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Quinze ans plus tôt

La route avait été longue.

Elle avait dû prendre deux correspondances pour quitter sa banlieue et arriver dans le 7e arrondissement de Paris. Maintenant qu'elle se trouvait devant l'immeuble en pierre de taille blanche, elle ne regrettait pas son périple.

Elle chercha le nom que sa mère lui avait indiqué et sonna à l'interphone.

Samantha ?

- Oui c'est moi, Mama.

Elle entendit un bip et poussa la porte. Le hall était entièrement recouvert de marbre et les escaliers tapissés d'une moquette bleu roi. Elle n'avait jamais mis les pieds dans un immeuble aussi luxueux.

Elle emprunta l'ascenseur, monta jusqu'au troisième étage et cogna à l'unique porte du pallier. Sa mère ouvrit.

Vite, vite, la pressa-t-elle en refermant la porte.

- Bonjour à toi aussi...

- Ne sois pas insolente.

Elle lui fit signe de la suivre et se faufila entre les couloirs jusqu'à une grande pièce baignée de lumière. Sam aurait aimé prendre le temps d'admirer la demeure mais elle n'osa pas retarder sa mère visiblement pétrie d'angoisse.

Tiens, assieds-toi là, fit-elle en lui tirant une chaise près de la table à manger.

Sam obtempéra et se défit de son sac à dos.

Tu as eu le temps de manger quelque chose ?

Sam hocha la tête. Sa mère poussa un soupir et se dirigea vers le frigidaire. Elle en sortit du jambon et du beurre.

Tiens, le pain se trouve juste ici. Fais-toi un sandwich avant de commencer tes devoirs. J'ai bientôt fini, d'accord ?

Sam hocha à nouveau la tête et attendit que sa mère ait quitté la pièce pour se lever et composer le sandwich avec des gestes lents.

Elle détestait devoir attendre sa mère sur son lieu de travail. Elle avait toujours l'impression de gêner, comme un colis trop encombrant que Hortense était obligée de traîner d'un lieu à un autre. Elle aurait nettement préféré faire ses devoirs à la bibliothèque du collège mais cette dernière fermait tôt les mercredis.

Elle se servit un verre d'eau et s'assit devant son maigre déjeuner. Elle mordit dans le pain en étudiant la pièce du regard. Ses yeux s'attardèrent sur le tableau qui surplombait l'évier. Des fruits aux couleurs chaudes roulaient d'un saladier renversé sur une table. Du vin rouge se déversait d'une carafe dorée, se répandant sur le sol, près d'un vase brisé. Les fleurs qu'il avait contenues étaient éparses, imbibées d'un mélange d'eau et de vin.

Le tableau détonait au milieu de l'ordre presque clinique qui régnait dans la pièce. Elle trouva ce choix de décoration plutôt singulier. Son repas terminé, elle lava son assiette et son verre et les mit à sécher sur l'égouttoir.

Elle retourna à la table, saisit son sac et en sortit son cahier de maths. Encore quelques exercices et le théorème de Pythagore n'aurait plus aucun secret pour elle.

T'es qui, toi ?

La voix l'interrompit en plein milieu d'un problème. Elle leva la tête. Un grand garçon en short, torse nu et à la mine froissée se tenait dans l'encadrement de la porte. Ses cheveux étaient en bataille et son short semblait lui tenir lieu de pyjama.

Drôle d'heure pour sortir du lit.

- Samantha, la fille d'Hortense, répondit-elle d'une voix fluette.

- Ah, cool, fit-il en s'avançant dans la pièce. Il se dirigea vers les placards et en sortit une capsule de café. Enchanté, moi c'est le fils des patrons.

Elle tiqua devant son air goguenard. Il lui sourit et glissa la capsule dans la machine à espresso.

Tu viens souvent ici ? C'est la première fois que je te vois, ajouta-t-il comme pour s'expliquer.

- C'est la première fois que je viens.

- Remarque, même si tu venais plus souvent ça n'aurait pas été si étonnant que nous ne nous croisions que maintenant, vu le peu de temps que je passe ici !

Encore ce ton ironique.

Et ça te plaît, d'être là ?

- C'est pas mal, fit-elle en haussant les épaules.

Il éclata de rire.

- Seulement pas mal ? Avoue que ça te change de ta banlieue.

- Et qu'est-ce qui te fais croire que je viens de banlieue ?

- Simple intuition.

Elle le vit regarder ses tresses longues et noires d'un air intrigué, sans toutefois poser de question.

Tu fais tes devoirs ? lança-t-il en indiquant son cahier du menton.

- Oui.

- C'est quoi comme matière ?

- Des maths.

- T'es en quelle classe ?

Elle le trouvait bien curieux.

Troisième.

- Et ça va, tu t'en sors ?

Elle était sur le point de répondre quand sa mère fit irruption dans la pièce.

Oh ! Monsieur, je ne savais pas que vous étiez là, s'exclama-t-elle dans un demi-sourire gêné. Je vous sers le petit-déjeuner ?

- Pas la peine, Hortense, j'ai largement dépassé l'heure de toute façon.

Il avala le reste de son café, posa la tasse dans l'évier et se dirigea vers la porte avant de se retourner et de lancer :

Au fait, votre fille est charmante.

Il adressa un clin d'œil complice à Samantha puis disparut.

Qu'est-ce que tu as encore fait, mademoiselle ? demanda Hortense, les poings sur les hanches.

- Mais rien, on discutait juste, se défendit-elle.

- Je t'interdis de discuter avec ce vaurien.

- Mama !

- Tu m'as bien entendue. Il ne t'apportera que des problèmes.

La jeune fille trouva sa mère bien sévère. Quel genre de problèmes pourrait bien lui apporter un garçon doté d'aussi beaux yeux ? 

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