Chapitre 35
Cela faisait deux jours que Mercy ressassait les informations que sa mère lui avait transmises. Elle n'avait pas encore pris le temps de se rendre aux archives, préférant potasser les comptes-rendus statistiques des naissances de ce dernier siècle. La chute était drastique, mais quelque chose dans les chiffres la laissait penser que ce n'était pas apparu brusquement. Il semblait évident qu'un facteur était responsable de cette décadence qui les faisait sûrement plonger depuis plusieurs siècles.
Si elle avait passé tant de temps à s'inquiéter de ces taux de natalité, c'était avant tout pour éviter de trop réfléchir sur cet autre sujet qui la concernait bien plus directement : Jay. Il l'avait crue morte à cause de sa propre mère. Elle en avait maintenant la certitude, il lui avait dit la vérité. Il ne l'avait pas abandonnée. Cela changeait énormément de choses. Comment pourrait-elle encore le détester ? Il compliquait tellement les choses. Ne pouvait-il pas simplement conserver son rôle de connard et la laisser le haïr ?
Mercy soupira. Elle avait tellement voulu éviter le sujet qu'elle n'en était que plus perdue. Elle repoussait depuis deux jours l'inévitable. Il fallait qu'elle se rende à la cabane pour récupérer la robe qu'elle y avait laissée. Au beau milieu de l'après-midi, y avait-il un risque de croiser Jay ? Sans doute. Mais déjà moins que si elle se déplaçait en soirée ou en début de matinée. D'autant plus que, si elle avait bien comprit, il n'y vivait que par interludes. Décidée à régler ce détail au plus vite, la nymphe enfila une cape par-dessus sa robe et se faufila à l'extérieur de sa chambre. Elle sortit du palais aussi discrètement que possible, n'ayant que peu envie de trouver un mensonge pour justifier son absence.
Depuis sa blessure, elle était restée enfermée dans ses appartements afin de préserver son état des commérages. Aussi loin que possible de Silas, de préférence. Il valait mieux ne pas le croiser avant de savoir pleinement ce qu'elle comptait faire. Après avoir attenté à sa vie, qui savait ce qu'il serait capable de faire ?
Dès qu'elle se fut engoncée dans la forêt, Mercy arrêta sa progression derrière un tronc immense qui faisait au moins trois fois sa carrure. Le visage crispé, elle haleta un temps avant de reprendre son souffle. Elle avait marché vite, sans trop de précaution pour son corps encore un peu faiblard. Elle n'était plus très loin, il lui fallait traverser la rivière et elle pourrait ensuite rejoindre la cabane. Après une grande inspiration qui fit protester ses côtes, elle se hâta de parcourir la route qu'il lui restait. Tomber sur un satyre maintenant serait une terrible rencontre. Elle n'avait pas la force pour un combat.
Pour une fois, le destin devait être de son côté, peut-être la mère créatrice avait-elle décidé qu'elle avait assez souffert, car elle atteignit le chalet sans croiser personne. Une fois devant, elle hésita. Devait-elle frapper ? Il valait mieux, au cas où quelqu'un se trouvait à l'intérieure. Elle espérait juste que ce serait Jessmina et pas Jay. La main de Mercy se leva lentement avant de s'abattre sur le panneau de bois. Elle pria pour que personne n'ouvre et qu'elle puisse s'y glisser en catimini. Ce serait tellement plus facile de ne voir personne.
Comme rien ne se passait, elle allait ouvrir quand on la devança. L'impressionnante silhouette de Jay se dessina dans l'embrasure de la porte. Mercy sentit son souffle se couper devant la beauté du satyre.
Le haïr.
Elle devait le haïr.
— Qu'est-ce que tu fous là ? lui aboya-t-il presque dessus.
Mercy esquissa un sourire, presque amusée par son ton agressif.
— Je ne viens certainement pas pour tes beaux yeux, Jay. Je veux récupérer mes affaires.
— Et t'as pensé que c'était intelligent de te déplacer ? Jess est pas là, je peux te planter ma hache dans le cœur.
— Peut-être que c'est ce que je cherchais. Arrête de jouer aux cons et laisse-moi passer. J'en ai pour deux minutes.
Le satyre ne bougea pas d'un iota. Le visage crispé d'une expression indéchiffrable, il ne disait rien et se contentait de la dévisager. Lassée et peu sereine, elle le poussa d'une main et entra. Il ne mit pas beaucoup de résistance et ferma même derrière elle.
— Tu les as mises où ? le pressa Mercy comme il ne disait rien.
— Si ça dépendait de moi, je les aurais brulées. C'est Jess qui s'en est occupée.
— Mais tu vis ici, non ? T'as bien dû les voir. Plus je dois chercher et plus longtemps tu devras supporter ma compagnie.
Il grogna.
— Je lui ai demandé de les virer de ma vue, alors elle les a probablement cachées. Regarde sous le lit.
Puisqu'il restait immobile sur le seuil, elle marcha jusqu'au lit et s'y tint pour s'agenouiller par terre. Mercy siffle quand ses côtes lui rappelèrent leur convalescence. Elle tata d'une main le sol sous le sommier et sentit une corbeille qu'elle tira vers elle. Avant qu'elle n'ait pu se relever, un métal froid se plaqua contre sa gorge. Un sourcil haussé, elle dévisagea Jay dont la hacha était dirigée vers elle. D'un mouvement, il l'obligea à se mettre debout et la fit reculer jusqu'au mur en bois. Acculée entre la lame et le panneau marron, Mercy n'avait aucune échappatoire. Mais au lieu de trembler de terreur, un air de défi égaya ses traits.
— Vas-y. C'est l'occasion, tu l'as tant de fois rêvé.
Cette assurance eut le mérite de le désarçonner. Jay la regarda comme on regarde une peinture que l'on ne comprend pas.
— Tu aurais tort de ne pas m'en croire capable, la prévint-il avec une froideur qui, d'ordinaire, faisait ploire ses adversaires.
— Mes convictions sont bien mises à mal ces derniers jours. Prouve-moi que j'ai tort, fais-le.
D'un geste rageur, le satyre balança sa hache derrière lui pour la remplacer par ses mains. Cette gorge gracile qu'il avait autrefois embrassée paraissait bien fragile entourée par ses paumes.
— Ça fait cinquante ans que j'ai fait ton deuil, tu crois vraiment que ça me retiendra ?
Ses yeux moqueur se plongèrent dans les siens avec une telle intensité qu'il crut un instant qu'elle avait acquis le pouvoir de sonder son âme.
— Et on m'a dit que tu m'avais abandonnée, tu penses que j'ai encore confiance en quelque chose te concernant ? Ne m'oblige pas à me répéter une troisième fois. Tu l'as toujours désiré, n'attends plus.
Mercy savait son pari risqué. Mais entre les révélations de sa mère et les fluctuations de son cœur, elle préférait forcer la vérité à se dévoiler. Et visiblement, Jay non plus ne savait pas à quoi s'en tenir. Elle savait interpréter les contractions de son corps et les plis qui morcelaient son front.
Alors qu'elle pensait qu'il baisserait les armes en pestant, Jay fit pression contre sa nuque pour l'attirer à lui. Quand ses lèvres se posèrent sur les siennes, Mercy ne sut comment réagir. Son premier réflexe fut de lui asséner une gifle puissante et d'inverser le rapport de force. Elle colla son avant bras contre la gorge du satyre et le fit reculer contre la porte.
— T'es malade ou quoi ? s'insurgea-t-elle quand il se mit à rire.
— Ça me fait rire de voir qu'on nous a manipulé et qu'ils ont bien réussi leur coup.
— Faut croire que le sang satyre dans les veines de ma mère en est responsable.
Jay tiqua avant qu'elle n'ait le temps de comprendre ce qu'elle venait de laisser échapper.
— Tiens donc, cela explique que tu sois une adversaire si redoutable. Je ne comprenais pas qu'une petite nymphe possède un tel talent martial.
Mercy renforça la pression qu'elle exerçait contre sa pomme d'Adam.
— Ça n'a rien à voir.
— Donc ta mère m'a libéré.
— Elle nous a mutuellement sauvé la vie, tu devrais lui en être reconnaissant.
Il esquissa un sourire.
— Il me semblait pourtant que tu préférais me voir mort.
— Tu m'as abandonnée dans une cellule sombre et laissée dépérir ! explosa-t-elle. Évidemment que je veux te haïr !
— Tu le veux, donc tu ne le fais pas ?
Les dents serrées, elle le prévint :
— Boucle-la.
— Sinon, quoi ? Si tu me menaces, c'est uniquement parce que je te laisse le faire. Tu n'es pas au mieux de ta forme et ça se sent. Ta mère a reconnu t'avoir menti.
Le visage de la princesse se rapprocha du sien.
— Je t'ai demandé de te taire, Jay.
Quand elle plongea à nouveau son regard dans le sien, elle eut du mal à respirer normalement. Bon sang, comment faisait-il ça ? Pendant cinquante ans elle avait rêvé de le tuer et maintenant, elle se sentait prête à sauter à nouveau du haut de la falaise.
— C'est si facile de se...
Elle ne le laissa pas finir. Avec brusquerie, elle fondit sur lui pour que leurs bouches se rencontrent. Que ça faisait du bien de se laisser aller à ses pulsions ! Les mains fourageant sa chevelure blonde retenue par un élastique, elle laissa son bassin venir tout contre le sien. Quand les doigts de Jay glissèrent dans le dos de sa robe, Mercy comprit qu'elle était à nouveau perdue.
Vraisemblablement elle ne pouvait pas le haïr.
***
Ca faisait si longtemps !
Mais bon, ça m'a fait plaisir de retrouver mes personnages. J'espère que vous aussi. Je vais essayer de la continuer un peu comme en ce moment je n'ai pas de projet d'écriture en cours.
Voilà, voilà,
N'hésitez pas à me donner vos retours ;)
XOXO
TOY
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