Chapitre 32
Il semblait que Régina ait sous-évalué la durée de sa réunion. Cela faisait déjà une bonne dizaine de minutes que Mercy patientait dans les appartements de sa mère. La pièce était immense et si luxueuse qu'elle aurait fait pâlir n'importe qui. Sur le côté droit, une grande porte verrouillée reliait cette chambre aux appartements du roi. Même dans l'intimité de ces pièces, il était difficile pour la princesse d'imaginer un tant soit peu de tendresse au sein du couple qui l'avait fait naître. Althaïr était un homme désagréable et froid, tandis que sa mère donnait au mot "strict" tout son sens.
Le claquement régulier des talons hauts annonça l'arrivée de la souveraine. Les portes s'ouvrirent en grand, la laissant rentrer. Sa longue robe bleu nuit glissait sur le sol avec élégance. Elle se tourna en direction des gardes et les congédia avec autorité. Mercy attendit que les panneaux de bois se soient refermés pour lancer :
-Vous m'avez fait demandée ?
Régina acquiesça et pointa du menton le rebord du lit.
-Oui. Tu devrais t'asseoir. Ce n'est pas raisonnable de rester longtemps debout avec tes blessures.
La princesse allait protester par simple esprit de contradiction avant de se rendre compte qu'elle était épuisée. Elle n'était pas entièrement remise et son corps lui faisait digne de mettre de côté son énergie si elle ne voulait pas perdre connaissance. Ecoutant la voix de la raison, elle s'assit sur le couvre lit en soie. Comme sa mère ne disait rien, elle darda son regard dans le sien et laissa glisser hors de sa bouche la question qu'elle souhaitait lui poser :
-Pourquoi m'avez-vous soignée ?
Elle ne l'avait pas formulé avec tact, mais en cet instant cela lui était égal. Elle voulait des réponses. Elle en avait marre de tous ces non-dits et depuis qu'elle lui avait déballé tout ce qu'elle avait sur le cœur lors de leur dernière dispute, elle n'avait plus envie de s'imposer un filtre.
La guérisseuse accusa difficilement le coup. Elle avait beaucoup réfléchi depuis leur dernière conversation. Beaucoup culpabilisé aussi. Elle porta une main à sa gorge en fronçant les sourcils. C'était douloureux. Affreusement douloureux.
-Je... Je ne comprends pas ta question, Mercy, répondit-elle en secouant la tête.
La jeune femme croisa les bras sur sa poitrine.
-Je vous demande pourquoi vous êtes venue. Pourquoi vous avez supporté la présence de satyres et pourquoi vous m'avez soignée.
Régina crispa la mâchoire.
-Tu es ma fille.
Mercy laissa échapper un petit rire moqueur.
-Jusque-là ça n'avait pas semblé faire grande différence.
Son interlocutrice s'offusqua.
-Mais bien sûr que si ! Je t'aime plus que ma propre vie. Si je ne te l'ai jamais montré, c'est parce que je n'y étais pas autorisée. Ton père était... exigeant. Il avait une vision bien précise de qui devait être son épouse, de qui devait être sa fille et il fallait s'y conformer.
La nymphe renâcla.
-Evidemment. Père était un salop de première, mais je vous trouve bien hardie d'essayer de mettre votre absence d'amour maternel sur son dos.
La reine avança, ne laissant plus que quelques pas entre elles. C'était très désagréable d'être toujours assise alors qu'elle était debout, la surplombant de toute sa hauteur.
-J'ai parfaitement entendu tes récriminations la dernière fois. Je pense que tu ne te rends pas compte de l'impact qu'elles ont eu sur moi. Ma fille me déteste.
-Je ne...
-J'ai bien compris tes paroles, la coupa-t-elle. Elles m'ont blessées, mais j'en suis la seule responsable. Ton père avait une influence considérable sur moi, Mercy. Une puissance que je l'ai laissé obtenir, certes, mais que je ne contrôlais pas. Il est mort. Et même maintenant j'ai du mal à m'en détacher. J'aimerais y arriver. J'ai longuement réfléchi après que tu sois partie. J'attendais ton retour pour que nous puissions avoir une discussion. Tu ne revenais pas et j'étais inquiète. Je relativisais en me disant que tu étais certainement chez Falia. Je me suis dit qu'il était nécessaire que je te laisse du temps, surtout après avoir appris tout ce que tu ressentais et que tu avais sur le cœur. Ryan est venu me voir en urgence au beau milieu de la nuit. Instinctivement j'ai su qu'il s'était produit quelque chose. Il m'a brièvement relaté les faits et m'a conduite jusqu'à cette petite maison à la lisère du territoire des satyres. Falia te veillait, accompagnée d'une charmante jeune femme et d'un homme qui restait un peu plus en retrait. Je n'ai pas vraiment réfléchi. En te voyant allongée, aussi pâle que les draps immaculés, j'ai senti mon sang se figer dans mes veines. J'ai utilisé mes pouvoirs à bon escient et expliqué aux satyres la marche à suivre. Il m'était impossible de rester trop longtemps, même si l'envie ne manquait pas. Cela n'aurait fait que te mettre en danger.
Un court silence s'installa, permettant à la patrouilleuse d'assimiler ce qui venait de lui être raconté.
-Je ne vous en veux pas d'être partie, énonça-t-elle lentement. Je suis un peu surprise. Ryan vous avait avertie de la présence des satyres avant que vous n'acceptiez de le suivre ?
Régina acquiesça.
-Bien sûr, c'est l'une des premières choses qu'il m'ait dites.
La jeune femme haussa un sourcil, sceptique.
-Et vous êtes venue quand même ?
Passablement agacée par son insistance, la guérisseuse soupira.
-Oui. Je te l'ai dit Mercy, j'étais inquiète !
-Au point de passer outre le fait qu'il y ait des satyres ? Permettez-moi d'en douter. Je sais à quel point vous les haïssez.
-Non, commença-t-elle, je ne...
Elle fut coupée dans son élan par le rire narquois de sa fille.
-Ca ne sert à rien de vous en cacher. Je le sais bien. C'est pour cela que vous me détestez moi aussi depuis mon aventure avec l'un des leurs.
La reine prit une grande inspiration. Elle avait de plus en plus de mal à garder son sang froid. Un comble pour elle qui avait toujours mis un point d'honneur à rester froide et détachée de ses sentiments.
-Ecoute-moi un peu ! Puisque je te dis que je ne hais pas les satyres ! Pas plus que je ne te hais, ma fille.
Mercy haussa les épaules avec nonchalance. Elle sentait sa mère arriver au point de rupture et était curieuse de voir jusqu'où la limite pouvait être poussée.
-Il faut dire que vous n'avez rien montré allant dans ce sens depuis que je suis née. Il n'y aucune honte à assumer votre haine. Apparemment le contraire est une traîtrise. A votre place je serais heureuse d'être du bon côté de l'histoire.
Régina craqua. Elle criait presque lorsque ses mots franchirent la barrière de ses lèvres :
-Comment voudrais-tu que je haïsse un peuple dont le sang coule dans mes veines ?
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