34 - Capitulation
Le vendredi fut encore pire que le jour précédent. Les inscriptions haineuses étaient de retour sur le bureau de Himeko quand elle arriva le matin et elle eut la désagréable surprise de trouver les manuels qu'elle avait laissés dans son casier, raidis par la colle que quelqu'un avait versée entre les pages. Ils étaient bons à jeter.
Himeko se contint à nouveau. Elle devrait demander de l'argent à madame Kanami pour en acheter de nouveaux. Cela soulèverait sûrement des questions, il faudrait qu'elle invente un mensonge crédible.
Alors qu'elle revenait des toilettes, lors de la pause en milieu de matinée, une main la poussa brutalement dans le dos tandis qu'elle passait à côté des escaliers. Himeko dévala les premières marches et elle réussit de justesse à attraper la rampe pour éviter de tomber jusqu'en bas. Autour d'elle, personne n'avait levé les yeux. C'était comme si elle était invisible.
De retour dans la classe, elle découvrit un attroupement devant le seau d'eau qui servait à nettoyer le tableau. À sa grande surprise, elle y découvrit son bento, ouvert, et la nourriture qu'elle avait préparée plus tôt, qui flottaient dans l'eau sale.
Derrière elle, ses camarades avaient regagné leurs places et elle pouvait sentir le poids de leurs regards sur son dos. Himeko se baissa pour ramasser la boîte dégoulinante et elle la rapporta à sa place.
Elle savait que tout cela n'était certainement le fait que d'un petit groupe, mais l'idée que les autres les regardaient faire sans rien dire prouvait à ses yeux qu'ils estimaient son châtiment mérité.
Elle était d'accord avec eux de toute façon, non ?
Mais ce qui la blessa le plus ce jour-là, ce fut une conversation qu'elle surprit entre deux élèves de deuxième année.
– ... et Mitsuya senpai l'a frappé !
– Pas étonnant, à force de traîner avec une délinquante, il est en train d'en devenir un lui-même !
– C'est vraiment dommage, lui qui était si gentil !
Ramassée contre le mur, à l'angle du couloir, Himeko avait attendu que les deux élèves s'éloignent.
Elle savait que tout cela, ce n'était que des rumeurs. Elle n'y était pour rien dans la réaction de Takashi. Il faisait partie du Toman et il n'était sûrement pas devenu capitaine par hasard. Mais cela la blessait d'entendre raconter que leur relation était mauvaise pour lui. Elle aurait préféré qu'ils le laissent à l'écart de tout cela.
À la pause déjeuner, Takashi et elle se retrouvèrent sous un arbre, dans le parc du collège, loin de la foule.
– Tu n'as pas ton déjeuner ? Remarqua-t-il.
Himeko secoua la tête.
– Non, dit-elle. Je me suis réveillée en retard, je n'ai pas eu le temps de le préparer.
– Alors on partage, dit-il.
Il plaça son bento entre eux et Himeko sentit les larmes lui monter aux yeux.
Plus que tout, elle ne voulait pas qu'on lui fasse du mal. Elle était prête à endurer n'importe quoi, du moment que les autres laissaient Takashi tranquille.
– Hime, reprit-il, tu me le dirais si ça n'allait pas, n'est-ce pas ?
Himeko leva les yeux et sourit.
– Évidemment, répondit-elle.
Sur le chemin du retour, à la fin de la journée, Himeko traînait les pieds.
Quand je pense qu'il y a quatre jours seulement, se rappela-t-elle, je disais que j'aimais la rentrée et je n'étais pas loin de penser que ma vie au collège était parfaite. Maintenant, tout ce dont j'ai envie, c'est de rentrer me coucher.
Takashi était parti avant les activités de club et il avait laissé la charge des projets en cours du club de travaux domestiques à Yasuda san. Himeko aurait donné tout ce qu'elle possédait en cet instant pour pouvoir seulement lui tenir la main. Sa présence à ses côtés avait le don de l'apaiser, les soucis paraissaient insignifiants quand il était là.
Elle descendit à la station de train du quartier de Omotesandô et elle se dirigea vers le Hakifumi. Au fur et à mesure qu'elle avançait, ses pas ralentirent. Finalement, arrivée à mi-chemin elle s'arrêta.
Elle portait à nouveau son survêtement. Elle avait dû retirer son uniforme lorsqu'un petit malin avait trouvé drôle de balancer un seau d'eau sale par-dessus la porte des toilettes où elle se trouvait.
Et ça sera pareil la semaine prochaine, se dit-elle, et la suivante...
Finalement, Himeko se ressaisit et se remit en marche. Elle ne faisait que payer le prix de ses erreurs après tout.
Le lendemain un samedi, elle appela Arisa à la première heure.
– Ari, tu as un truc de prévu aujourd'hui ?
– Non, pourquoi ? Tu veux qu'on traîne ?
– Oui, j'aimerais bien, tu viens me chercher ?
– Je suis là dans quinze minutes.
Toutes les deux passèrent une partie de la matinée à sillonner les rues de Tokyo en moto. Elles arpentèrent les quartiers où elles traînaient quand elles étaient plus jeunes et éclatèrent de rire en voyant la tête des passants qui les regardaient zigzaguer entre les voitures.
– On se traîne ! S'exclama Himeko. Tu conduis comme une grand-mère ! Laisse-moi conduire !
– C'est mort ! Répondit Arisa. Toi tu conduis comme une malade ! J'ai pas envie de mourir !
Elles finirent par se poser au bord de la rivière et Himeko s'étendit dans l'herbe jaunie par le soleil, les yeux fermés et les bras derrière la tête.
– Je suis trop bien là ! Dit-elle. Je ne bouge plus ! C'est décidé !
Son téléphone sonna dans sa poche et quand elle le sortit, elle s'aperçut qu'elle avait sept appels en absence de Taka.
– Merde... Dit-elle en décrochant.
– Hime ? dit-il. Tout va bien ? Je n'arrivais pas à te joindre, tu m'as fait peur.
– Oui, dit-elle, pardon, mille fois pardon. J'avais oublié mon téléphone dans la chambre.
Quelques minutes plus tard, quand elle raccrocha, le sentiment de légère euphorie qu'elle ressentait un instant plus tôt s'était envolé.
– Tu t'étais engueulée avec ton mec ? Demanda Arisa.
Himeko bascula la tête en arrière pour la regarder.
– Avec Taka ? Dit-elle. Non. Ça n'est pas possible de se disputer avec lui. C'est un garçon tellement génial.
Alors pourquoi tu lui mens ? Asséna une petite voix dans sa tête.
Himeko ramena ses poings sur ses yeux et elle les pressa sur ses paupières.
– Merde... Souffla-t-elle à nouveau.
Pourquoi je lui mens ? Se dit-elle. C'est vrai ça ? Parce que je ne veux pas qu'il s'inquiète ? Mais il s'inquiète quand même, tu le vois bien. Et si les rôles étaient inversés, tu ne préfèrerais pas qu'il te dise tout ? Si, bien sûr que si.
Qu'est-ce que je suis en train de foutre, bordel ?
Himeko se redressa dans l'herbe et elle regarda couler l'eau de la rivière.
– On rentre Ari, dit-elle.
Puis elle plaqua un sourire sur son visage et ajouta :
– Je suis de courses aujourd'hui. Si je ne vais pas acheter à manger, toutes ces andouilles du foyer vont se retrouver avec des bols de nouilles instantanées sur la table ce soir.
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