62 - Cérémonie

Le clan était réuni au grand complet, ça n'arrivait pas souvent, pourtant, le brouhaha des voix était étouffé, personne n'osait élever le ton. Le grondement des motos des boss retentit à l'entrée de l'usine et toutes les filles se rangèrent sur les côtés.

– MES RESPECTS, CHEF ! S'écrièrent-elles.

Himeko coupa le contact et elle remonta à pied la double rangée de sukeban, la crosse sur l'épaule et Arisa et Hôko sur les talons.

Elle s'installa sur un ancien quai de chargement qui faisait office d'estrade pour les réunions du gang et attendit que toutes aient tourné leurs yeux vers elle.

Deux mois plus tôt, le Toman avait remporté la victoire face au Tenjiku. Une victoire amère qui avait coûté la vie à la sœur de Mikey et à celle, moins regrettée, de Kisaki Tetta, qui avait été heurté par un camion en tentant de fuir. Le boss du Tenjiku était mort lui aussi, abattu pendant l'affrontement, et son clan avait été dissous. Quelques semaines plus tard, c'était au tour du Toman de disparaître. C'était la volonté de Mikey. Il avait expliqué que c'était la meilleure chose à faire, le Toman avait atteint le sommet au prix de plusieurs sacrifices, il voulait préserver le souvenir du clan tant qu'il brillait encore.

Et puis sans doute a-t-il aussi perdu de vue la raison pour laquelle il se battait, songeait Himeko. Mais cela, elle préféra le garder pour elle.

Aujourd'hui, c'était leur tour.

– Je vous ai réuni ce soir, dit-elle, pour marquer un tournant important dans l'histoire des Papillons Rouges !

Toutes les filles la regardèrent en silence.

– Ce clan, reprit-elle, est né pour venir au secours des autres. Et même s'il s'est égaré pendant un temps... il en est parmi vous qui n'ont jamais oublié la raison pour laquelle on se bat !

Cette fois, ce fut elle qui se perdit dans ses pensées. Elle n'était pas Mikey et les Papillons Rouges n'étaient pas le Toman. Leur raison d'être, elle ne l'avait pas oubliée.

– Ota Ibiki avance-toi !

La jeune fille fit un pas en avant. Elle était stressée, même si Himeko lui avait appris ce qui l'attendait.

– Es-tu prête à reprendre le flambeau que tes senpai ont allumé ? Lui demanda Himeko. Vas-tu le protéger et mener le clan avec honneur dans le respect des valeurs qui l'ont vu naître ?

Ota se redressa.

– J'en fais le serment ! Cria-t-elle.

Elle avait les lèvres tremblantes et elle ne put retenir ses larmes. Himeko rit.

– Chiale pas, boss, dit-elle. Tu gâches la cérémonie.

Plusieurs filles rigolèrent à leur tour.

– Rejoins-nous ! Dit Himeko.

Ota gravit le quai et Himeko posa sur ses épaules le manteau qui avait été le sien durant tant d'années.

– Je te le confie, dit-elle. Je te les confie toutes. Prends soin d'elles.

– Je te le promets Onee-sama...

Cette fois, Ota pleurait pour de bon, mais elle n'était plus la seule, plusieurs filles essuyaient leurs yeux, feignant de ne pas pleurer. Himeko se retourna vers la foule.

– Le Papillon Rouge change de boss, dit-elle. Mais il restera le même et cela grâce à vous toutes !

– OUAIS !

Les cris envahirent l'entrepôt et Himeko descendit de l'estrade.

– Une minute ! Intervint Arisa. Hime, tu oublies pas un truc ?

Himeko la regarda sans comprendre. Arisa reprit.

– On a une tradition ici quand une fille quitte le gang, tu t'en rappelles ?

– Sérieusement Ari ? Dit Himeko. Vous voulez me casser la gueule ?

– En fait, on pensait à une autre sorte de châtiment, répondit Arisa en s'approchant, les autres derrière elles.

Hein ? Se dit Himeko. De quoi elle parle ?

La rivière n'était pas loin, elle aurait pourtant dû y penser.




Himeko arriva en retard à la cérémonie de remise des diplômes du collège Shibuya Nichu. Takashi l'attendait devant le portail, la veste de son uniforme sur le bras et son diplôme dans la main. Autour de lui, les élèves s'éparpillaient par petits groupes.

– Te voilà, lui dit-il lorsqu'elle le rejoignit en courant. Je commençais à m'inquiéter. Tu ne répondais pas au téléphone.

Himeko s'arrêta à son niveau et elle se pencha avant pour reprendre son souffle.

– Je suis désolée Taka ! Réussit-elle à articuler. Elles m'ont balancé dans la rivière ! Mon téléphone ne s'en est pas remis !




Tous les deux prirent le chemin de la gare. À côté de Himeko, Takashi riait toujours.

Himeko bougonna.

– Je crois que je suis le chef de gang le moins respecté de toute l'histoire du Japon, dit-elle.

Takashi passa un bras autour de sa taille et il l'amena près de lui, ignorant les regards alentour.

– Moi, dit-il. Je trouve leur idée excellente. Je regrette que nous n'ayons pas eu une rivière à proximité le jour de la dissolution du Toman. Je suis sûr que ça aurait fait beaucoup de bien à Mikey.

– Ça peut toujours s'arranger ! Lui rappela-t-elle.

Ils firent quelques pas en silence.

– Comment s'en est sortie Ibiki san ? Demanda Taka.

– Plutôt bien, répondit Himeko. Elle a pleuré, mais elle n'était pas la seule. Je crois qu'elle fera une bonne chef et puis Arisa va rester dans le gang encore un peu, au cas où elle aurait besoin d'aide.

– Hôko aussi ?

– Ça, ça n'est pas un cadeau, grinça Himeko. Mais je suis sûre que Ota arrivera à la gérer avec le temps.

Takashi resserra sa prise sur sa taille.

– Je suis impressionné que tu l'aies fait, dit-il, transmettre le clan à quelqu'un d'autre.

– C'était la seule solution si je ne voulais pas qu'il soit récupéré par des personnes sans scrupules.

Takashi se souvint de ce qu'elle lui avait dit des mois plus tôt. Quelque chose comme : il faut s'être cassé la figure pour pouvoir commencer à réfléchir à l'avenir. La défaite, Mikey lui ne l'avait jamais connue. Est-ce qu'il avait fait le bon choix du coup ? En tout cas, comme il l'avait dit le jour de la fin du Toman, maintenant, ils pouvaient tous passer à autre chose.

– Le point positif, reprit Taka, c'est que nous avons la vie devant nous à présent, et tout le temps nécessaire pour y penser.

Himeko ne semblait pas s'en réjouir.

– Oui... Souffla-t-elle.

– Cette idée n'a pas l'air de t'enchanter, dit-il un brin déçu.

– C'est juste que...

Elle détourna les yeux.

– Tu vas partir au lycée, dit-elle. Et moi, je vais me retrouver toute seule.

Takashi pouffa. Il se pencha et posa un baiser sur son front.

– Ça n'est que pour un an, dit-il. Ensuite, tu n'arriveras plus à te débarrasser de moi, alors tu ferais mieux d'en profiter !

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