Chapitre 1

Le visage baignant dans la douce lumière du soleil, Mercy regardait inlassablement le paysage d'un vert éclatant. Ses longs cheveux auburn flottaient au grès du vent et ses yeux citrine fixaient l'invisible avec une intensité surprenante. Elle attendait Falia, sa meilleure amie. Leur amitié était si ancienne qu'il lui était impossible de se souvenir d'une époque où elles n'étaient pas liées. Celle-ci devait l'informer des dispositions annuelles qui venaient d'être affichées au palais. Une frêle carrure s'installa à ses côtés et brisa le silence reposant :

-Devine qui est patrouilleuse cette année !

Mercy sortit de ses pensées et regarda son amie qui était visiblement ravie de ce poste. Elle esquissa un sourire amusé.

-Je me hasarderais volontiers à supposer que c'est toi.

Falia acquiesça avec une moue joyeuse. Bien qu'elle tentât de contenir son entrain, il était aisément perceptible. Elle avait toujours eu les pommettes qui rosissaient lorsqu'elle essayait de cacher quoi que ce soit. Cela lui seyait certes à la perfection, s'harmonisant avec ses courts cheveux blonds, mais inquiétait son amie qui se préoccupa finalement de sa propre rétribution.

-Sais-tu de quelle tâche j'ai écopé ? Ai-je une rétribution acceptable et digne de mes capacités? Ou bien son altesse ma mère a-t-elle jugé que j'allais de nouveau devoir m'occuper des nourrissons ? Non pas que je m'en plaigne, mais cela fait des années que je les entends brailler à longueur de journée, et cela commence à m'agacer au plus haut point.

La petite blonde éclata d'un rire pétillant.

-Nous commençons dès ce soir ! Tu fais parti de la patrouille Nord et moi de celle de l'Est!

Mercy pinça les lèvres.

-La mort de mon père a finalement convaincu la reine de me redonner des responsabilités.

Le regard de son interlocutrice s'assombrit légèrement.

-Tu ne devrais pas parler ainsi de ton père, tu lui dois plus que tu ne veux bien le reconnaître. En outre c'était un grand roi et il mérite un grand respect pour ses actes.

La princesse rit jaune.

-En effet, je lui dois ma peur incontrôlable d'être enfermée et la mort du seul homme que j'aie jamais vraiment aimé.

Un air grave tomba sur le visage de Falia.

-Te rends-tu bien compte que nous risquons... que nous allons croiser des... hum... des...

Mercy fusilla son amie du regard.

-Des satyres? J'en ai pleinement conscience. Ce n'est pas tabou, près d'un demi-siècle s'est écoulé à présent.

Un silence pesant suivit ces mots ruisselants d'une colère indélébile.

-Penses-tu réellement que tu seras capable d'en tuer un?

Sa rage s'exprima dans sa voix ferme.

-Oui ! Et saches que comme dans le temps j'y prendrai un malin plaisir ! Jay est mort pour moi ! Il m'a laissée seule dans une pièce exiguë où je ne voyais jamais la lumière du jour. J'espère que la mort l'a emporté, parce que si je venais à le croiser, il sera témoin de la haine que je ressens à son égard !

La compassion qui luisit dans les yeux turquoise de Falia éteignit la dernière parcelle de self-control que possédait encore Mercy. Elle se leva d'un bond et reprit:

-Comment oses-tu ne serait-ce qu'avoir pitié de moi ? Je te croyais mon amie, mais ta confiance en moi est aussi inexistante que celle de mes parents !

Falia regarda son amie partir loin d'elle, mais préféra la laisser seule sachant qu'elle ne tarderait à se calmer.
Le pas vif de la princesse la mena jusqu'à un petit ruisseau qu'elle aimait particulièrement. Elle s'y assit en pestant contre Jay qu'elle haïssait à présent plus qu'elle n'avait jamais haï qui que ce soit. Il était responsable de chacun de ses problèmes et elle préférait le prendre pour bouc émissaire, afin d'alimenter la rancoeur qu'elle éprouvait envers lui. Par sa faute elle avait perdu tout le respect que son père avait pour elle, ainsi que celui de tout son peuple. En effet, elle savait ce que tout le monde pensait d'elle. Ce que chacun n'osait lui dire en face. Elle était devenue celle qui avait trahi sa race. Celle qui l'avait mise en péril pour une passion irréfléchie et éphémère.

On ne lui faisait plus confiance. Elle était passée de la meilleure patrouilleuse, à la nymphe à laquelle on ne souhaite plus le moins du monde confier sa vie. Celle que l'on traite comme une pestiférée. Ses propres parents avaient su le prouver chaque année à chaque fois qu'ils refusaient de lui confier le seul labeur pour lequel elle avait un tant soit peu de talent. 

Les regards que l'on lui lançait lorsqu'elle participait aux réceptions auxquelles elle ne pouvait échapper étaient éloquents. Et même sa meilleure amie, la seule personne sur laquelle elle avait cru pouvoir encore compter, la délaissait de crainte qu'elle n'ait pas oublié ce satyre.

Mercy avait conscience que ressasser le passé n'était guère la solution à ses problèmes, cependant elle ne pouvait faire autrement. Malgré sa relégation au gardiennage d'enfants, elle avait continué à s'entraîner durement. Ne minimisant pas ses efforts dans le secret espoir de redevenir patrouilleuse. Elle voulait faire ses preuves. Ou plutôt les refaire.
Elle le devait.
Elle n'avait plus le choix.
Sa vie était devenue trop pesante pour qu'elle accepte sa situation. D'autant plus que son ascendance royale la laissait comme seule et unique héritière du trône des nymphes qui serait laissé vaquant au décès de sa mère Régina.

La jeune femme regarda son reflet dans le miroir d'eau. Un siècle s'était écoulé et pourtant elle n'avait pas changé. Son visage semblait certes plus dur, plus froid qu'auparavant et ses cheveux auburn qui avaient quelque peu poussé tombaient à présent au niveau de ses hanches, mais elle restait physiquement la même. A l'intérieur cependant, elle avait l'impression d'avoir perdu une partie d'elle-même, de n'être plus qu'un amas de ruines sur le point de s'effondrer à la première bourrasque. Cette analyse la motiva encore davantage.
Elle allait redevenir la meilleure patrouilleuse du royaume.
Et tuerait chaque satyre qu'elle croiserait.
Elle n'hésiterait pas.

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