66 - Twin Dragons
Les derniers clients sortirent du Danny's et Himeko s'inclina sur leur passage.
– Au revoir, à bientôt !
Aussitôt qu'ils eurent le dos tourné, elle dénoua son tablier et retira son badge.
– Patron ! Lança-t-elle à la cantonade en arrivant dans la salle de repos. J'y vais !
Un petit homme au visage tranquille, les lunettes posées sur le bout de son nez, leva les yeux de ses comptes.
– Oh ? Dit-il. C'est aujourd'hui ?
– Oui, lui confirma Himeko. Ça commence à vingt heures !
– Dépêche-toi alors, dit-il. Sinon tu vas manquer le début.
– Oui, merci !
Elle alla ranger son tablier et son badge dans son casier et récupéra son sac. Puis elle quitta le restaurant par la porte de service.
Aussitôt dans la rue, Himeko se mit à courir.
Vite ! Il faut que j'attrape le prochain train !
Elle dévala les marches qui menaient au quai et réussit à se jeter dans le train pour Hibiya. Le concours des nouveaux stylistes de la culture de la mode japonaise auquel s'était inscrit Takashi se déroulait à l'Imperial Hotel, dans la prestigieuse salle du Toko-An qui réunissait tous les ans les plus grands noms de la mode internationale. Au cours des dernières semaines, Himeko avait eu le temps de se renseigner. Ce concours était la compétition qui ouvrait les portes du monde de la mode à son vainqueur. Takashi, comprit Himeko, avait choisi de se jeter à corps perdu dans sa passion et de laisser le monde de la délinquance derrière lui. Cela la rassurait, il se reprenait en main à sa façon. Bientôt, tout cela serait derrière eux.
Himeko arriva au pied de l'hôtel légèrement en retard et elle gagna la salle alors que les deux premiers concurrents étaient déjà passés.
Takashi passe en quinzième position, se souvint-elle, je suis plus que dans les temps !
Lorsqu'elle aperçut Takemichi Hanagaki et ses comparses, assis à quelques rangs devant elle, elle grinça des dents.
Qu'est-ce qu'ils foutent ici ?
Elle inspira et se raisonna.
Après tout, ils sont peut-être juste venus pour encourager Takashi.
Les modèles présentés par le candidat suivant défilèrent et Himeko les examina.
C'est plutôt pas mal, se dit-elle en essayant d'être objective, mais Taka fait mieux que ça.
Quand fut annoncé le nom de Mitsuya Takashi, elle se redressa, les mains serrées l'une contre l'autre. Elle n'avait pas pu voir les modèles sur lesquelles il travaillait. Jusqu'à la dernière minute Takashi les avait revus et améliorés avec un soin maniaque. Il avait été jusqu'à faire appel à ses anciennes camarades du club de travaux domestiques de Shibuya Nichu pour obtenir de l'aide. Yasuda san ne s'était pas faite priée, elle était l'une de ses plus ferventes admiratrices.
Lorsque le premier mannequin parut Himeko ouvrit les yeux, stupéfaite. Le second modèle arriva derrière et quand le présentateur commença les explications, elle n'eut plus le moindre doute.
Elle se laissa retomber dans son siège, les mains pressées sur la bouche. C'était des modèles tout en dualité, différents, mais pourtant semblables. Complémentaires jusque dans les teintes et les étoffes adoptées.
– Mitsuya Takashi, reprit le présentateur, a opté pour le thème des Dragons Jumeaux. Il nous offre une première œuvre symbolisant un dragon montant dans le ciel en quête de renommée avec la légèreté de la dentelle et du cachemire. Tandis que l'épaisseur du velours nous montre un dragon en train de tomber !
– Fantastique ! S'exclama un de ses voisins.
– C'est un travail à la fois audacieux et soigné ! Dit un autre.
Les commentaires fusèrent dans la salle, élogieux, mais Himeko ne les entendit pas.
Elle s'était trompée. Ça n'était pas un nouveau départ.
C'était un adieu.
Elle regarda les deux mannequins défiler sans réussir à réprimer les larmes qui se mirent à couler sur ses joues. Takashi n'avait jamais eu l'intention d'oublier. Il voulait simplement rendre un dernier hommage à celui qui avait été son meilleur ami. Et pour cela il avait utilisé la plus grande scène qu'il avait pu trouver. Oui, c'était fantastique. Mais pas pour les raisons que le public pensait.
Himeko avait déjà une petite idée de ce qui allait suivre et lorsque le présentateur, à la fin du show, annonça le nom du gagnant, elle ne fut pas surprise de voir Takashi s'avancer sur la scène, en uniforme du Toman, le crâne rasé pour dévoiler le tatouage de dragon sur sa tempe.
La rumeur cette fois fut franchement désapprobatrice.
– C'est un uniforme de gang ça, non ?
– C'est un délinquant ?
Takashi se plaça face au micro.
– Je vous remercie de m'avoir décerné ce prix, déclara-t-il. Mais je le refuse.
Les hoquets surpris de la foule furent entrecoupés de cris scandalisés. Takashi poursuivit.
– Je sais que c'est le prix le plus prestigieux de tous, dit-il, mais si l'accepter signifie abandonner derrière moi les amis en qui j'ai toujours cru, alors il ne vaut pas mieux que de la merde.
Cette fois, les huées furent générales. Takashi ne s'en préoccupa pas. Il baissa les yeux vers Takemichi, installé plus bas.
– Takemicchou, dit-il, je peux me joindre à vous ?
Dans le hall de l'hôtel, Himeko regardait dehors, partagée entre la joie d'avoir retrouvé celui qu'elle aimait et la peur de ce qui allait maintenant advenir. Elle reconnut les voix de Takemichi et de ses deux amis et elle s'avança à leur rencontre.
Takemichi recula en la voyant et Hakkai et Chifuyu le dévisagèrent sans comprendre. Himeko inspira et s'inclina.
– Je voudrais te présenter mes excuses, dit-elle, je n'aurais jamais dû perdre mon calme comme ça et t'accuser injustement. Je sais bien que tu n'y es pour rien.
Takemichi se gratta nerveusement l'arrière de la tête.
– Non... je... commença-t-il. C'est pas toi, c'est moi. Tu avais raison...
Himeko réussit à esquisser un sourire.
Quelle mauviette celui-là, songea-t-elle.
Puis les mots qu'il avait prononcés lui revinrent en mémoire et elle comprit pourquoi Takashi allait le suivre.
Elle soupira.
– Prends soin de lui, d'accord ? Dit-elle.
Dans le fond du hall, Takashi sortit des coulisses, cerné par le crépitement des appareils photos. Les journalistes se pressaient autour de lui, impatients de recueillir quelques mots supplémentaires de celui qui avait jeté un brillant avenir aux orties.
Himeko le regarda un instant, avant de revenir à Takemichi.
– Prends soin d'eux tous, ajouta-t-elle. Il y a des gens qui attendent leur retour.
Puis elle partit, la gorge serrée, préférant rentrer chez elle avant de se mettre à pleurer en public et surtout avant de se mettre à pleurer devant Takashi.
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