⚘ First

Chan observait par la fenêtre de sa chambre le rassemblement qui prenait place au centre de son village. Sa rancœur s'accroissait au fur et à mesure qu'il apercevait les adultes se joindre aux enfants, formant ainsi un cercle autour du foyer central.

Il aurait bien aimé se joindre à l'effervescence, mais il savait pertinemment qu'il risquait gros en contrariant les Anciens. Il venait tout juste d'entrer en âge de se rendre chez le Sorcier du village pour qu'il lui dévoile la femme que les Dieux lui avaient destinée. Il ne pouvait pas se permettre de se faire ostraciser avant de prendre épouse. Les dirigeants de sa tribu s'étaient déjà montrés suffisamment cléments en lui permettant de vivre parmi eux, il était hors de question qu'il se montre effronté.

Le jeune homme exhala un profond soupir, dépité. Toute la journée, alors que le reste du peuple s'était amusé pour fêter la venue de la saison chaude, il était resté calfeutré chez lui sous les ordres des Doyens, car fort leur déplaisait qu'il se mêle aux autres.

La nuit tombait enfin, ce qui signifiait que c'était au tour des conteurs d'agrémenter la journée. Chan se sentit à nouveau en proie au chagrin, sachant que c'était un évènement qu'il avait attendu avec impatience. Mais malheureusement, on lui avait strictement défendu de quitter le domicile de ses parents, et il comptait bien obtempérer.

Il craignait bien trop le courroux des Anciens pour oser désobéir.

Et puis, comment aurait-il pu ? Tout le monde le connaissait, jamais il ne pourrait sortir sans qu'on ne le remarque.

Des flammes s'élevèrent brusquement vers le ciel, léchant les pierres du foyer. Cela arracha des murmures d'admiration et d'appréhension à l'assemblée, car cette magie était directement issue de la roche.

Chan sentit les larmes s'accumuler aux coins de ses yeux en apercevant le feu. Cela allait commencer.

Il releva vivement la tête en direction de l'entrée de sa chambre lorsqu'il entendit des pas précipités fouler les dalles de la petite demeure. Il s'essuya les yeux, priant que ce ne soit pas son père.

Finalement, un adolescent apparut sur le palier.

Pas très grand, une crinière fauve dissimulant en partie ses prunelles plus sombres que la nuit, un visage doux constellé d'étoiles, pas de doute, il s'agissait de son unique ami.

Un sourire éclata sur les lèvres charnues du nouvel arrivant lorsqu'il aperçut son vis-à-vis. La respiration hachée, il tentait désespérément de reprendre son souffle.

— Channie... J'ai... une... idée ! affirma-t-il finalement d'une voix infiniment rauque.

Chan ne put s'empêcher de pouffer face à la détermination qui brillait dans le regard du plus jeune.

— Qu'est-ce que tu racontes, Bokie ? s'enquit-il avec un soupir.

— Je t'emmène avec moi !

— Quoi ?!

L'aîné passa une main anxieuse dans sa chevelure blonde, appréhendant les dires de son ami.

— Ils n'ont pas le droit de t'écarter ainsi, renchérit le rouquin. Et je sais à quel point tu adores les légendes anciennes, alors j'ai décidé de t'aider.

— Bokie, non ! Je reste ici, tel est le désir des Anciens, et tu sais que je n'ai pas le droit de me dérober à leur décision. C'est pour le bien de la tribu.

— Le bien de la tribu, bien sûr. Non, mais tu t'entends ?! Tu es juste dénué de pouvoirs, Chan, qu'est-ce que ça change ?

— Je... Je n'en sais rien. Mais les An...

— Arrête, l'interrompit Yongbok en posant une main sur sa bouche. Tu viens avec moi.

Chan secoua la tête. Il avait bien trop peur.

— Je sais que tu adores les légendes des conteurs.

— Ils vont me tuer s'ils s'aperçoivent de ma présence...

— Ils ne sont pas obligés de savoir, rit le rouquin avec un clin d'œil. As-tu déjà oublié ce que je peux faire ?

— Je ne peux pas te demander ça, s'opposa Chan. Tu es encore jeune, tu perds très vite ton énergie vitale quand tu utilises ton pouvoir...

— Je me suis amélioré, tu sais.

Malgré lui, l'aîné était cruellement tenté. Il savait de quoi son cadet était capable. Âgé de seulement dix-sept printemps, sa puissance hors-norme en stupéfiait plus d'un. Finalement, ils étaient de parfaites antithèses, et le blondinet se demandait tous les jours pourquoi son jeune ami restait auprès de lui.

Sentant qu'il l'avait partiellement convaincu, Yongbok lui agrippa le poignet et le tira à sa suite, sans se soucier de ses protestations. Il comptait bien faire plaisir à son aîné, et puis, cela lui permettrait enfin de mettre sa magie à l'épreuve.

Lorsqu'ils furent sur le pas de la porte d'entrée, le petit rouquin s'arrêta net, et Chan le percuta.

— On ne peut pas aller plus loin. Donne-moi tes mains.

— T'es vraiment sûr de toi ? s'inquiéta le blond.

— Oui, assura son vis-à-vis. Mon frère est malade, alors personne ne fera attention à toi.

Sans attendre plus longtemps, car le temps pressait, le plus jeune entremêla ses petits doigts avec ceux de son ami. Il ferma les paupières, et l'aîné ne put s'empêcher de ressentir un pincement de jalousie en sentant une force froide et invisible fuser de son interlocuteur et se propager en lui.

Lorsque cela cessa, Yongbok lâcha doucement Chan, et l'observa avec une lueur de triomphe dans le regard.

— J'ai réussi !

Le blondinet examina ses bras, et constata qu'ils avaient changé. Un peu moins musclé que les siens, ils étaient également plus courts.

— Je me demanderai toujours comment tu...

— Channie, ne parle surtout pas ! paniqua le rouquin. Cela pourrait dissiper l'illusion que j'ai créée !

Le concerné opina du chef, un peu inquiet de savoir que le subterfuge pourrait tomber à tout moment.

Il suivit son jeune ami jusqu'au rassemblement, se mêlant avec lui aux plus jeunes. Quelques-uns, étant des amis proches de Jisung, tentèrent d'ailleurs de l'arrêter. Évidemment, il avait fallu que le frère de Yongbok soit une des personnes les plus populaires de la tribu.

Ils se placèrent le plus loin possible du centre du cercle, mais suffisamment proche pour entendre les conteurs. En voyant ces derniers prendre place autour du feu, Chan comprit qu'ils étaient arrivés juste à temps.

Le silence se fit progressivement.

— Ce soir, commença l'un des conteurs qui n'était nul autre que le père du blond, nous allons vous conter l'origine de notre peuple.

Des exclamations de surprise parcoururent alors les rangs. Les Doyens n'acceptaient que très rarement que cette légende soit racontée, et la plupart des autochtones l'ignoraient totalement.

Chan, bien qu'effrayé par la présence de son père à quelques pas de lui, était bien content d'avoir suivi son ami. Il aurait immensément regretté de manquer cette soirée qui s'annonçait mémorable.

— Cette légende n'a pas souvent été contée, il est vrai, acquiesça un autre homme d'une voix forte. Mais il est temps que lumière soit faite sur vos interrogations.

— Comme vous savez, nous sommes issus d'un peuple humain qui vivait sur une autre planète que la nôtre, reprit le premier. Mais malheureusement, à force de donner naissance, ils épuisèrent les maigres ressources dont ils disposaient. Ils n'eurent alors pas d'autres choix que de tuer les plus faibles, tandis que les plus forts furent envoyés sur Red Sun.

Des chuchotements commençaient à se faire entendre. Le blondinet fronça les sourcils, songeant que cette histoire comportait quelques failles. Il était certain que parler de puissance était une façon d'attiser l'orgueil démesuré de la tribu. C'était plus qu'improbable que cela se soit réellement produit.

— Je connais cette tête, pouffa Yongbok à ses côtés. Tu réfléchis trop.

— Certains racontent que les deux races auraient tenté de s'entretuer, poursuivit le deuxième conteur, et les liens entre notre planète et la leur, nommée Blue Sun, furent coupés peu de temps après pour éviter l'annihilation totale. Puis, alors que nos ancêtres s'étaient installés sur Red Sun, un étrange évènement survint. L'un d'entre eux était un hybride, fruit prohibé de l'union entre nos deux races. Et, suite à cela, des calamités sans précédent nous tombèrent dessus. L'hybride maîtrisait le pouvoir élémentaire de l'eau, et il souleva les fonds marins pour nous engloutir.

Chan fronça les sourcils avec incrédulité. Il n'avait jamais entendu parler de quelqu'un tirant son pouvoir directement des éléments. Les gens autour de lui devaient probablement songer à la même chose, puisqu'ils se mirent à parler tous en même temps.

— Silence ! tonna alors le père de l'adolescent blond.

Voyant qu'on l'avait écouté, il fit signe à son compagnon de poursuivre.

— L'un des habitants de Red Sun, doté d'une puissance exceptionnelle, parvint à l'arrêter. Depuis lors, notre peuple décida d'effacer totalement tous souvenirs que nous conservions de Blue Sun pour éviter que quiconque ne soit tenté de réitérer cet acte. Les quelques survivants du massacre se séparèrent en trois tribus et reprirent la vie à zéro, liés par le serment qu'ils avaient prêté.

Le blondinet était perplexe. Il ne s'agissait évidemment que d'une légende, mais toute légende était tirée de faits réels, et quelque chose lui disait que celle-ci était importante. Leurs origines étaient-elles donc aussi évasives que cela ? Personne ne se rappelait de quoi que ce soit d'autres ? Il peinait à y croire. D'après lui, les Anciens avaient certainement ordonné aux conteurs de taire les informations cruciales et de raconter le reste pour gagner la confiance du peuple.

Mais Chan ne se laisserait pas duper aussi aisément.

Une pensée lui effleura soudainement l'esprit. Sans réfléchir, sa voix s'éleva de l'assemblée.

— Comment se fait-il que nous n'ayons aucune trace de comment les Terriens se rendaient sur Red Sun ?

Yongbok lui décocha un regard angoissé, et il comprit son erreur. L'illusion s'était estompée.

Tous les visages convergèrent vers lui, et certaines expressions se firent plus dures en constatant sa présence. Chan maudit son esprit de théoricien sans scrupule. N'aurait-il pas pu se taire, pour une fois ?

De toutes les mines antipathiques, celle de son père le fit le plus trembler.

— Fils.

Le jeune homme déglutit péniblement, alors que le regard d'un bleu glacial de son géniteur s'ancrait dans le sien pour sonder son âme.

— Premièrement, sache qu'il est défendu de poser des questions aux conteurs. Deuxièmement, nous n'avons plus aucun souvenir de ces évènements antérieurs.

— Je suis sûr que les Doyens vous lient les mains, siffla Chan.

L'expression placide de son père se changea instantanément en une mine menaçante qui le fit reculer.

— Personne n'a le droit d'accuser et de contester les dirigeants de la tribu, gronda-t-il tel un fauve.

Yongbok posa une main sur le bras du blondinet, lui intimant silencieusement de ne pas pousser à bout le conteur courroucé. Mais celui-ci balaya ses suppliques d'un geste de la main.

— Il est injuste de dissimuler des renseignements au peuple ! tempêta-t-il.

Un silence lourd enroba le village. Tout le monde se tourna vers le plus âgé, attendant de voir comment celui-ci allait régler ce conflit.

— Que suggères-tu, alors ? demanda-t-il alors d'une voix affreusement calme qui aurait pourtant dû mettre en garde son fils impétueux.

— Justice doit être faite. Nous avons le droit de savoir, de connaître nos racines. Et qui sait, peut-être pourrions-nous nouer de nouveaux liens d'amitié avec les habitants de Blue Sun ! Peut-être sont-ils désormais pacifiques. Vous savez autant que moi que cela fait une vingtaine d'années que notre peuple éprouve de grandes difficultés à mettre au monde des enfants. Notre nombre baisse de plus en plus, et je suis persuadé que les Terriens pourraient nous aider à nous développer.

Des murmures approbateurs se propagèrent comme une traînée de poudre parmi les rangs serrés.

Voyant qu'il perdait la maîtrise des esprits candides de la tribu, le père serra brutalement les poings.

— S'ils sont tous comme toi, alors il vaut mieux qu'ils restent dans leur misérable monde ! tonitrua-t-il hargneusement.

Chan voulut rétorquer, mais l'air suppliant du rouquin à ses côtés l'en dissuada. Les gens autour d'eux retenaient leur souffle en voyant se radoucir l'expression acariâtre du conteur.

— Je vois que je me suis trompé sur toi, déclara finalement ce dernier. Tu es indiscipliné, incapable de te montrer déférent envers ceux qui ont un rang plus élevé que toi. Là et maintenant Chan, pour le bien de la tribu, je te retire le droit de connaître la femme qui t'est destinée et de prendre épouse.

Le concerné resta bouche bée face à cette soudaine déclaration.

— Sois conscient que, étant dépourvu de facultés magiques, tu es situé à un niveau bien inférieur à tous ses gens, conclut son vis-à-vis en indiquant l'assemblée. Tu n'es rien, ta vie ici ne tient qu'à un seul fil : celui de la bonté des Doyens, qui, dans leur grande sagesse, ont été conciliants envers toi.

Le blondinet se raidit face aux paroles acrimonieuses de son géniteur. Pouvait-il seulement se comporter ainsi envers son propre fils ? Et surtout, un conteur avait-il réellement le pouvoir de lui retirer le dernier droit que les Anciens lui avaient laissé ?

Chan ne laissa rien paraître sur son beau visage ; il refoula sa rogne, sa peine, sa détresse et son sentiment de profonde injustice dans les méandres de son cœur. Son orgueil étant la dernière chose qui lui restait, il fixa son père droit dans les yeux pendant d'interminables minutes, lui faisant ainsi comprendre qu'il comptait se battre jusqu'au bout. Il était peut-être inférieur du point de vue de toute sa tribu, mais il ne se laisserait pas faire.

Finalement, après ces instants où le peuple entier n'avait pas osé esquisser le moindre mouvement, le blond quitta l'assemblée la tête haute.

Alors qu'il foulait un sentier couvert de galets noirs et brillants, il entendit vaguement son père reprendre la parole derrière lui. Mais il n'écouta pas, et s'enfonça dans le petit bois à côté de son village.

Une fois qu'il fut loin des regards, les larmes coulèrent le long de ses joues creuses. Secoué de vifs sanglots, Chan se laissa choir sur le tapis d'herbes rougeâtres d'une clairière baignée de pénombre, espérant ainsi que sa peine finisse par s'effriter.

L'environnement de Red Sun différait de Blue Sun en quelques points. Rares étaient les sources d'eau potable, le paysage principalement ocré étant majoritairement parsemé de pierres. Les forêts n'étaient pas aussi abondantes que sur Terre, et les habitants se faisaient donc un devoir de les conserver. Les troncs des arbres étaient d'un céruléen grisâtre, et leurs feuilles chatoyaient de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel.

Très peu d'eau tombait du ciel bleu céleste, et pour cette raison, dans leur évolution, tous les êtres cohabitant sur cette planète avaient gagné en résistance en cas de forte aridité. Trouver sa pitance était également un véritable défi pendant certaines périodes de l'année, tout particulièrement durant la saison froide. Mais heureusement, certains pouvoirs permettaient bien des miracles pour ce peuple aguerri par la rudesse de leur planète.

Un vent récurrent soufflait perpétuellement sur ce monde rocailleux, se manifestant parfois en un doux zéphyr, parfois en de violentes bourrasques.

Red Sun était aussi parcourue de dunes de sable et de volcans, mais les tribus avaient veillé de s'installer à une distance respectable de ces dangers naturels.

Le clan dont était issu Chan était le plus ancien, et s'était installé dans l'extrême nord de la planète, là où les changements de climat étaient les moins marqués. La saison froide était courte et douce, et la chaude, longue et fraîche.

Les quelques forêts qu'abritait la région dans laquelle ils vivaient étaient habitées par de dangereux prédateurs, surtout la nuit. Et c'était pour cela qu'elles étaient défendues d'accès quand l'obscurité tombait.

Yongbok, debout sur la place principale du village, était profondément angoissé. Les femmes, en bonnes épouses, étaient toutes parties mettre les enfants au lit. Seuls les hommes étaient restés en cette heure tardive pour discuter entre eux de la conversation intéressante qui avait eu lieu à peine une heure auparavant.

Le rouquin aurait voulu suivre son ami directement après son altercation avec son père, mais ainsi, il se serait mis les Doyens à dos. Ils voyaient déjà leur amitié d'un très mauvais œil, il devait à tout prix éviter d'attirer leur attention. Il ne doutait pas que sa punition pour avoir entraîné Chan avec lui allait être sévère, il se devait de radoucir leur humeur.

L'adolescent savait pertinemment que l'intervention du blond allait préoccuper tout le village pendant quelques jours. Ce n'était un secret pour personne, leurs nouveau-nés étaient de plus en plus fragiles et mouraient à une vitesse hallucinante. Les Anciens avaient essayé de contacter les autres tribus pour leur demander de l'aide, mais devant l'absence de réponses, ils avaient abandonné, cherchant plutôt par leurs propres moyens à éliminer le problème. Certains enfants avaient été sauvés par ceux qui maîtrisaient la guérison, mais cela restait un faible pourcentage.

Les conteurs avaient fait tout leur possible pour redresser la situation suite à l'éclat de Chan, mais cela n'avait, pour une fois, pas suffi.

Yongbok décocha un dernier regard inquiet en direction des Doyens, qui, assis en tailleur à même le sol, tentaient en vain de calmer les ardeurs des jeunes adultes de la tribu. Ils avaient l'air bien trop occupé pour faire attention à lui.

Il se rendit alors à la maison de son ami, mais la mère de ce dernier l'informa sèchement qu'il n'était pas rentré. Déconcerté par sa froideur vis-à-vis de son fils, le rouquin décida alors de suivre le chemin qu'avait emprunté celui-ci.

Lorsqu'il se rendit compte qu'il menait tout droit aux bois, il commença à s'alarmer.

« Par pitié, Channie, dis-moi que tu as fait preuve de prudence, pour une fois... », supplia-t-il intérieurement.

Il interrogea quelques gamins qui s'étaient dérobés à la surveillance de leurs mères, mais aucun d'entre eux n'avaient vu l'homme sans pouvoir. Yongbok se désola de voir que tous connaissaient son existence à cause de sa particularité, et que, instinctivement, ils le haïssaient. La seule raison pour laquelle ils avaient bien voulu répondre à sa question, c'était par pure crainte, sachant qu'il était plus puissant que la norme. Comment Chan parvenait-il à survivre dans un tel climat hostile ?

L'adolescent poursuivit sa route, zigzaguant entre les feuillus colorés. Tous ses sens étaient en alerte. Il craignait la présence des animaux nuisibles qu'avaient de si nombreuses fois dépeints les conteurs. Même si son aîné n'avait pas souvent eu l'occasion d'assister à leurs légendes, il connaissait les dangers qu'abritait cette forêt. Alors pourquoi s'y était-il rendu ?

Malgré sa peur, le rouquin avançait inlassablement. Il s'en voudrait toute sa vie s'il arrivait malheur à son meilleur ami.

Heureusement pour lui, il ne s'était pas rendu très loin. Quelques instants plus tard, il déboucha dans une sombre clairière. Il aperçut la chevelure flavescente de celui qu'il recherchait, et s'empressa de le rejoindre.

— Channie ! Ça va ? Tu n'as rien ? Tu... Tu pleures ?

Yongbok examina son vis-à-vis sous toutes ses coutures, et lui saisit la main avec douceur.

— Je vais bien.

— Ton père, il...

— T'inquiète, coupa amèrement le blond. J'ai l'habitude, de toute façon. Je finirai par m'en remettre, comme toujours.

Profondément anxieux pour son ami, le plus jeune essuya délicatement ses pommettes humides pour le réconforter. Sans prévenir, Chan lui agrippa les bras et le tira dans une étreinte.

Avant que l'adolescent ne puisse réagir, il éclata en sanglots, nichant sa tête dans le creux de son cou.

— Eh... calme-toi..., murmura doucement le rouquin en le serrant contre lui.

— Je suis fatigué, Bokie, si fatigué...

— Ça va aller, je suis là...

— Tu ne devrais p-pas être là, j-justement. Retourne au v-village.

— Quoi ?! Mais...

— R-Rester avec moi t'apporte un t-tas d'ennuis, et tu le s-sais, l'interrompit Chan en hoquetant. Ta r-réputation pourrait en pâtir...

— Je m'en fiche de ce qu'on pense de nous ! éclata Yongbok en l'écartant de lui. Tu es mon ami, et je tiens à toi ! Je ne t'abandonnerai pas, peu importe ce qu'en dit le peuple !

— Je... J'ai juste peur que... ton avenir soit menacé par ma faute...

— Ça n'est absolument pas le cas, Chan. Je suis puissant, j'en suis conscient, les Anciens aussi en sont conscients. Ils savent que s'ils me chassent, ils perdront un précieux allié, et c'est pourquoi ils me permettent quelques écarts.

— Ils te traitent comme un vulgaire objet de pouvoir..., se désola le blondinet.

— Je le sais, crois-moi, soupira le rouquin. Et toi, ils te traitent comme un moins que rien.

En besoin de réconfort, l'aîné prit à nouveau son ami dans ses bras. Ce dernier répondit à l'étreinte, espérant ainsi administrer tout son amour pour son ami malmené par la vie.

Chan cessa finalement de pleurer, mais il trémulait comme une feuille contre son cadet.

— Peut-être qu'ils ont raison..., chuchota-t-il alors avec peine.

— Jamais, affirma Yongbok d'une voix âpre. Tu es très important pour moi, jamais les Doyens ne me feront changer d'avis sur le fait que tu es une personne en or. Et... je ne doute pas un seul instant qu'une puissante magie dort au fond de toi.

— Très drôle...

Le rouquin s'esclaffa doucement.

— Je sais que tu m'épateras...

— Au lieu de dire n'importe quoi, rentre au village.

— Je ne vais pas te laisser dans cette dangereuse forêt, s'indigna le plus jeune. Viens avec moi.

— S'il te plaît... J'ai besoin d'être seul.

— Channie...

— J'ai besoin de réfléchir, insista le blondinet en repoussant doucement son ami.

L'adolescent au visage délicat fit la moue, et instantanément, un éclatant sourire fleurit sur les lèvres de son vis-à-vis qui le trouvait tout simplement adorable.

— Je serai rentré à l'aube, promis.

Avec réticence, celui-ci lâcha la grande main de son aîné en bougonnant.

— Ah, et... merci d'être là pour moi, Bokie.

En guise de réponse, le rouquin vint furtivement lui déposer un baiser sur la joue, et quitta la clairière en courant.

Chan s'esclaffa. Son ami était un gamin, mais un gamin tellement attachant qu'il ignorait ce qu'il ferait sans sa présence à ses côtés.

En exhalant un soupir démoralisé, il se coucha dans l'herbe, inconscient du potentiel danger qui l'entourait. Son esprit se mit à vagabonder de lui-même.

Avec le temps, pour échapper au mépris qu'il suscitait, il s'était fixé comme but de toujours trouver un moyen de contredire les gens de sa tribu. Étant vu comme faible, il s'était mis à se muscler pour échapper à ce manque de confiance. Le blondinet avait toujours fait tout ce qui était en son pouvoir pour prouver à ce monde au régime assujettissant qu'il était capable de beaucoup plus.

Ses facultés ne résidaient peut-être pas en la magie, mais il n'avait aucun doute qu'elles se trouvaient ailleurs.

Enfin... jusqu'à présent. Désormais, il n'était plus sûr de rien. Sa confiance en soi s'était effritée à cause des paroles caustiques de son père. Elles ne cessaient de virevolter dans sa conscience jusqu'à marquer son âme.

Ses remarques avilissantes le faisaient se questionner sur sa place réelle au sein de la tribu. Finalement, était-il vraiment inférieur à son peuple ? Il commençait à y croire.

Le blondinet poussa un énième soupir. Pourquoi le destin avait-il bien pu souhaiter qu'il naisse sans magie aucune ? Les Anciens proféraient qu'un dessein particulier était prévu pour chacun, mais il n'en était plus vraiment certain. Il souffla doucement face à ses pensées blasphématoires.

Il ignorait bien comment il pourrait continuer à vivre tranquillement dans ces conditions. C'était compliqué, et bien qu'il soit fort d'apparence, peu à peu, il commençait à fatiguer. Il avait tout fait pour rendre son père fier de lui, mais celui-ci ne ressentait que de la honte d'avoir mis au monde un enfant dénué de pouvoirs.

Sa mère était différente. Son mari l'ayant défendu de montrer publiquement son affection pour son fils, elle ne laissait rien paraître. Mais elle l'aimait, il en était certain.

Chan n'avait jamais compris pourquoi Yongbok l'avait approché, il y avait de cela dix ans. À cette époque, alors âgé de sept ans, le petit rouquin n'avait pas semblé prêté une quelconque attention à l'animosité que l'on manifestait pour son aîné.

Ce dernier pleurait, ce jour-là, et ce bambin l'avait étreint en lui affirmant que jamais plus il ne serait triste. Le blondinet se souvenait encore de son doux minois tacheté de constellations brunâtres et de ses grands yeux pétillants l'observant avec curiosité.

Très vite, on avait écarté le blond de toutes les prérogatives qui lui étaient pourtant réservées, ne lui laissant ainsi entrevoir aucun avenir. Mais jamais son ami ne l'avait abandonné. Il était resté à ses côtés quoi qu'en disaient les Doyens contrariés.

En grandissant, la magie de Yongbok devint puissante. Ses illusions frôlaient la perfection et duraient de plus en plus longtemps par la seule force de son esprit.

Chan se sentait envieux, et en même temps, profondément honteux d'être jaloux de son meilleur ami. Mais le rouquin lui avait affirmé qu'il comprenait parfaitement, et puis, ses marques d'affection l'avaient rassuré. Il avait rapidement pris goût à ses étreintes et à ses bisous sur les joues. Son cadet était particulièrement démonstratif, et il savait que lorsqu'il évitait tout contact avec lui, c'était que quelque chose le tracassait.

Au bout d'un moment, le blondinet se rendit compte qu'il faisait nuit noire aux alentours. Moult bruissements résonnaient autour de lui, mais étrangement, il ne s'en inquiétait pas.

En ayant assez de rester allongé, il se leva afin de se dégourdir les jambes. Il fit quelques pas en dehors du sentier, s'aventurant entre les fourrés et les broussailles panachés.

Des deux satellites naturels de Red Sun, le plus proche était totalement visible. Il diffusait une intense lueur blanche qui éclairait suffisamment le chemin de Chan pour qu'il évite de se cogner dans tous les obstacles.

Après quelques mètres, il fit une étrange découverte : une sorte de fascicule gisait sur le tapis d'herbes nacarat.

Intrigué, le blond se pencha et s'en saisit. Il constata avec étonnement qu'il était fait d'une matière qu'il n'avait jamais vue.

Piqué par la curiosité, il décida de retourner à la clairière pour pouvoir bénéficier de suffisamment de lumière pour lire.

Sur la couverture bigarrée étaient dessinés trois étranges individus. L'un d'entre eux était vêtu d'un habit moulant vermeil et bleu, zébré de lignes sombres semblables à une toile d'araignée. De sa main tendue jaillissaient des fils d'un blanc crémeux. Le deuxième homme portait une tenue qui semblait bien plus solide, une sorte d'armure grenat et or. Ses paumes tournées vers l'extérieur brillaient d'un vif éclat iridescent. Le dernier personnage était une femme rousse dans un accoutrement noir. Les bras croisés, elle semblait jauger ceux qui osaient poser les yeux sur elle.

Interdit, Chan observa un long moment les dessins. Malgré tous ses efforts, il ne parvenait pas à déchiffrer les symboles ornant le papier. Alors finalement, il ouvrit le livre.

Des carreaux de même grandeur s'étalaient sur toute la page de droite. À l'intérieur de chacun d'eux, il aperçut d'autres petits personnages affublés de vêtements ridiculement colorés.

Le blond arqua un sourcil. N'était-ce pas risqué de parader ainsi accoutré ?

En haut de certains dessins, il y avait des sortes de bulles recouvertes d'écritures, et contrairement à celles sur la couverture, il parvint à en lire quelques-unes. Mais certaines lui étaient étrangères, bien qu'ayant une forte ressemblance à sa propre langue.

Avec un peu patience, Chan réussit à comprendre la majorité de l'histoire. Car oui, il avait enfin compris de quoi il s'agissait. Ce livre relatait les aventures d'individus en costumes bariolés qui en contraient d'autres, souvent vêtus de noir et affichant des grimaces effrayantes. Ils usaient de pouvoirs, ce qui, une fois encore, rappela cruellement au jeune homme son anomalie.

Fasciné par cet ouvrage dont l'écrivain avait écrit de manière parfaitement symétrique, il s'installa confortablement sur le sol et continua sa lecture laborieuse. Il pensa qu'il s'agissait probablement du dialecte d'une des deux autres tribus de Red Sun, car il avait de grandes similitudes au sien.

Mais il peinait à comprendre certains mots qui ne provenaient absolument pas de sa langue. Et l'autre chose qui le consternait, c'était qu'il ne reconnaissait pas du tout l'environnement où évoluaient les personnages. Les végétaux étaient essentiellement verdâtres, et les maisons rectangulaires, semblables à des tours de métal et de verre.

Lorsque Chan voulut tourner la page, il constata qu'elle était collée à celle de derrière. Agacé, il tira de plus en plus fort jusqu'à ce qu'elle se détache finalement.

À peine avait-il esquissé ce geste que la page suivante se mit à briller d'une forte lumière. Affolé, le blondinet chercha à s'en éloigner, mais il était complètement paralysé par une force mystérieuse. Il se sentit alors aspiré en direction du livre, et il tomba tête la première vers celui-ci.

Au lieu de se cogner contre le sol, le jeune homme se sentit dégringoler. Avec effarement, il vit les bois se fondre en un amas de couleurs éblouissant.

Au milieu de la forêt, un garçon aux cheveux flavescents disparut brusquement, et la lueur émise par l'ouvrage s'éteignit avec lui.

— Changbin, t'en as mis du temps ! s'exaspéra un adolescent.

Il souffla pour repousser les mèches brunes qui lui retombaient devant les yeux, lui obstruant ainsi la vue.

— Je sais, Seungmin, je suis désolé ! s'excusa un noiraud, visiblement haletant. J'essayais d'éviter quelqu'un, mais quand j'ai tourné au croisement des deux classes de dessin, il...

— Tu parles trop, tais-toi.

Le plus jeune roula des yeux en saisissant le poignet de son ami, qui obtempéra sans discuter. Il le tira le long d'un des innombrables couloirs du lycée, et poussa la porte de sortie en évitant quelques coups de coude irrités au passage.

— Je t'avais pourtant dit de te dépêcher, le sermonna Seungmin. J'ai plein de devoirs à faire, et deux examens à étudier.

— Mais on est vendredi ! protesta l'autre.

— Et alors ?

— Bah personne ne travaille le vendredi...

— Moi oui, maintenant, bouge !

— Mais si t'es si pressé que ça, pourquoi tu m'as attendu ?

— Parce que je suis ton ami, abruti !

Le brunet était complètement excédé par les paroles de Changbin, qui tentait tant bien que mal de le suivre sans se laisser distancer. Ils empruntèrent plusieurs rues ensemble en bavardant allègrement, puis se séparèrent. Le plus jeune disparut dans une ruelle inusitée en faisant un signe de la main à son ami.

Ce dernier se mordit la lèvre inférieure en le voyant s'éloigner. À vrai dire, il n'était pas vraiment rassuré. Sans lui, il tombait souvent sur un garçon qu'il ne voulait absolument pas croiser. Mais il se sentirait encore plus coupable de lui demander de faire le chemin avec lui pour qu'il se sente rassuré.

Changbin était le fils d'un ambassadeur. Il avait hérité de son épaisse chevelure de jais, de ses traits marqués et de son regard de braise, mais malheureusement ni de sa prestance, ni de sa ténacité. Pour le reste, il était telle sa mère. De petite taille, d'un naturel tendre et doux, il n'avait rien avoir avec la combativité et l'ambition démesurée de Monsieur Seo.

Ces différences lui menaient d'ailleurs la vie dure, malgré sa musculature développée. Quelques-uns avaient bien vite constaté qu'il n'était pas aussi sévère et effrayant que l'émissaire, et avaient décidé d'en profiter. Ne pouvant pas manifester ouvertement leur haine vis-à-vis de ce dirigeant, ils se défoulaient sur le fils de celui-ci.

Changbin dissimulait ce qu'il subissait à son géniteur pour ne pas l'inquiéter. Il avait déjà suffisamment de problèmes sur le dos pour en rajouter d'autres.

Effrayé simplement de ne pas sentir la présence de Seungmin à ses côtés, il se hâta de s'engager sur une rue. Il habitait bien trop loin de l'école à son goût.

Très rapidement, des ricanements antipathiques se firent entendre derrière lui, et il reconnut Hyunjin.

Accélérant le pas, il se précipita dans le parc de la ville. Peut-être aurait-il le temps de se soustraire à lui en se cachant derrière un arbre.

Son cœur battait à tout rompre contre sa cage thoracique et pulsait à ses tempes. Changbin se maudit intérieurement de se sentir aussi terrifié par cet adolescent dédaigneux.

Hwang Hyunjin faisait partie de sa classe. Grand, il était d'une beauté à en faire pâlir les divinités grecques. Les filles se pâmaient devant ses clins d'œil aguicheurs sans se soucier de sa mauvaise réputation.

Le petit noiraud avait à peine atteint un premier fourré qu'il sentit quelqu'un lui agripper violemment le poignet. Désorienté, il trémulait tellement qu'il fit rire son assaillant.

— Ton ami t'a abandonné ?

— Je l'ai juste laissé r...

— On t'a déjà dit que tu parlais trop ? l'interrompit sèchement Hyunjin.

Changbin esquissa une petite moue, irrité.

— Ça fait longtemps que je n'ai plus eu l'occasion de te donner une leçon, mais on va y remédier.

Le noiraud déglutit, cherchant à toute vitesse une idée qui pourrait le sortir de cette situation.

— On pourrait remettre ça à lundi, non ?

— Tu te fous de ma gueule, là ? s'énerva le plus grand.

— Du tout. Qu'est-ce qui te fait croire ça ?

Hyunjin l'interrompit en lui balançant son poing dans son ventre, ce qui lui coupa le souffle.

— T'es vraiment un enfant gâté qui se croit tout permis ! cracha-t-il.

— Euh... c'est pas plutôt toi qui...

— Ferme ta gueule !

Changbin poussa un soupir, la panique recommençant à déferler en lui. Le coup de son assaillant l'avait fait grimacer, il allait probablement avoir une grosse ecchymose. Il recula de quelques pas, cherchant à s'approcher au maximum d'une zone peuplée.

— Ne bouge pas !

Le plus jeune d'entre eux commençait à sortir de ses gonds. Cela ne se passait pas comme ça de coutume. Mais en ce jour, il semblait particulièrement de mauvaise humeur, et le fait que le noiraud se dérobe à ses ordres attisait sa rage.

— Ne bouge pas, je t'ai dit ! tonna Hyunjin en s'approchant.

Son regard reluisant de haine mit en garde son vis-à-vis, qui poussa un petit cri ridicule. Mais il n'eut pas le temps de faire quoi que ce soit : son cadet, faisant néanmoins dix bons centimètres de plus que lui, le fit tomber sur le sol et lui heurta les côtes avec son pied.

Changbin laissa échapper une plainte sourde alors que l'autre multipliait ses coups. Il craignait que ses os ne se brisent, et dans ce cas, il serait difficile pour lui de se soustraire au regard de faucon de son père.

Le plus grand, dont la chevelure était châtain, se mit à genoux à ses côtés et lui agrippa le bras.

Mais soudain, une lueur rougeoyante s'échappa de ses doigts, et le plus âgé poussa un geignement. Hyunjin écarquilla les yeux et s'écarta brutalement. Il jeta un regard effaré à son vis-à-vis, et tourna les talons, quittant le parc en courant.

La respiration sifflante, le noiraud se tenait la poitrine. Son visage aux traits à couper au couteau dépeignait un ahurissement total, il était presque choqué de l'action précipitée de son cadet. Jamais il n'avait agi ainsi auparavant.

En baissant les yeux sur son bras, il comprit pourquoi il avait été traversé de douleur.

Une petite tache brunâtre s'étalait sur sa peau au niveau de son coude : une brûlure.

Monsieur Seo était un des ambassadeurs les plus importants du gouvernement terrien.

En effet, suite à la surpopulation, plus de la moitié des humains avaient quitté la Terre : certains avaient été tués, d'autres, envoyés sur une autre planète. Et ainsi, ils avaient dû faire face à une crise économique croissante. Finalement, on avait décidé d'élire quelques personnes par pays pour s'occuper de la politique de tous.

Cet homme possédait une réputation d'acier. Ses traits durs, son regard noir et sa stature imposaient le respect. Mais ses gestes et sa sapience étaient probités, et son amour pour sa patrie et son fils, ineffable. Bien qu'il soit issu d'un des pays les plus conflictuels de la Terre, personne n'osait le contredire ouvertement.

De tous les pays de jadis, il n'en restait plus qu'une cinquantaine. À vrai dire, il y avait plusieurs raisons à cela : tout d'abord, le réchauffement climatique avait poussé les gens du sud à venir s'installer dans les régions du nord. Les habitants des côtes et des îles avaient dû déguerpir à cause des inondations. Suite aux famines et à la sécheresse, les populations plus pauvres avaient péri, si bien qu'il ne restait plus que les plus aisées. En ces temps difficiles, ces dernières subissaient de plus en plus de complications et perdaient énormément de ressources. Les trois puissances mondiales résidaient désormais en Corée du Sud, en Arabie Saoudite et en Amérique, là où survivait une concentration majoritairement humaine.

Le Japon ayant disparu sous les flots de l'océan, son peuple s'était mêlé aux Coréens, qui désormais, parlaient un curieux mélange de japonais, de chinois, de coréen et d'anglais.

Même en étant un des pays les plus riches de la planète, la Corée du Sud avait son lot de problèmes. Ses habitants étaient de plus en plus ambitieux et incontrôlables, et Monsieur Seo, malgré son pouvoir politique et ses alliés, avait toutes les difficultés du monde à rétablir l'ordre.

Il était tard. Le quinquagénaire, souhaitant rentrer chez lui, exhala un profond soupir de lassitude lorsqu'il aperçut un nouveau dossier sur son bureau. Sur le dessus, il était inscrit « urgent », et l'homme sut aussitôt qu'il passerait une énième nuit blanche. Il espéra vivement que son fils ait soupé sans l'avoir attendu. Il s'en voulait énormément de l'abandonner ainsi, mais ce n'était pas par choix, car son travail lui prenait tout son temps. Il était très important qu'il aide ses collaborateurs coréens à trouver une solution pour enfin réduire les guerres civiles et les conflits opposants divers régions de leur pays.

Monsieur Seo se massa les tempes avec désespoir. Ses paupières étaient lourdes, il avait besoin d'un café amer pour pouvoir les garder ouverts suffisamment longtemps afin de lire le dossier.

Puisque tous ses employés avaient quitté les lieux depuis longtemps déjà, il se rendit lui-même à la machine se servir. Il l'actionna, et prit une tasse en baillant.

— Puis-je vous être d'une quelconque aide, monsieur ? s'enquit alors une petite voix derrière lui.

Lorsque l'ambassadeur se retourna, il aperçut un petit bout de femme impavide qui le regardait droit dans les yeux. Il lut « stagiaire » sur son badge.

— C'est bien aimable de votre part, répondit-il poliment. Mais je pense surtout que vous devriez rentrer chez vous pour vous reposer, mademoiselle.

— Avec tout le respect que je vous dois, monsieur, vous ne semblez pas bien pressé de rentrer, rétorqua-t-elle en arquant les sourcils.

L'homme pouffa doucement.

— J'ai encore beaucoup de travail devant moi.

— Ne peut-il pas attendre demain ?

— Non.

— Alors dans ce cas, permettez-moi d'être votre stagiaire personnelle, cette nuit.

Monsieur Seo s'esclaffa. Elle lui semblait terriblement bornée et investie, et nul doute ne subsistait dans son esprit quant à son avenir qui lui paraissait assuré.

— Si vous êtes capable de tenir jusqu'à trois ou quatre heures du matin, alors pourquoi pas ? se décida-t-il enfin. Mais si je vois que vous vous effondrez, je me verrai forcé de vous envoyer vous coucher, compris ?

— Compris, monsieur. Je serai aussi éveillée qu'une girafe, affirma-t-elle très sérieusement.

— Et... comment vous appelez-vous ?

— Chaerin, monsieur.

— Chaerin, pourriez-vous me faire plusieurs cafés ? Oh et... prenez-en pour vous aussi.

— Oui, monsieur. Tout de suite, monsieur.

Le quinquagénaire se saisit du café qu'il avait déjà fait couler, et retourna à son bureau. Tout en buvant sa boisson, il ouvrit son dossier, déplorant son épaisseur.

Sur les premières pages, il n'aperçut rien d'inhabituel. Il s'agissait uniquement d'informations quelconques qu'il connaissait déjà fort bien, alors pourquoi était-il urgent qu'il en prenne connaissance ?

Lorsqu'il se leva avec l'intention d'appeler la femme qui gérait l'administration malgré l'heure tardive, une feuille pliée s'échappa du dossier et s'écrasa au sol.

Monsieur Seo la saisit entre ses doigts, et la déroula avec curiosité.

Ses yeux s'écarquillèrent brutalement lorsqu'il eut lu les quelques mots figurant sur le papier :

« Il y en a d'autres. Il faut agir vite, ou nous périrons tous. »

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