76 - Tokyo Fashion Week

Le grand jour était enfin arrivé. Dans le restaurant bondé en début de soirée, Himeko faisait des aller-retour entre les tables tout en jetant des coups d'œil à l'écran de télévision au-dessus du comptoir.

Tu peux le faire Taka ! Se dit-elle. C'est toi le meilleur !

– S'il vous plaît ! L'interpella une voix.

– J'arrive tout de suite ! Lança Himeko.

Elle déposa les assiettes, verres et couverts des clients précédents en cuisine et sortit son carnet de sa poche. Derrière elle, le présentateur télé continuait à annoncer le lancement de la Tokyo Fashion Week, l'événement phare du printemps et, surtout, le retour de celui qu'on appelait déjà l'enfant terrible de la mode japonaise, Takashi Mitsuya, qui s'était vu offrir la chance de participer au lancement des défilés en compagnie des anciens lauréats du concours dont lui-même avait refusé le prix.

– Un hamburger avec des frites pour le petit, dit le client, moi je prendrais un curry et toi chérie tu prends quoi ?

Sa femme consultait encore le menu.

– Comme toi je crois.

L'homme revint vers Himeko.

– Alors deux currys.

– Très bien, c'est noté. Je vous amène ça tout de suite !

Himeko repartit en cuisine et accrocha la commande au tableau avant de l'annoncer. Elle se massa les tempes, avant de se remettre au travail.

À la télévision, les avis étaient partagés. Certains soutenaient que c'était une erreur d'inviter quelqu'un qui avait publiquement craché sur une récompense aussi prestigieuse, alors que d'autres étaient plutôt partisans de lui accorder une seconde chance. Tous cependant étaient unanimes sur un point, ils mourraient d'envie de voir ce que Mitsuya Takashi leur avait préparé.

Il va tous vous bluffer bande de minables ! Se dit Himeko en passant devant la télévision.

Durant une seconde, un vertige la saisit et elle dut s'appuyer au comptoir pour ne pas tomber. Elle inspira profondément, et se redressa.




Dans les coulisses du défilé, c'était la folie. Tout le monde courait dans tous les sens, des cris fusaient de toutes parts et des mannequins à moitié nues s'efforçaient d'être prêtes à temps. Takashi mettait la dernière main à ses créations. Comme les autres jeunes stylistes, il disposait de trois models pour les présenter. Dans son cas, Hakkai et Arisa auraient pour tâche de mettre en avant sa collection, c'était sur eux qu'elle aurait le plus d'impact.

– Ça va comme ça Taka ? Demanda Hakkai.

Mitsuya termina de nouer son tasuki. Il redressa et leva les yeux.

(NDA : Tasuki, bande de tissu qui s'enroule sur les épaules et se croise dans le dos du porteur pour maintenir les manches des kimonos. L'accessoire a été récupéré, notamment, par les gangs de motards. J'ai mis des photos à la fin du chapitre pour illustrer.)

– Oui, c'est très bien, dit-il.

Plus loin, une assistante embauchée par l'organisateur du défilé aidait Arisa à finir de se préparer.

Si Arisa et Hakkai constituaient les fers de lance de la collection de Mitsuya, il y avait une bonne raison à cela. Ses modèles s'inspiraient de ce qu'il connaissait le mieux : les uniformes de gang. Takashi avait joué avec l'apparence, les matériaux et les broderies traditionnelles des tenues des bosozoku et des sukeban pour créer une collection entière qui s'inspirait de la culture de la rue. C'était cette idée que lui avait soufflé la réflexion de Arisa trois mois plus tôt. C'était avec elle qu'il entendait remuer le monde de la mode.

Adossée au mur, Yuzuha regardait les préparatifs sans dire un mot. Takashi la rejoignit.

– Tu me fais peur avec ta tête, lui dit-il. Tu penses que ça va être un fiasco ?

Yuzuha le regarda.

– Tu as besoin que je te rassure ? Demanda-t-elle. Ça n'est pas un peu tard pour ça ?

Cette fois il rit.

– Tu as raison, dit-il. Je me jette à l'eau, on verra comment ça se passe !

Yuzuha ramena les yeux sur son frère et sur Arisa.

– Ça va être un succès monstre, dit-elle au bout d'un moment, j'en suis sûre. Cette collection, c'est un coup de maître. C'est vraiment toi Mitsuya, tout ce que tu es et tout ce que tu portes comme valeurs.

Surpris, Mitsuya garda le silence et Yuzuha reprit.

– Ce n'est que mon avis cela dit et je ne suis pas voyante ! Dit-elle en se décollant du mur.




Le défilé débuta enfin avec les créations de Takashi Mitsuya. Le premier passage des trois models ne recueillit d'abord que des murmures, certains spectateurs prenant même un malin plaisir à feindre de regarder ailleurs ou de discuter avec leur voisin. Le second passage, lui, fut marqué par la stupéfaction, cette fois, les yeux étaient écarquillés et les journalistes prenaient frénétiquement des notes tandis que les grands noms de la mode échangeaient à voix basse avec des hochements de tête. Mais ce fut le dernier passage surtout, qui déclencha les réactions les plus vives parmi le public.




– Allez, on ne traîne pas ! Dit l'assistante qui avait été assignée aux models de Takashi. C'est presque fini !

Hakkai, Arisa et leur collègue se changèrent pour la dernière fois et Hakkai passa en tête. Le tour de Arisa arriva, mais Takashi la retint.

– Attends, dit-il. Il manque un truc...

Il recula, la regarda, hésita. Elle portait un long manteau noir sur un pantalon ample. Les broderies sur la jambe du pantalon rappelaient celles que l'on trouvait sur les uniformes du Toman autrefois et, dans le dos du manteau, un dragon s'élevait jusqu'à son épaule.

– Dépêchez-vous ! L'enjoignit l'assistante. C'est à vous !

Takashi réfléchit, puis il comprit. Il se retourna et désintégra d'un coup de pied un portant qui se trouvait là, faisant se redresser toutes les têtes. Il fouilla dans les débris et en tira un montant encore en bon état à peu près de la longueur d'une batte de baseball. Il le lui tendit.

– Qui a déjà vu une sukeban désarmée ? Lui dit-il.

Arisa rigola.

– Ça marche ! Dit-elle.

Elle fit tournoyer l'arme de fortune dans son poing et s'élança sur le podium.




Dans le restaurant, Himeko avait les yeux rivés sur l'écran, son plateau serré sur la poitrine. Le dernier passage des models de Takashi arriva et elle écarquilla les yeux. Arisa arpenta toute la longueur du podium, un bâton jeté sur l'épaule. Himeko eut l'impression d'être de retour à l'époque du Papillon Rouge. Lorsque l'ancienne sukeban devenue mannequin finit son set et regagna les coulisses, les cris et les applaudissements qui s'élevèrent dans la salle ne laissèrent plus le moindre doute sur le succès de la collection de Takashi Mitsuya.

Tu as réussi ! Jubila intérieurement Himeko. Tu as réussi Taka !

Elle était au bord des larmes. Elle serra plus fort son plateau avec l'impression d'être dans la salle, avec eux, en cet instant. Un client l'appela et elle inspira pour se redonner une contenance avant de se tourner vers lui.

Un instant, ce fut comme si elle se déplaçait au ralenti. Himeko vit le sol se rapprocher sans comprendre ce qui se passait. Quand elle heurta le carrelage dans le vacarme de son plateau qui alla rouler plus loin, plusieurs clients se retournèrent.

– Mitsuya san ? MITSUYA SAN !

Himeko entendit Takako Nori crier, mais elle ne comprenait pas pourquoi. Elle essaya de lui répondre, mais son corps ne lui obéissait plus.

Je ne sens plus rien, s'aperçut-elle.

Les bruits lui parvenaient de plus en plus étouffés et la dernière voix qu'elle entendit fut celle de monsieur Tomiyoku.

– Tenez bon Himeko... On a appelé une ambulance...




L'ovation dans la salle de spectacle était générale. Plus personne n'avait de doute sur le génie de Takashi Mitsuya. Le moment arriva pour Takashi de monter le podium en compagnie de ses deux models principaux. Il alla déposer le mètre ruban qu'il portait encore autour du cou près de ses affaires et remarqua qu'il avait plusieurs appels en absence dont certains venant du restaurant où travaillait Himeko.

Le téléphone se remit à sonner entre ses mains au moment où il le consultait et il décrocha tandis que l'assistante lui faisait signe de se dépêcher de rejoindre la scène.

– Monsieur Mitsuya ? Dit une voix d'homme qu'il ne connaissait pas. Ici l'Hôpital Général, votre épouse vient d'être admise chez nous en urgence...


NDA : Mon japonais est limité mais je sais que 悪, signifie diabolique et 女 veut dire femme. Le gang des Femmes Diaboliques je trouve que ça claque !!

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