63 - Prostration

Deux ans plus tard

Himeko tendit la main et elle saisit les doigts de Takashi assis à côté d'elle. Le regard dans le vide et le visage hagard, il ne répondit pas à la pression de ses doigts. Installée sur le zabuton, Himeko garda les yeux rivés sur ses genoux. (NDA : Zabuton, coussin de sol posé sur des tatamis)

Comment avaient-ils pu en arriver là ?

À quelques pas devant eux, le cercueil entouré de fleurs blanches semblait les écraser de sa présence. La photo qui le surmontait montrait un Draken souriant. Heureux.

Himeko avait du mal à respirer tant sa poitrine lui faisait mal. Mais elle n'était pas la seule. Derrière elle, elle entendait les sanglots de Chifuyu. Plus loin, Hakkai était sous le choc. Tous, Pachin, Peyan, comme les jumeaux Kawata, étaient abasourdis.

Tous, sauf une personne. Une personne qui brillait par son absence. Mikey.

Qu'est-ce qui s'était passé ? Tout allait si bien. Comment ça avait pu arriver ? Est-ce qu'ils n'étaient pas censés en avoir fini avec tout ça ?

Lorsque vint le tour de Takashi d'aller se recueillir devant la dépouille, Himeko lui tira légèrement la main.

– C'est à toi Taka.

Il se leva, comme un zombie et rejoignit le cercueil. Il resta un long moment, debout, sans bouger. Puis il finit par faire demi-tour et il retourna s'asseoir.




La cérémonie terminée, les anciens membres du Tokyo Manji Kai se retrouvèrent devant la porte. Personne ne savait quoi dire. Pachin desserra le nœud de sa cravate et il s'éloigna en jurant. Peyan le suivit.

– Désolé, dit-il avant de s'éloigner. On se téléphone, hein ?

Himeko n'avait pas lâché la main de Takashi.

– On va y aller aussi, dit-elle. Les filles vont bientôt sortir de l'école.

Les autres les saluèrent et tous les deux partirent en silence. Takashi n'avait toujours pas dit un mot.

Une semaine plus tôt, ils avaient appris la mort de Draken dans un règlement de compte entre gangs devant l'entrée du parc d'attraction Yomiuri Land. Apparemment, il s'était interposé entre Hanagaki Takemichi et son agresseur, un type issu d'un nouveau gang de la capitale. Draken était mort avant même l'arrivée des secours. Takemichi, lui, n'avait pu leur expliquer ce qui s'était passé, il était hospitalisé dans un état grave après avoir été passé à tabac durant la même soirée.

– Taka... Commença Himeko.

Mais elle ne savait pas quoi dire. Finalement, elle se tut.




Arrivés à l'appartement, Takashi alla se changer, puis il s'assit contre le mur de sa chambre, la capuche de son sweat rabattue sur la tête. Himeko le regarda depuis l'entrée. Les premiers jours, elle avait essayé de le sortir de sa prostration, de lui changer les idées. Mais rien n'y avait fait. Il semblait absent. Comme si le seul moyen de faire face à sa douleur c'était de se réfugier profondément en lui-même. C'était une chose qu'elle pouvait comprendre. Mais cette impuissance lui faisait mal. Elle avait le sentiment d'être inutile au moment où Takashi avait le plus besoin d'elle.

Le bruit de la porte d'entrée la tira de ses réflexions et Himeko retourna dans le salon pour accueillir les filles.

– On est rentré, dit Luna.

– Bonjour les filles.

Luna était à présent une fillette de huit ans, grave et sérieuse. C'était elle qui allait chercher sa jeune sœur à la maternelle en sortant de l'école et elle était particulièrement fière de cette responsabilité.

– J'ai acheté le poulet comme tu m'as demandé, dit-elle à Himeko en lui tendant un sachet.

– Merci Luna, je n'aurais jamais eu le temps d'y passer.

Luna jeta un œil vers la chambre tandis que sa sœur retirait ses chaussures dans l'entrée.

– Comment va Taka nii-san ? Demanda-t-elle.

Himeko ne voulait pas l'inquiéter, mais elle répugnait à lui mentir.

– Pas mieux, répondit-elle.

Elle s'efforça d'effacer aussitôt l'appréhension qui s'était peinte sur son visage et ajouta :

– Mais on va lui préparer des karaages, il adore ça, ça devrait lui remonter le moral !




Himeko commença à préparer le repas tandis que Luna faisait ses devoirs sur la table basse du salon et que Mana regardait ses dessins animés à la télévision. Ces deux dernières années, Himeko avait pris l'habitude de passer du temps chez les Mitsuya. Elle appréciait cette ambiance familiale simple et chaleureuse, elle qui n'avait jamais connu que les foyers d'accueil. Elle comprenait maintenant mieux la différence entre une vraie famille et les institutions où elle avait vécues. Même si les gens y étaient gentils et même parfois affectueux, ils n'en restaient pas moins des étrangers qui avaient leur propre famille.

Toutefois, ces soirées en leur compagnie avaient réveillé en elle une faim que Himeko ne savait pas exister. Celle de connaître à son tour cette chaleur sans avoir le sentiment de la voler.

– C'est prêt, dit-elle. Mana va te laver les mains. Luna range tes cahiers, tu finiras après.

Les fillettes se levèrent et Himeko profita qu'elles soient en train de ranger leurs affaires pour dresser la table.

Quelques minutes plus tard, Luna était assise devant son bol de riz, mais Mana n'était toujours pas revenu de la chambre. Intriguée, Himeko passa la tête par la porte et ce qu'elle vit lui serra le cœur.

Mana avait jeté ses bras autour du cou de son frère prostré contre le mur.

– Je t'aime très très fort nii-san, dit-elle.

Takashi lui passa machinalement la main sur le dos. Puis son bras retomba. Mana se releva pour rejoindre le salon. Pendant une seconde, Himeko voulut demander à Taka s'il allait se joindre à elles pour le repas, mais les mots moururent dans sa gorge.

– Allez, dit-elle en se retournant, à table !




Une fois rentrée au foyer, Himeko alla se doucher et prendre un bain. Il était presque vingt-trois heures quand elle regagna sa chambre.

Luna lui avait envoyé un message depuis le portable de Takashi, vit-elle.

Il n'a presque rien mangé, disait-il.

Raté, se dit Himeko en soupirant.

Elles avaient pris l'habitude durant la semaine écoulée de lui préparer un plateau et de le lui laisser sur son bureau. Mais Takashi n'y touchait presque jamais.

Elle se coucha, fatiguée, et réfléchit à ce qu'elle pourrait répondre à Luna. Mais aucune phrase ne lui vint à l'esprit.

De toute façon, elle doit être couchée à cette heure-ci.

Elle reposa son portable et s'enfouit sous sa couette, le cœur lourd.

Demain, se dit-elle. Demain sera un autre jour.

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