgré tout, la politesse de la jeune fille était appréciée, et le Jotun avait besoin d'un remontant, il s'en rendait compte maintenant que l'inquiétude était passée et qu'il se retrouvait à voir un peu trouble en restant debout.

L'étrange duo se rendit donc dans le salon, puis, une fois son invité installé dans le canapé, Mercedes se dirigea vers la cuisine. Pendant qu'elle préparait leurs boissons, Loki se laissa aller plus confortablement dans le meuble de cuir. Si le prince était d'une grâce absolue et avait un charme à toute épreuve, sa manière de s'assoir était loin d'être aussi protocolaire. L'ombre d'un sourire aux lèvres, le Jotun ramena ses jambes avant de les croiser puis se redressa, sortant ainsi de sa précédente position, c'est-à-dire celle où il avait les jambes écartées et les coudes sur les genoux. Ça, c'était quelque chose que Frigga lui reprochait tout le temps. Avec les décennies, s'en était presque devenu une marque d'affection, une habitude rassurante. Mais aujourd'hui, sa mère adoptive n'était pas là pour le lui rappeler, et il en allait de même pour Thor qui, s'il avait été présent, aurait sans doute fait une remarque taquine au Jotun, une de celles qui se seraient sans doute finies par un « que dirait mère ? » chaleureux.

Sauf que Loki était tout le contraire de chaleureux, et maintenant il savait que c'était dans sa nature. C'était un Géant des Glaces, après tout. Il n'y avait plus de blague sur sa façon de se tenir assis, plus de taquinerie tout court d'ailleurs, seulement des reproches qu'ils se faisaient les uns aux autres. La famille Odinson – et ceci comprenait leur fils adoptif – était sans aucun doute porteuse d'une malédiction touchant aux liens familiaux.

- Voilà !

Empêchant Loki de retourner dans un de ses monologues intérieurs qui, tout en étant très intéressants bien-sûr, avaient le don de lui donner le cafard, la jeune espagnole revint au salon avec deux récipients en mains. Le premier, qu'elle tendit au Jotun, était une tasse d'où pendait le bout d'un sachet de thé que l'odeur laissait deviner être à la cannelle. Le second était un grand verre empli d'une mixture brune et onctueuse, d'où dépassait une paille rose bonbon. L'adolescente s'était fait un milkshake au chocolat.

- Bon, poursuivit donc la jeune fille en se laissant tomber à son tour sur le canapé. Je m'appelle Mercedes, Mercedes Alarco.

Puis elle lui tendit sa main libre, l'autre étant toujours occupée par son verre. Loki avait quant à lui reposé sa tasse de thé sur la table basse après en avoir pris une gorgée. La boisson était en effet brûlante, ce qui était tout à fait normal pour un thé, mais le Jotun supportait mal la chaleur, question de logique.

Evidemment, ses pouvoirs de Géant des Glaces auraient eu tôt fait de refroidir le liquide, si toutefois il avait su les utiliser. Le prince se rendait désormais compte qu'il n'avait aucune idée de comment contrôler tous ses nouveaux pouvoirs, qui ne se manifestaient donc que sous la pression. Il connaissait la magie que Frigga lui avait transmise par cœur, et pour cause, il l'avait utilisée toute sa vie. Mais son don de Jotun, ça il n'avait fait que le renier depuis qu'il avait appris son existence. Peut-être, s'il réussissait à sortir vivant de ce dans quoi il s'était lui-même piégé, pourrait-il envisager d'apprendre à se servir de toute cette nouvelle magie des glaces. Juste peut-être.

Se tirant tant bien que mal de ses pensées, le Jotun serra lentement la main de la jeune fille avant de répondre :

- Loki, juste Loki.

Il était vrai que se donner le titre de fils d'Odin ou de Laufey était assez malvenu, puisqu'il haïssait le premier et avait tué le second. Il s'en voulait un peu sur ce dernier point, d'ailleurs. Il avait assassiné son vrai père afin de montrer sa dévotion à Odin, et au final, il n'avait fait qu'aggraver ses relations avec son père adoptif. Les choses auraient-elles pu être différentes s'il avait choisi Laufey ? Non, bien-sûr que non. Il ne fallait pas oublier que son véritable père l'avait abandonné à la mort, seul sur un rocher glacial alors qu'il n'était qu'un bébé. C'était amusant comme le Jotun n'avait sa place nulle part. Au final, il était toujours condamné à errer seul sur l'Yggdrasil.

- Loki... Comme dans les livres des gamins ?

Il était facile de comprendre que la jeune fille ne le prenait pas au sérieux.

- N'est-ce pas un brin malhonnête que cela sorte de votre bouche, vous devez avoir quoi, quatorze ans midgardiens ?

- J'ai dix-neuf ans !

La surprise de Loki dut se lire sur son visage puisque la dénommée Mercedes soupira en levant les yeux au ciel. Elle semblait habituée à ce qu'on la pense plus jeune, et ça n'avait pas l'air de lui plaire plus que ça. L'espace d'un instant, le Jotun pensa à s'excuser, mais il n'en eut pas même le temps.

- Vous savez quoi ? Laissez tomber. Je veux juste savoir qui vous êtes, parce-que très honnêtement, c'est trop bizarre tout ça.

- Vous ne regardez donc pas les informations, ni ne lisez le journal ? Vous avez au moins dû entendre parler de ce qui s'est passé à New York il y a quelques mois ?

- Vaguement, je ne suis pas fan de tout ce qui est informations. Un taré a attaqué la ville et une bande de superhéros ont rappliqué, c'est tout. D'ailleurs, il y avait le Docteur Banner, j'ai étudié beaucoup de ses travaux en cours de sciences. Il est brillant, et la chose en quoi il se transforme, Hulk je crois, c'est juste tellement badass ! Mais je ne vois pas en quoi tout cela a un rapport avec vous. Il y avait aussi Thor, bien-sûr, parce-que c'était son frère qu'ils arrêtaient. Le... Le Dieu du Chaos, Loki.

Il y eut une seconde de silence, puis l'étudiante sembla avoir une révélation soudaine et elle se mit à crier, se levant du canapé et s'éloignant du Jotun :

- Oh mon dieu, Loki !

L'intéressé ne put cette fois-ci s'empêcher de lever les yeux au ciel. Il fallait donc autant de temps à cette jeune fille pour faire le lien. Lentement, Loki reprit sa tasse désormais moins chaude et la porta à ses lèvres avant de lancer :

- Vous devriez vous rassoir, je vous ai prévenu que l'histoire était longue.

- Ne bougez pas, ou je vous jure que j'appelle les Avengers !

- Vous avez leur numéro, peut-être ?

- Bah... Non. Mais, euh, peut-être qu'il est dans l'annuaire ! Peut-être qu'ils ont un signal, comme Batman !

Le Jotun soupira, ennuyé. Les humains, peu importait s'ils étaient intéressants ou non, devenaient toujours stupides lorsqu'ils avaient peur. Cela pouvait être amusant, mais en cet instant précis, alors que Loki n'avait pas de temps à perdre, cela se révélait plutôt horripilant.

- Comme vous voulez, je vous avais prévenu.

Puis le Dieu de la Malice commença son récit, racontant à la jeune fille qu'il n'était pas le grand méchant sorcier avide de pouvoir que les gens pensaient qu'il était, omettant tout de même tout ce qui pourrait faire croire à Mercedes qu'il n'était pas, même s'il était désormais allié avec les Vengeurs, le monstre sans cœur dont il se donnait toujours les traits. La jeune espagnole resta debout les dix premières minutes puis, commençant à croire que le Jotun ne la tuerait pas à la seconde où elle l'approcherait, elle retourna s'assoir, au bout du canapé cette fois, parce qu'il ne fallait pas abuser non plus.

Lorsque Loki termina son histoire, sa tasse de thé encore à moitié pleine était froide, et Mercedes leva sur lui des yeux brillants de détermination. Elle ne le plaignait pas comme il le craignait, car même s'il ne lui avait raconté que les grandes lignes de son passé et avait pris soin de ne donner que des faits et pas son ressenti, il savait que même ces dits faits parlaient d'eux-mêmes sur son passé chaotique. Mais tout ce que la jeune étudiante semblait retenir était le fait que la bataille n'était pas terminée, et même si le prince pouvait voir qu'elle avait peur, ce qui était tout à fait normal, il pouvait aussi sentir son excitation.

- Alors allons voir les Avengers, lança-t-elle comme une enfant jouant aux aventuriers.

- Je vais voir les Avengers. Je vous ai donné vos explications, votre rôle dans cette histoire s'arrête ici.

- Bien-sûr que non, je suis un témoin, vous ne pouvez pas prendre le risque de laisser quelqu'un connaissant tout ce que vous m'avez dit derrière vous, n'est-ce pas ? Vous devez me prendre avec vous.

- Ou alors je pourrais juste effacer votre mémoire.

- Ce serait malvenu d'utiliser votre magie sur une humaine maintenant que vous avez les Avengers de votre côté.

Le Dieu du Chaos grimaça. Le pire était qu'elle avait raison, et puis il bluffait de toute façon. Il n'avait pas la capacité de lui effacer la mémoire. Aussi agréable et poli qu'avait été le fait de lui confier toute son aventure, Loki devait admettre que ce n'était pas la chose la plus intelligente qu'il avait fait dans sa vie.

- D'accord, vous venez avec moi. Mais si vous causez le moindre problème...

- Super ! Ne vous inquiétez pas, je serais discrète.

C'est ainsi que, attrapant le poignet de l'étudiante avec un soupir, Loki les téléporta tout deux à la Tour Stark.

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