51 - Évocation

Le lendemain, Hôko, Arisa et Ota se retrouvèrent devant la gare de Hatagawa, dans le nord de Shibuya. Mitsuya avait appelé Ota pour leur fixer rendez-vous non loin.

Arrivées au coin de la rue, Hôko recula brutalement.

– Qu'est-ce que tu fous encore putain ? Demanda Arisa.

Elle venait de se faire marcher sur les pieds.

Hôko se plaqua contre le mur.

– Le mec avec Mitsuya ! Dit-elle en désignant les deux silhouettes qui les attendaient.

Arisa se pencha pour regarder.

– Bah quoi ?

– C'est Draken ! Répondit Hôko comme si elle avait affaire à une demeurée. Le vice-leader du Toman !

– Et alors ?

Ota, qui arrivait derrière elle et n'avait pas entendu leur échange, s'avança vers les garçons.

– Mitsuya senpai ! Le salua-t-elle.

Takashi se redressa en la voyant et Draken l'imita. Arisa emboîta le pas à Ota et Hôko, qui n'avait plus le choix, les imita.

– Bonjour Ibiki san, dit Mitsuya. J'ai demandé à Draken de venir, c'est le type le plus compétent en mécanique que je connaisse.

Ota s'inclina.

– Je te remercie d'être venu, dit-elle.

Draken arqua un sourcil surpris. Encore une sukeban polie et propre sur elle, comme la petite amie de Mitsuya. Il allait de surprise en surprise avec ces filles.

Les deux qui s'avancèrent derrière Ibiki san par contre, avaient vraiment des têtes de délinquantes. La première avait le regard blasé au-dessus de son masque et les mains enfoncées dans les poches de son manteau. Elle était grande et fine, genre mannequin, mais ça n'était rien à côté de l'autre qui tenait plus du bulldozer que de la fille. Le crâne rasé et l'air mauvais, elle portait son uniforme de gang et Draken se doutait qu'elle ne devait pas souvent porter autre chose.

Enfin j'ai rien à dire quand il s'agit d'avoir une gueule de délinquant, se dit-il.

– Ouais... merci d'être venu ! Bafouilla Hôko.

Arisa lui jeta un regard en coin.

Je rêve ou cette grosse conne est intimidée ? Se dit-elle.

– Vous nous montrez le chemin ? Dit Mitsuya.

Hôko, Ota et Arisa se mirent en route, Draken et Mitsuya sur les talons.

– Vous vous connaissez depuis longtemps avec Himeko ? Commença Mitsuya pour faire la conversation.

Arisa le regarda par-dessus son épaule.

– Oui, dit-elle. Elle et moi on était dans les mêmes classes en primaire. Les deux seules gamines a pas avoir une famille normale, tu vois ?

Elle ramena les yeux sur le trottoir devant elle.

– On a commencé à traîner ensemble, reprit-elle. On se prenait pour des justicières.

Le souvenir parut la faire rire.

– Des justicières ? Dit Mitsuya. Carrément ?

– Oui, dit Arisa. On aimait bien botter le cul des racailles qui emmerdaient les élèves de notre école. On se disait que comme ça, ils nous regarderaient comme des héroïnes et plus des bêtes curieuses. On étaient connes à l'époque.

– Et tu étais avec elles Hitoshi san ? Demanda Mitsuya.

Hôko tourna vers lui un œil surpris.

– Appelle-moi Hôko, dit-elle, ça fait trop bizarre Hitoshi san. Non, moi je rackettais les gamins de leur école. Forcément, Ari et Hime me sont tombées dessus et elles m'ont mis une branlée !

Cette fois, ce fut Mitsuya qui ouvrit des yeux étonnés. Hôko éclata de rire.

– J'ai l'impression que Hime me pète la gueule en moyenne une fois par mois depuis qu'on est gosse ! Dit-elle. Faut dire que la patience c'est pas son fort et je suis pas très futée !

Cette idée semblait la faire beaucoup rire.

– J'aurais pas cru qu'elle était si balèze, intervint Draken.

– Hime ? Dit Hôko. Non, elle est pas très forte. Je peux l'étaler en un coup si je veux.

Les deux garçons n'y comprenaient plus rien et Arisa leur expliqua.

– Son truc à Hime, c'est les armes, dit-elle. À mains nues, elle vaut pas grand-chose, mais mets-lui une arme entre les mains, n'importe laquelle, et là, tu vas morfler. C'est une sorte de don, ça marche avec n'importe quoi, tuyau, batte de baseball, matraque... même un pied de chaise une fois.

– C'est ça, confirma Hôko. Mais celle qui lui va le mieux, ça reste la crosse de hockey. Tu te souviens Ari ?

– Ouais, dit-elle avant d'ajouter à l'intention des garçons : Hime l'a prise à un type qui se la jouait gros dur dans notre quartier. On a vraiment cru qu'on allait se faire fumer ce jour-là. Mais une fois que Hime a réussi à le désarmer, ses potes et lui ont douillé comme jamais. J'ai même pas eu à lever le petit doigt.

– Elle leur a foutu la trouille de leur vie, dit Hôko. C'est eux qui ont commencé à l'appeler Onihime, qu'est-ce qu'elle peut détester ce surnom ! En tout cas, la règle c'est que si tu te pointes à un duel avec Hime, fais gaffe qu'elle te pique pas ton arme, sinon t'es mort !

À côté d'elle, Ota semblait fascinée. Elle avait intégré les Papillons Rouges récemment et elle ne savait presque rien de l'histoire des membres fondateurs.

– Et les bécanes ? Reprit Hôko à présent plongée dans ses souvenirs. Tu te rappelles ?

Arisa se mit à rigoler. Elle se tourna vers Mitsuya.

– À son premier essai à moto, dit-elle, Hime a foncé droit dans un arbre ! Ça, je suis sûre qu'elle te l'a pas raconté !

Hôko poursuivit.

– Elle s'est pétée le poignet et pourtant elle arrivait pas à s'arrêter de rigoler comme une débile ! Tu as dû la porter jusqu'à l'hôpital et elle pleurait de rire sur ton dos tout du long !

– J'ai failli lui mettre des claques pour la calmer, confirma Arisa en riant toujours.

– Ce qu'on a pu se marrer quand même ! Dit Hôko.

– C'est à cette époque à peu près qu'on a fondé le clan, dit Arisa.

Elle redevint grave.

– Les filles dans le quartier ont commencé à se tourner vers nous quand elles avaient des ennuis, continua-t-elle. Hime refusait jamais de les aider. Quel que soit l'adversaire, si tu t'en prenais à quelqu'un de chez nous, même une fille qui faisait pas partie du gang, il fallait t'attendre à la voir débarquer, le clan au grand complet derrière elle, pour te mettre la misère. Pour Hime, un gang, ça sert à protéger avant tout, c'est une arme comme une autre et elle rigole zéro quand il s'agit de protéger les autres.

– C'est clair, reconnut Hôko.

– Tout un tas de filles se sont mis à nous suivre, poursuivit Arisa. Et en quelques mois, le Papillon Rouge est devenu le gang de filles de Shibuya. Après ça, les clans de Shinjuku sont tombés, puis ceux de Minato.

– Ils se rangeaient tous derrière Hime, c'était un truc de dingue ! On était en train de devenir le plus grand clan de sukeban de la capitale !

– Et puis tout s'est cassé la gueule, conclut Arisa.

Hôko et elle gardèrent le silence.

– Elle s'est fait serrer, c'est ça ? Demanda Draken.

Arisa les regarda, lui et Mitsuya.

– Ouais, dit-elle. J'imagine qu'elle t'en a parlé ? Ajouta-t-elle à l'intention de Mitsuya.

Comme ce dernier hocha la tête, Arisa reprit.

– Mais je suis sûre qu'elle t'a pas tout dit, elle et son sens de la justice à la con.

Elle sembla hésiter, puis elle poursuivit.

– Le type qu'elle a tabassé, dit-elle, le gérant de konbini, son truc, c'était d'accuser ses employées de vol pour piquer dans la caisse, tranquille. Mais il y avait pas que ça...

Hôko et Ota la regardèrent aussi sans comprendre.

– De quoi tu parles Ari ? Dit Hôko. C'est quoi cette histoire ?

– Le type, dit Arisa, quand Hime est allée le voir il s'est vanté d'avoir sauté la fille et pas qu'une fois.

Un silence lourd tomba sur le petit groupe.

– Hime, tu vois, ça c'est un truc qu'elle supporte pas : que tu utilises ta force ou ta position pour faire du mal. Elle l'a défoncé.

– Pourquoi elle a pas raconté ça aux flics ? Demanda Draken. Ils peuvent faire quelque chose dans ce genre de cas, non ?

Arisa tourna les yeux vers lui comme si elle parlait à un simplet.

– C'était le patron mec, dit-elle. La fille voulait pas se faire virer, elle était consentante, si on peut dire ça comme ça. Passe sous le bureau, ou je te vire et je raconte que tu piquais du fric, tu trouveras plus jamais de boulot. Tu vois le genre. Les flics auraient rien fait.

Arisa ramena les yeux devant elle.

– Hime a rien dit, dit-elle, elle voulait pas que la fille ait ce poids en plus à porter. De toute façon comme elle m'a dit, ça aurait rien changé à sa condamnation. Alors elle a fermé sa gueule et elle a tout pris sur elle.

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