Himeko arriva à la gare à la tombée de la nuit. Elle consulta le papier sur lequel Takashi lui avait dessiné un plan, regarda autour d'elle, et se mit en route. Dix minutes plus tard, elle frappait à la porte de l'appartement. Une cavalcade lui apprit que les filles s'étaient précipitées vers l'entrée et Takashi ouvrit.

– Désolé, dit-il en se grattant la tête, gêné. Elles ont refusé d'aller se coucher.

Il fit entrer Himeko et referma derrière elle.

– Ne t'en fais pas, lui dit-elle. C'est pas grave, on est samedi soir, elles peuvent bien se coucher un peu plus tard, non ?

– Oui bien sûr.

Les fillettes jubilèrent. Himeko remarqua que Takashi portait son uniforme du Toman. Elle avait l'impression d'avoir une autre personne en face d'elle, c'était un peu... excitant.

– Qu'est-ce que tu regardes ? Dit-il en surprenant son regard.

– Toi, avoua-t-elle.

Takashi se pencha pour la prendre par la taille et poser un baiser sur ses lèvres.

– AAH ! Brailla aussitôt Luna. Tu lui as fait un bisou sur la bouche !

Elle partit en courant dans le salon, suivie par sa petite sœur qui répétait en boucle :

– Bisou sur la bouche ! Bisou sur la bouche ! BISOU SUR LA BOUCHE !

– Désolé, dit Takashi. Elles vont être un peu casse-pieds maintenant.

– Ça n'est pas grave. File, tu vas être en retard monsieur le capitaine de la deuxième division.

– À tout à l'heure, dit-il.

Quelques instants plus tard, Himeko entendit le moteur de sa moto s'éloigner. Elle rejoignit les fillettes dans le salon et trouva Mana en train de poursuivre sa sœur autour de la table basse. L'appartement était modeste, mais bien entretenu, la cuisine occupait l'angle, juste après l'entrée, et un futon était plié dans un coin, près de la fenêtre. Himeko devina que c'était là que dormait la mère de Takashi. Une autre porte donnait sans doute sur la chambre et on apercevait la salle de bain juste à côté.

Himeko s'assit à la table et les deux fillettes se laissèrent tomber près d'elle.

– On joue à quoi ? Demanda Luna.

– Je ne sais pas, dit Himeko. À quoi voulez-vous jouer ?

Les deux petites se regardèrent et répondirent ensemble.

– Aux princesses !

Luna fila dans la chambre et Himeko l'entendit fouiller dans ses jouets. Elle revint avec une robe à sa taille.

– C'est Taka nii-san qui l'a fait pour mon anniversaire ! Lui apprit-elle.

– Moi aussi je veux me déguiser ! Dit sa sœur.

– D'accord, répondit Himeko. Dans ce cas, je vous coifferai, ça vous va ?

Toutes les trois passèrent la soirée à jouer. Himeko fit un chignon de princesse à Luna qui partit s'admirer dans la salle de bain en se servant de l'escabeau que sa sœur et elle utilisaient pour faire leur toilette.

Himeko la rejoignit dans la salle de bain, Mana sur les talons, et Luna lui demanda en la regardant dans le miroir :

– Pourquoi tu as les cheveux courts, toi ? Tu peux pas faire de chignon de princesse avec les cheveux courts !

Himeko passa les doigts dans ses cheveux. Ils avaient repoussé depuis sa sortie de la maison de correction, mais pas encore assez pour qu'elle puisse se faire de vraies coiffures.

– On me les a coupés l'année dernière, lui dit-elle, et maintenant j'attends qu'ils repoussent. Mais bientôt, moi aussi je pourrais me faire de jolies coiffures !

Lorsque Mana finit par tomber de fatigue, Himeko la porta dans la chambre, guidée par Luna. La fillette lui montra où étaient rangés leurs pyjamas et toutes les deux s'installèrent pour lire une histoire. Himeko en était à la moitié du livre quand elle vit que Luna s'était endormie à son tour. Elle l'allongea à côté de sa sœur, rangea le livre et les robes de princesses, puis éteignit la lumière et ferma la porte avant de regagner le salon.

Elle se fit une tasse de thé et s'installa à la table basse.

Il était presque minuit quand elle entendit une clé tourner dans la serrure. Mina entra et elle s'immobilisa en voyant Himeko.

Elle sourit.

– Tu dois être Himeko ? Dit-elle en se déchaussant.

Himeko se leva pour la saluer.

– Non, non, reste assise ! Dit Mina.

Elle posa sa veste et ses clés dans l'entrée. Elle avait la ligne svelte, presque filiforme et les traits de son visage rappelaient ceux de Taka, Mana et Luna. Comme son fils, elle arborait de larges cernes et Himeko se douta qu'elle ne devait pas souvent dormir tout son content. Elle se leva.

– Vous voulez une tasse de thé ? Dit-elle. Je me suis permise d'en faire.

– Volontiers, répondit Mina en s'asseyant à table.

Elle examina la jeune fille qui avait fait tourner la tête de son fils, le menton dans la paume de la main et un sourire aux lèvres. Elle était jolie, remarqua-t-elle au premier abord. Himeko revint avec une tasse fumante et Mina la remercia. Himeko se dirigea vers l'entrée.

– Je vais rentrer, dit-elle. Les filles sont couchées, je pense qu'elles devraient dormir un moment demain matin.

Mina secoua la tête et tapota la table à côté d'elle.

– Tu es pressée ? Dit-elle. Tu ne veux pas qu'on parle un peu toutes les deux ? J'ai rarement l'occasion de rencontrer les petites amies de mon fils et puisqu'il t'a confié les filles, tu ne dois pas être n'importe qui.

Toutes les deux passèrent l'heure suivante à discuter.

– Tu ne connais pas du tout tes parents alors ? Demanda Mina.

– Non, dit Himeko. Tout ce que je sais c'est que ma mère avait mon âge quand elle m'a eu. Elle a essayé de m'élever toute seule pendant un temps, mais ça a été trop dur, et je n'ai jamais su qui était mon père.

– Tu ne lui en as jamais voulu, à ta mère je veux dire ?

Himeko réfléchit.

– Il faut du courage pour reconnaître qu'on n'est pas capable de s'occuper d'un enfant et choisir de le confier à quelqu'un d'autre. Je ne peux pas lui faire de reproches.

Quand Takashi arriva au pied de l'appartement, il était épuisé. Il aurait donné n'importe quoi pour une seule bonne nuit de sommeil. Il gara sa moto dans la ruelle plongée dans l'ombre et mit pied à terre.

La réunion s'était terminée comme il s'y attendait. Le Toman avait déclaré la guerre au clan de Moebius et la bataille aurait lieu le trois août, pendant le festival de Musashi. Après le rassemblement, Mikey lui avait demandé de dire à Himeko de ne plus s'en mêler avec ses filles. Le moebius était le problème du Toman avait-il dit. Takashi savait déjà que Himeko ne l'entendrait pas de cette oreille.

Parvenu à quelques pas de l'appartement, il entendit des voix provenant de l'intérieur. Il entra, étonné, et découvrit Himeko et sa mère, attablées l'une à côté de l'autre, devant une tasse de thé.

– Tiens, dit Mina. Te voilà.

Himeko commença à se lever.

– Je vais y aller maintenant, dit-elle.

Mina posa la main sur son bras.

– Tu ne trouves pas qu'il a la classe mon fils dans son uniforme ? Dit-elle.

Himeko le regarda des pieds à la tête.

– J'avoue, répondit-elle.

Takashi leva les yeux au ciel et il ferma la porte.

– Vous vous amusez bien toutes les deux ? Dit-il en les rejoignant.