Chapitre 33
"Comment voudrais-tu que je haïsse un peuple dont le sang coule dans mes veines ?"
Mercy resta coite de longues minutes. Elle n'était pas sûre d'avoir bien entendu. D'avoir bien compris les paroles de sa mère. Ce qu'elles impliquaient. Ce n'était pas possible. Certes elle n'avait jamais connu ses grands parents maternels, mais elle ne pouvait pas concevoir une telle possibilité. Comment l'aurait-elle pu ? Si c'était bien ce qu'elle croyait, pourquoi l'avait-on reniée de la sorte ? Pourquoi sa propre mère avait fait d'elle la déception de la famille ?
-Je... je ne suis pas... sûre d'avoir compris, bégaya-t-elle en secouant la tête négativement.
Régina comprenait la réaction de sa fille. C'était d'ailleurs pour cela qu'elle ne lui avait pas révélé, même après la mort d'Althaïr. Elle avait pris l'habitude de taire son secret, d'oublier son passé pour faire face au présent. Ce masque de glace que son enfant lui connaissait tant s'était forgé pour se protéger. Elle et toute sa famille.
-Si Mercy. Tu as très bien compris.
L'intéressée secoua la tête et se recula instinctivement sur le matelas.
-Ce n'est pas possible. Pourquoi ne pas me l'avoir dit plutôt ? Pourquoi l'avoir caché ?
La reine esquissa un sourire triste.
-Je n'avais pas le choix, ton père haïssait les satyres plus que tout. Il n'aurait pas hésité à me faire mettre à mort pour être le fruit d'une union mixte. Je peux te raconter toute l'histoire si tu le souhaites. Il est trop tard pour continuer à garder ça secret de toute façon.
Mercy passa une main sur son visage et soupira. Elle n'aurait pu être plus perdue qu'en cet instant. Elle avait l'impression de voir son monde s'écrouler. Que tout devant elle s'effondrait pour dévoiler une vérité toute autre.
-Allez-y.
Elle prit place à ses côtés sur le grand lit et commença :
-Ma mère était une satyre et mon père une nymphe. Ils se sont rencontrés par hasard et ça a été une évidence pour eux. Que cela soit considéré contre nature ou non, ils ont décidé de vivre comme bon leur semblait. En retrait des deux royaumes, ils ont construit une petite cabane en bois. La journée ils tenaient leurs rôles respectifs auprès de leur communauté. Mon père était un formateur, il apprenait aux jeunes nymphes à manier leurs dons. Ma mère, quant à elle, avait des dons très développés. Comme tu le sais la société des satyres ne s'organise pas tout à fait comme la nôtre. Ils sont davantage centrés sur la faune que la flore. Elle pouvait communiquer avec les bêtes, découvrir ce qui n'allait pas et les soigner. Elle a diminué son implication lorsque nous sommes nés. Mon frère et moi.
-Votre "frère" ? l'interrompit la princesse.
-Oui. Tu as un oncle. Je ne sais pas ce qu'il devient. Ca fait plusieurs siècles que nous ne nous sommes pas vus. Il n'est né que quelques années avant moi. Nous n'avions que peu d'écart et j'adorais avoir un grand frère. Si moi j'ai hérité des gènes de mon père, lui a tout pris de ma mère. Il était puissant. Pas en terme de magie, mais c'était un guerrier d'exception. Je ne doute pas qu'il a dû grimper rapidement dans la hiérarchie des satyres. Ils choisissent les meilleurs, l'hérédité n'a pas d'importance. Enfin bref. Il est parti de la maison après avoir passé ses tests et déterminé ses aptitudes. J'en ai fait de même. C'est d'ailleurs à ce moment-là que j'ai rencontré la plupart des nymphes de ma génération. Le peu, devrais-je dire. Mon père m'avait formée tout seul et avait directement su déterminer de quelle façon je devais procéder pour améliorer mes dons. J'ai fait la rencontre de ton père peu de temps après. Il ne connaissait rien de moi et je l'intriguais. Il m'a épousé pour percer un mystère et parce que j'étais une guérisseuse puissante, rien de plus. Je savais qu'il fallait que je garde mon secret et je suis fière de pouvoir dire qu'il n'a jamais obtenu de réponse.
Mercy acquiesça, sans voix face à ses révélations. Elle connaissait la suite mieux que personne, mais il fallait dire que le début était plutôt surprenant. Ainsi elle avait du sang de satyre dans les veines.
-Et mes grands-parents, vos parents, sont-ils...
Elle ne put finir sa phrase, ne trouvant pas les mots justes.
-En vie ? Malheureusement non. On les a surpris ensemble. C'était déjà un miracle qu'ils eussent tenu presque trois siècles avant d'être découverts. Ils ont été condamnés à mort. C'était terrible, je ne pouvais pas paraître touchée pour ne pas éveiller les soupçons. Je me suis détachée de tout et ça a été plus simple. Je n'avais pas le choix. Vivre avec ton père m'obligeait à faire des sacrifices.
La jeune femme renifla. Cette dernière phrase lui rappela la solitude dans laquelle on l'avait enfermée durant cinq ans. Sa propre mère n'était pas venue la voir, la laissant croire qu'elle était dégoûtée par ses actes.
-Des sacrifices ? Oui, c'est sûr que vous avez dû en faire beaucoup... Comme abandonner votre propre fille au fin fond d'une cellule. Vous m'avez laissé croire que cette traîtrise vous répugnait !
Régina pinça les lèvres. Puisqu'elle était partie dans les confessions, il valait mieux continuer sur sa lancée.
-Je n'ai pas eu le choix.
-Pas eu le choix ? répéta la nymphe d'un ton moqueur. Être reine vous octroie du pouvoir, il me semble.
-Savais-tu que ton père souhaitait te condamner à mort ? Il n'en avait rien à faire que tu sois son seul enfant.
Mercy leva les yeux au ciel.
-Je sais déjà que j'ai été une grande déception pour lui. Vous ne m'apprenez rien.
-Pas qu'une déception. Tu es morte pour lui dès l'instant où il a appris ta relation avec cet homme. Je l'ai supplié de te laisser la vie. Après l'avoir menacé de dévoiler au peuple ce problème de natalité. Car oui, il en avait conscience depuis des décennies, probablement de siècles, et a toujours voulu garder ça secret. Nous ne saurons probablement jamais ses motivations. Mais cela devait être important, car il a accepté de conclure un marché. Il t'a punie durement, mais au moins tu avais la vie sauve. Malheureusement à partir de ce moment-là, il a commencé à se défier de moi. Il m'a interdit de venir te voir et je n'ai rien pu faire. Tu ne me pardonneras probablement jamais, cependant c'était important que tu connaisses la vérité.
La princesse acquiesça difficilement et la dévisagea, les yeux luisant de douleur. C'était difficile d'entendre dire que son père ne l'aimait pas. Elle le savait, mais c'était différent lorsque cela venait d'un tiers. Il lui était impossible de se soustraire à cette vérité.
En cet instant elle ne voyait pas Régina, mais bien la mère qu'elle aurait aimé avoir. Une femme sensible qui aurait donné sa vie pour la sienne.
-Cela reste à voir. Que me cachez-vous encore ? Je pense que c'est le moment de laisser tomber les mensonges.
Au fond d'elle, elle espérait que la réponse serait "rien", mais elle en doutait. Elle détectait une lueur de culpabilité dans les yeux pomme de sa mère. Celle-ci inspira pour se donner du courage. Le plus dur n'était pas encore passé.
-Il y a une dernière chose que tu devrais savoir en effet. Ton satyre devait se faire exécuter. Le peloton avait été installé et ton père exultait à cette idée. J'ai profité de son sommeil lourd pour m'éclipser. Je me suis débarrassé du garde qui surveillait les geôles et je l'ai libéré. Je lui ai demandé de partir et de t'oublier. Il valait mieux pour sa survie et la tienne qu'il te croit morte.
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