68 - Apathie
L'entrevue avec Ota lui avait mis du baume au cœur. Himeko reprit le chemin du travail le lendemain un peu moins abattue, mais le souvenir des mots de Takashi continuait à tourner dans son esprit.
– Crétin arrogant... Marmonna-t-elle un beau jour durant sa pause. Couturier de mes deux... Bosozoku à la manque...
– Oniroku senpai, demanda Nori Takako, une jeune serveuse qui avait commencé à travailler à temps partiel quelques semaines plus tôt. Tout va bien ?
Himeko continua de touiller son café, le visage dans la main.
– Oui, Nori san, dit-elle, tout va bien. Et toi ? Tu t'es faite au rythme de travail ?
Ce petit boulot était le premier de Nori. Elle était encore au lycée et profitait de ses fins d'après-midi pour se faire un peu d'argent de poche.
– Oui, lui répondit-elle avec le sourire. Au début, les clients me faisaient un peu peur, mais ça va mieux maintenant.
– Je vois ce que tu veux dire, dit Himeko. C'est un peu impressionnant les premières fois.
– C'est ça, mais ma mère dit que ça ne peut me faire que du bien de travailler au contact de la clientèle, que ça m'aidera à sortir de ma coquille.
– N'en fais pas trop quand même, lui rappela Himeko. Si tu as un problème, tu sais que tu peux toujours nous demander de l'aide.
Le sourire que lui retourna la lycéenne était sincère.
– Merci beaucoup senpai !
Les journées se succédèrent, identiques, grises, mornes. Himeko se demandait régulièrement ce que devenait Takashi. Elle avait beau se plonger dans le travail, elle ne parvenait pas à le chasser de son esprit. Tout semblait le lui rappeler d'une façon ou d'une autre.
– Un parfait au chocolat et un verre d'eau s'il vous plaît, lui demanda un client.
Himeko nota sa commande.
– Et avec ça ?
– Ce sera tout merci.
Elle tourna les talons.
Taka, lui, il aurait pris un parfait au café, songea-t-elle. Je n'ai jamais compris comment il pouvait aimer les sucreries au café, c'est tellement amère...
Elle secoua la tête.
Pense à autre chose.
Mais c'était peine perdue.
Ses pauses, elle les passait de plus en plus souvent dans son coin, seule avec ses pensées.
Qu'est-ce qu'il voulait dire par affronter Mikey ? Se demanda-t-elle quelques semaines plus tard. Pourquoi devraient-ils se battre contre Mikey, est-ce qu'il n'est plus leur ami ?
Himeko sentait bien que, en d'autres circonstances, elle aurait cherché à en savoir plus, peut-être en demandant aux sukeban avec qui elle avait gardé des contacts. Mais elle sombrait de plus en plus dans une sorte d'apathie qui étouffait la moindre de ses réactions. C'était presque agréable. Elle arrivait enfin à ne plus penser à Taka. Elle ne pensait plus à rien en fait et ça lui convenait tout à fait.
Ce fut durant une de ces journées que Nori san revint dans la salle de repos, paniquée. Elle parcourut des yeux les trois personnes qui étaient là, le gérant, monsieur Tomiyoku, Himeko et une des filles qui travaillaient en cuisine.
– Quelque chose ne va pas Nori san ? Lui demanda le gérant.
– C'est que... Essaya d'expliquer Takako Nori en bafouillant. Il y a des clientes...
Elle désigna la salle du doigt et tous les trois se levèrent, intrigués. Himeko comprit tout de suite quel était le problème. Trois sukeban s'étaient installées à une table, près de la vitrine, et elles avaient pris leurs aises, parlant fort et toisant les autres clients.
– C'est bon Nori san, soupira-t-elle en se redressant. Je m'en occupe.
Elle piocha son carnet de commande dans la poche de son tablier et rejoignit la salle.
– Qu'est-ce que je vous sers ? Demanda-t-elle aux trois filles.
Des trois, une seule leva les yeux vers elle avec une expression blasée.
– On est pas venues là pour bouffer, dit-elle. On veut voir le Papillon.
– Ouais, renchérit une autre sans quitter la rue du regard. On a entendu dire qu'elle bossait ici.
Himeko s'y était un peu attendue. Ce genre de choses s'étaient produites plus d'une fois quand elle avait commencé à travailler au restaurant, mais avec le temps, les visites comme celles-ci s'étaient faites plus rares. Elle avait crié trop vite victoire on dirait.
– Si vous ne mangez pas, tirez-vous de là, j'ai pas que ça à faire figurez-vous.
Cette fois, les trois filles la regardèrent.
– Oh ? Dit la troisième. T'as peur de rien toi, d'où tu nous parles sur ce ton ?
Himeko se pencha à quelques centimètres de son nez.
– Je te parle comme je veux pétasse, souffla-t-elle. Tu viens me faire chier sur mon lieu de travail, c'est quoi ton problème ? Tu veux que je te fume à la sortie ?
La stupéfaction qui se peignit sur les visages des trois racailles était presque drôle à voir.
– C'est toi ? Onihime ?
– Alors, dit Himeko, appelle-moi comme ça encore une fois, et j'attendrais même pas qu'on soit dehors pour t'exploser la gueule.
Les filles se retinrent un moment, puis elles éclatèrent de rire. Himeko se redressa, elle ne put réprimer un sourire.
– Ah ouais, dit une des filles, t'es bien comme on nous avait dit !
– Et on vous a dit quoi ? Demanda-t-elle.
– Une petite meuf, lui apprit une autre, qui paie pas de mine, mais avec une grande gueule.
– Personne ne vous a vantés ma classe et mon élégance ? Répliqua Himeko. Je suis vexée. Sinon, qu'est-ce que je vous sers ?
– Ça sera un café pour moi.
– Une crêpe avec un soda.
– Juste un verre d'eau.
Himeko dévisagea la dernière qui avait parlé et celle-ci ajouta :
– J'ai plus une thune !
– Ça marche, soupira Himeko. Je vous envoie une de mes collègues, essayez de pas lui foutre la trouille et puis arrêtez d'emmerder les autres clients sinon je vais avoir des problèmes.
– Ouais, ok, on fera gaffe !
Himeko revint en salle de repos et tendit la commande à Nori san.
– C'est bon, dit-elle, tu peux y aller.
– Merci senpai !
Nori san se confondit en remerciements avant de prendre la relève.
– Et bien, dit le gérant qui n'avait pas quitté le pas de la porte. Ça faisait longtemps.
Himeko ramena les yeux vers lui.
– Oui, dit-elle. Je suis désolée, je ne pensais pas qu'il en viendrait encore.
– Non, non, ne t'en fais pas, la rassura-t-il. Tu as toujours réglé le problème avec beaucoup d'efficacité. Tu fais serveuse et service de sécurité à la fois, que demander de plus ?
Himeko réussit à pouffer de rire.
– Je vais demander une augmentation si c'est comme ça !
Le soir venu, Himeko rentrait chez elle aussi tard qu'elle le pouvait. C'était à cette heure-ci que le vide se faisait surtout sentir. Auparavant, ce moment coïncidait dans son esprit avec le fait de voir Takashi, c'était là qu'ils pouvaient passer le plus de temps ensemble, avec souvent Mana et Luna entre eux. Mais désormais, plus rien ne l'attendait à part son appartement froid et désert.
Le souvenir du foyer chaleureux des Mitsuya revint à l'esprit de Himeko et elle s'efforça de le chasser de sa mémoire, le cœur serré.
J'avais raison de me sentir comme une voleuse là-bas, réalisa-t-elle, je n'étais qu'une étrangère finalement. Je me demande comment vont Luna et Mana ? Qu'est-ce que Taka leur a dit ? Sûrement la vérité, que nous ne sommes plus ensemble. Est-ce que je leur manque ? Moi, elles me manquent en tout cas...
À nouveau, Himeko secoua la tête pour écarter ces pensées sombres. En vain.
Vendredi, Arisa, Hôko et elle avaient prévu une soirée ensemble. Toutes les trois avaient des horaires tellement différents à présent que ça leur était devenu difficile de se voir, mais le fait que Himeko broie du noir ne leur avait pas échappé et ses deux plus vieilles amies avaient réussi à se libérer.
Vendredi, je me bourre la gueule comme jamais, se dit Himeko. J'ai pas l'âge pour boire, mais je m'en fous.
(NDA : Au Japon, la consommation d'alcool est interdite aux moins de vingt ans)
Le petit lotissement apparut et, une fois chez elle, Himeko se débarrassa de ses vêtements pour aller se réfugier sous la douche. Une fois lavée, elle paressa dans sa baignoire, les yeux dans le vide, à écouter le murmure de conversations qui provenait des appartements voisins.
Elle sortit de l'eau assez tard et, une fois qu'elle eut enfilé le t-shirt qui lui servait de pyjama, Himeko contempla son salon d'un œil morose.
Et maintenant, je fais quoi ?
Une seconde, Himeko songea qu'elle devrait se faire à dîner, puis elle y renonça.
Je n'ai pas faim, s'aperçut-elle. En fait, j'ai juste envie de dormir. C'est ça. Dormir. Et surtout ne penser à rien.
Un coup à la porte lui fit tourner les yeux et elle remit ses chaussons qu'elle venait de retirer après avoir déplié son futon, pour gagner l'entrée.
Qui est-ce qui vient me casser les pieds aussi tard ?
– Si c'est pour votre loyer, dit-elle à haute voix, je vous ai dit que vous l'auriez demain...
Elle ouvrit et resta stupéfaite.
– Taka ? souffla-t-elle.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top