67 - Déchirement

Le lendemain, quand Himeko arriva à la nuit tombée, Takashi l'attendait à la porte. Derrière lui, les filles étaient en train de manger dans le salon. Takashi leur jeta un œil, puis il referma la porte et il se tourna vers Himeko. Un instant, ils restèrent tous les deux à se regarder en silence, puis Il la prit dans ses bras et le souffle manqua à Himeko. Elle passa les bras dans son dos et enfouit son visage contre son épaule.

– Pardon Hime, murmura-t-il.

Elle secoua la tête sans se détacher de lui.

– Non, ne t'excuse pas, dit-elle, tu n'y es pour rien.

– On va marcher un peu ? Dit-il.





Tous les deux profitèrent de la fraîcheur nocturne des rues de Tokyo pour déambuler sans but.

– Merci, pour les filles, dit Taka.

Il avait les mains dans les poches et le regard vide.

– Merci d'avoir été là pour elles ces derniers temps, ajouta-t-il.

– Elles sont un peu comme mes petites sœurs, répondit Himeko, c'est normal.

– Est-ce que... ça va toi ?

– Oui, ça va.

Le silence retomba entre eux. Ce fut Himeko qui le rompit.

– J'ai beaucoup aimé le défilé, dit-elle. C'était très émouvant.

– Hmm.

– Et toi ? Reprit-elle. Ça va ?

– Ça va.

Un instant plus tard, Himeko s'aperçut qu'il s'était arrêté. Les yeux levés, Takashi regardait le ciel de Tokyo dont les étoiles étaient masquées par les lumières de la ville.

– Nous allons nous battre contre Mikey, dit-il.

Himeko revint vers lui.

– Je vois.

Takashi ne détourna pas les yeux du ciel.

– Hime, dit-il enfin, je crois qu'on devrait arrêter de se voir nous deux.

La brutalité de ces mots fit manquer une respiration à Himeko.

– J'imagine, dit-elle le souffle court et la poitrine douloureuse, que c'est pour de nobles et connes raisons ? Tu vas me dire que c'est pour me protéger, parce que tu ne sais pas comment tout ça va finir, et tu vas aussi me raconter que j'en ai déjà fait beaucoup ?

Takashi ne répondit pas. Il ne pouvait pas la contredire, c'était exactement les pensées qui lui étaient venues à l'esprit. Elle le connaissait vraiment trop bien.

Tout le stress que Himeko avait accumulé céda tout à coup comme si un barrage se rompait et la gifle partit avant qu'elle réalise ce qu'elle faisait. La tête de Takashi vola en arrière.

– C'EST TOUT CE QUE TU AS TROUVÉ ? Cria-t-elle. C'EST LA MEILLEURE IDÉE QUE TU PUISSES AVOIR ? VRAIMENT ?

Elle pivota rageusement sur ses talons, les poings serrés.

– TU SAIS QUOI ? Reprit-elle. VA TE FAIRE FOUTRE TAKASHI ! TU AS RAISON ! VAUT MIEUX QUE JE ME TIENNE À DISTANCE D'UN CONNARD DE TON ESPÈCE !

Elle essuya ses joues d'un geste furieux et partit. Takashi n'essaya pas de la retenir.

C'était la chose à faire, il le savait. Pourtant qu'est-ce que ça faisait mal.

Pardonne-moi Hime, se dit-il, je sais que je suis un connard. Mais je ne peux t'infliger ça, pas après tout ce que je t'ai fait.

Le combat qui s'annonçait n'avait rien à voir avec les précédents, Takashi le savait. Cette fois, c'était leurs vies qu'ils allaient jouer.

Il fit demi-tour, les lèvres blêmes.

Tout ce que je veux, c'est que tu sois heureuse. Même si tu dois me détester pour ça.




Himeko ne ralentit pas l'allure, elle avait l'impression de revivre la même scène que deux ans plus tôt.

Comment il peut me faire ça après tout ce qu'on a traversé ? Se dit-elle.

Elle n'arrivait pas à arrêter les larmes qui coulaient sur ses joues et le tambourinement enragé de son cœur dans sa poitrine.

Au moment où ça ne va pas tu me rejettes ? Après tous tes grands sermons sur la confiance mutuelle ? Tu n'es qu'un salopard Takashi Mitsuya ! Je te déteste ! Tu ne comprends vraiment rien à rien !

Arrivée chez elle, Himeko referma la porte pour s'y appuyer. Sa poitrine se soulevait avec rapidité et elle n'essayait même plus de retenir ses sanglots.

– Je te déteste... Répétait-elle. Je te déteste...

Elle se laissa glisser au sol pour pleurer, la porte dans son dos et les genoux repliés devant elle. Lorsqu'elle releva les yeux, la lumière de la lune éclairait son petit appartement miteux et toute l'insignifiance de son existence lui sauta au visage.

Un appartement minable, un boulot minable. Une fille minable.

Himeko réalisa que Takashi était la seule belle chose qui éclairait ses jours. Même quand il était au plus mal, la perspective de le voir illuminait chaque journée. Mais c'était terminé.

Elle se leva, changea de vêtements et attrapa la clé de sa SR accrochée à l'entrée et sortit. Il restait une chose, une seule qui n'appartenait qu'à elle et que personne ne pourrait lui enlever.

Himeko rejoignit sa moto, garée sur le parking du lotissement, et, quelques minutes plus tard, elle filait sur la route.

Le vent s'engouffrait dans ses cheveux et elle accéléra.

Peut-être que si je roule assez vite, se dit-elle, je pourrais laisser ma vie derrière moi.

L'envie la prit de continuer toujours tout droit, sans s'arrêter, puis elle se souvint d'un endroit où elle s'était toujours senti chez elle et Himeko prit la direction de la zone industrielle, à la sortie de la ville.




Lorsqu'elle arriva en vue de l'usine, Himeko se rendit tout de suite compte que l'endroit était désert. Aucune trace des motos qui peuplaient habituellement les environs et aucune lumière ne provenait de l'entrepôt principal.

Elle coupa le contact et entra à pied dans la vaste salle silencieuse. Il n'y avait plus personne. Les Papillons Rouges avaient dû changer de lieu de rassemblement. Rien de plus normal depuis le temps. Sans doute s'étaient-elles rapprochées de la ville.

Himeko rejoignit le quai de chargement abandonné et elle s'assit, les jambes dans le vide.

C'était sur cette estrade qu'elle avait fait ses adieux au clan. Ce jour-là, elle avait fait une croix sur son gang et son passé de délinquante. Mais elle l'avait fait avec plaisir, parce qu'il était là.

Maintenant, il me reste quoi ?

Elle se laissa tomber en arrière sur la plateforme de béton poussiéreuse et posa les mains sur les yeux. Elle comprenait pourquoi Taka avait fait ça, mais elle lui en voulait tout de même.

Ça n'était pas toi qui disait qu'on devait parler avant de prendre ce genre de décisions ?

Mais peut-être qu'il savait que cette fois, il ne reviendrait pas. Comme Draken.

Cette pensée lui tordit le cœur et Himeko dut lutter pour retenir une nouvelle fois ses larmes. Un grondement de moteur, au dehors, la fit se redresser et elle scruta l'obscurité du regard.

– Hime Onee-sama ? Dit une voix.

– Ota ? Répondit Himeko.

La jeune fille la rejoignit en souriant, ravie de ces retrouvailles.

– Je savais que c'était toi, dit-elle. J'ai reconnu ta SR !

Himeko s'avança sur le bord de la plateforme, les coudes sur les cuisses et les mains entre les genoux.

– Qu'est-ce que tu fais ici ? Il n'y a plus personne.

– Je sais, répondit Ota. On se réunit sous la bretelle d'autoroute, près de Yoyogi, maintenant. Mais je continue à venir ici de temps en temps, j'aime bien cet endroit, c'est comme une sorte de temple pour moi, tu vois.

– Oui, je vois ce que tu veux dire.

– Et toi nee-sama ? Qu'est-ce que tu fais là ?

– J'avais besoin de me changer les idées, de prendre l'air, répondit Himeko.

Ota s'assit à côté d'elle et Himeko en profita pour l'examiner. Elle avait grandi de plusieurs centimètres depuis la dernière fois qu'elle l'avait vue et son visage avait perdu ses rondeurs enfantines.

– Tu as vraiment l'allure d'une chef maintenant, lui dit-elle.

Ota sourit.

– J'essaie, dit-elle. Mais ça n'est pas facile. Il faut dire que toi, Arisa senpai et Hôko senpai, vous avez placé la barre très haute !

Himeko haussa un sourcil.

– Tu trouves ? Dit-elle. On n'a rien fait de spécial pourtant.

– Tu plaisantes ? Rétorqua Ota. Vous ne vous êtes pas contentées de fonder et de diriger le plus grand gang de la capitale, vous en êtes sorties et vous vous êtes bâties une véritable vie ! Vous êtes devenues des femmes respectables ! On vous admire toutes tellement ! Il n'y a pas une fille du gang qui ne souhaite pas être comme vous !

– Ça n'est pas aussi rose que ça y paraît vue de l'extérieur, dit-elle.

– Ça ne l'est jamais, répliqua Ota. Mais tu peux me croire nee-sama, il n'y a pas une seule fille du gang qui ne rêve pas d'être comme toi !

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