Mercy se réveilla très tôt, avec l'affreuse sensation d'être complètement déprimée. Elle revivait en boucle les derniers jours et espérait sincèrement que celui-ci serait meilleur. D'ailleurs il serait bien difficile de faire pire. Elle remit la robe bleue qu'elle avait porté la veille et attacha son poignard autour de sa cuisse. Fin prête, la nymphe quitta sa chambre pour rejoindre Falia, assise à la table de son salon, une tasse de café à la main. Celle-ci avait le nez plongé dans un livre et était emmitouflée dans un pull extrêmement large.

-Que lis-tu ?

La voix de son amie la tira de sa lecture et elle lui adressa un sourire joyeux.

-"La guerre des Trolls", c'est sur les origines de cette guerre et ses implications politiques.

La princesse fronça les sourcils.

-C'est très romancé comme ouvrage il me semble, non ? 

Son interlocutrice s'empourpra.

-Un peu...

-Alors c'est pour ça que tu aimes bien ! railla-t-elle.

La Sauveuse ignora le regard faussement vexé que lui jeta l'autre patrouilleuse et prit une pomme.

-Je crois que j'ai besoin de prendre l'air un petit peu...

-Tu ne te sens pas bien ? C'est cette histoire avec ta mère ? 

Elle haussa les épaules.

-Non... enfin je ne saurais même pas te dire ce qui ne va pas avec précision. Je crois que c'est un tout. Je me dis qu'aller me poser et réfléchir un peu me fera du bien, il s'est passé beaucoup trop de choses dernièrement pour que je le prenne avec stoïcisme.

Falia acquiesça.

-C'est tout à fait compréhensible que tu sois perdue. N'oublies pas que je suis là pour toi si jamais tu as besoin d'en parler !

-Bien sûr ! Je ne vais pas partir longtemps, je pense que je vais aller jusqu'à la grotte où...

-Celle à la limite de notre territoire, celle où tu retrouvait Jay ? la coupa-t-elle en fronçant les sourcils. Pour quoi faire ?

-Rien de particulier, je ressens juste le besoin de me rendre là-bas. Je n'y suis jamais retournée depuis que Sillas nous y a surpris. Je veux enterrer une bonne fois pour toute ce satyre et le sortir de ma tête. Je veux le haïr et être en mesure de le tuer sans le regretter la prochaine fois que nous nous croiserons.

Son hôte la dévisagea, perplexe. Elle avait quelques doutes quant au cheminement de ses pensées et n'était pas convaincue que ce plan soit réellement fonctionnel.

-Je t'avoue que je ne suis pas convaincue que tu y parviennes simplement en te rendant à votre ancien point de rendez-vous, mais si tu y croies je ne peux que t'y encourager !

Mercy l'enlaça.

-Je ne serais pas longue, je devrais être de retour pour déjeuner si tu veux bien de moi à ta table.

-Étant donné que je n'ai pas trop le choix...

Les deux amies rirent de concert.

-À tout à l'heure ! 

Joignant le geste à la parole, elle s'éclipsa et prit la direction de la forêt afin de rejoindre la grotte. Plus ses pas la rapprochaient de sa destination et plus elle doutait de la justesse de son choix. Des flots de souvenirs menaçaient de l'envahir à chaque instant et elle luttait pour qu'ils restent à leur place. Elle avait oublié à quel point le décor attenant à la grotte était splendide. Surélevée d'une dizaine de mètres, elle se situait au rebord d'une petite falaise qui donnait sur un lac aux reflets chatoyants. L'eau était agitée par de fugaces bourrasques de vent. Attirée par ce spectacle, elle s'assit au bord du précipice, les jambes dans le vide. Cet effort, bien que d'apparence simple lui avait été difficile à cause des blessures qu'elle portait toujours sur le corps. Souvenir de son combat avec Jay.

Elle resta ainsi un long moment, se vidant l'esprit grâce à l'environnement paisible. Sa mère, Ryan, Jay n'étaient qu'un problème lointain. Fiona avait probablement raison. La discussion qu'elle avait eu avec Régina lui avait permis de mettre les points sur les i. Ryan finirait pas se rendre compte de son erreur lorsque son ego aurait repris du poil de la bête. Et Jay... Jay était une histoire ancienne qui devait cesser de pourrir son présent. Cesser de le haïr serait compliqué, mais elle espérait pouvoir l'éviter suffisamment longtemps pour que cela fonctionne. Encore que cela faisait un lustre qu'ils ne s'étaient pas vu et pourtant la rancœur semblait toujours intacte... Mettant ce détail de côté, elle se sentait à présent libérée de ses tourments. Alors qu'elle venait tout juste d'apaiser son esprit, un craquement de branchages la fit sursauter. Elle se leva immédiatement, s'éloignant du bord dangereux. La silhouette caractérielle de Sillas se dessina et il émit un ricanement empli de froideur :

-On m'avait dit que les meurtriers revenaient toujours sur les lieux du crime, je n'osais pas espérer que cela fonctionne aussi avec les traîtres.