40 - Rupture

Himeko disparut au coin de la rue et Taka donna un coup de pied dans le mur voisin.

– PUTAIN !

Puis il reprit sa moto et rentra chez lui.

En montant les escaliers, lui aussi se remémora chaque mot que tous les deux venaient d'échanger.

Il vient de se passer quoi ? Se répéta-t-il.

Tu viens de te faire plaquer, répondit une voix goguenarde. Le grand Takashi Mitsuya vient de se faire plaquer.

– La ferme ! Dit-il tout haut.

Il ouvrit la porte. Tout était silencieux à l'intérieur. Takashi était heureux que leur éclat ne soit pas parvenu jusqu'ici. Il n'aurait pas voulu retrouver les filles debout à son retour et encore moins devoir répondre à leurs questions.

Il s'installa devant la table basse et alluma la télévision pour se vider la tête.

Comment ça a pu dégénérer à ce point ? Essaya-t-il de comprendre.

Il devait reconnaître que, sur le chemin du retour, il était contrarié. Il avait le sentiment que Hime s'était servi de lui. Mais il la connaissait assez maintenant pour savoir qu'elle n'avait pas fait ça sans raison.

Tu la connais ? Vraiment ?

Takashi s'efforça de faire taire cette petite voix désagréable dans sa tête.

Oui, il la connaissait. Enfin, il le pensait jusqu'à il y a dix minutes.

Takashi peinait encore à croire qu'elle l'avait laissé tomber, comme ça, si facilement. Il n'avait même pas eu le temps de lui confier ce que Mikey avait dit après leur départ. Pourtant, ça lui aurait fait plaisir de savoir que le boss lui-même reconnaissait qu'ils avaient fait une erreur avec ces types.

Finalement, il éteignit la télévision.

Autant aller se coucher. Peut-être que demain, tout cela se révèlera être un cauchemar.




Himeko fut tirée du sommeil à l'aube par le réveil de son téléphone. Elle tendit la main et l'éteignit, avant de le balancer à travers la pièce. Le souvenir de la veille lui revint et elle s'assit sur son futon. Dehors le soleil commençait à peine à se lever.

Ça n'était pas un cauchemar. Tout ça, ça n'était pas un cauchemar. Elle venait de perdre le seul garçon qu'elle ait jamais aimé.

Repoussant cette idée dans un coin de sa tête, elle se leva et récupéra son uniforme, disposé sur un cintre.

C'est comme ça, se dit-elle pour se raisonner. Après tout ça n'est qu'un garçon, il y en a plein les rues, pas de quoi en faire tout un plat.

Elle abandonna sa chambre pour gagner le réfectoire et s'installa en bout de table pour déjeuner. Elle n'avait vraiment pas envie de parler.

– Hey ho ! S'écria Orie en s'asseyant à côté d'elle.

Évidemment, songea Himeko avec un soupir dépité.

– Tu as une sale gueule, annonça Orie en se penchant jusque sous son nez. Tu es rentrée à quelle heure ?

– Occupe-toi de tes affaires, grommela Himeko.

– Oooh ! On est de mauvaise humeur à ce que je vois ! Attends, j'en connais une bonne qui va te redonner le sourire : où vont les biscottes pour danser ?

Himeko ne prit même pas la peine de lui répondre, elle se leva et emmena son bol et ses baguettes dans l'évier.

– Bonne journée ! Lança-t-elle à la cantonade en sortant.




En sortant du train, non loin du collège de Shibuya Nichu, Himeko eut un réflexe qui déclencha un nouveau flot de souvenirs désagréables : pendant une seconde, elle s'était immobilisée pour attendre Taka afin qu'ils fassent le chemin ensemble.

Himeko resserra la main sur la poignée de son cartable et elle se mit en route.

C'est fini tout ça, se rappela-t-elle.

Elle ne put s'empêcher cependant de jeter un œil alentour.

Tu fais quoi, là ? Se sermonna-t-elle, tu joues à la midinette débile ? Il est beau le chef de gang !

Parvenue aux casiers à chaussures, Himeko examina le sien avant de l'ouvrir. Les brimades dont elle avait souffert avaient diminué quand elle avait commencé à répondre du tac au tac, mais il y avait toujours un ou deux petits malins qui trouvaient drôle de jeter ses affaires ou de remplir son casier ou son bureau avec de la terre.

Rien cette fois. Bonne nouvelle.

Bonne nouvelle tu dis ? Ironisa une petite voix dans sa tête. Tu crois quoi ? Que ça va être une journée merveilleuse toute en paillettes et confettis ?

– La ferme, grogna-t-elle.

Elle se dirigea vers sa classe et passa le reste de la journée à s'efforcer de penser à autre chose qu'à Takashi, au visage de Takashi, à son sourire, à sa main dans la sienne, à sa chaleur, à sa voix...

Ce fut un échec cuisant.

C'est qu'un garçon, se répéta-t-elle, les rues en sont pleines, je peux avoir qui je veux.

Mais Himeko n'en avait pas envie.

À la fin de la journée, elle franchit le hall d'entrée et fut surprise de découvrir Miruki Raito appuyé contre les casiers des troisièmes années, les mains dans les poches.

– Salut, dit-il en se redressant.

– Salut.

– Est-ce que... on peut faire le chemin ensemble jusqu'à la gare ? Dit-il. J'ai pas pu m'excuser correctement la dernière fois, alors, comme j'ai remarqué que tu étais seule aujourd'hui, je voudrais me rattraper.

– Si tu veux, dit-elle.

Ça lui était totalement indifférent. Ils sortirent tous les deux du bâtiment.

– Ça va entre Mitsuya et toi ? Lui demanda-t-il.

– On n'est plus ensemble.

Dire ces mots tout lui avait déchiré la poitrine plus qu'elle l'aurait cru possible et Himeko dut serrer les dents.

– Oh, désolé, dit-il, je ne savais pas.

– C'est bon, lui dit-elle. C'est rien.

Miruki la regarda à la dérobée.

– Du coup... tu accepterais qu'on aille boire un verre un de ces jours ? Dit-il.

Himeko réfléchit.

– Pourquoi pas.

La joie qui se lut sur le visage de Miruki était tellement exubérante que Himeko esquissa un sourire pour la première fois de la journée.

– Il ne te faut pas grand-chose à toi, lui dit-elle en dépassant le portail.




Plus haut, à la fenêtre du club de travaux domestiques, son sourire n'avait pas échappé à quelqu'un d'autre. Takashi se détourna pour se remettre au travail.

Alors c'est bien terminé, se dit-il.

Cette constatation lui donna l'impression de recevoir un coup de couteau en plein cœur.

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