Prologue
L'air lourd de cette fin d'été pesait sur les épaules d'Alison. Si elle avait grandi sous le soleil de plomb du Texas, cette fois-ci, la chaleur la dérangeait... elle dégageait quelque chose d'électrique, comme une manifestation extérieure de la boule qui s'était formée au creux de sa gorge le matin même.
Devant elle se dessinaient les murs aux briques austères du Georges Washington High School. Malgré déjà trois années passées dans son enceinte à y étudier toutes sortes de matières peu fascinantes, elle ne parvenait pas à se détacher de l'impression de prison provenant du bâtiment chaque matin. Et le ciel nuageux de ce premier lundi de septembre n'arrangeait pas le tableau...
Alison prit une profonde inspiration. Maths, anglais, histoire puis pause déjeuner. La matinée passerait vite. Enfin, elle l'espérait... Mais il y aurait également l'après-midi: sciences, espagnol et l'entraînement de cheerleading...
Le bruit du moteur d'une Toyota 3000 hybride se garant derrière elle la ramena à la réalité. Autour d'elle, les lycéens se massaient tels des soldats à la discipline désastreuse vers les portes surplombées de drapeaux rayés et étoilés. Les plus chanceux descendaient tout juste de leurs voitures.
Alors que le morceau touchait à sa fin dans ses écouteurs, elle regarda l'écran fêlé de son iPhone 100 Gold: il était déjà 8h49. Elle devait s'activer si elle ne voulait pas être en retard pour le cours de Monsieur Peters.
Après avoir jeté ses AirPods 13 dans la poche de son jean, elle se faufila entre les véhicules, l'odeur du carburant compostique s'incrustant au plus profond de ses narines. Quelques secondes plus tard, elle passait sous les drapeaux affichant fièrement leurs rouges, blancs et bleus au gré de la brise matinale.
Le grand hall du lycée s'ouvrait alors à elle, des adolescents entassés devant chaque parcelle de mur recouverte de casiers à la peinture jaune écaillée. Le damier du carrelage s'était même éclipsé sous leurs semelles.
Alors qu'Alison recherchait un visage familier dans ce brouhaha, elle remarqua qu'une fille de sa classe s'était retournée pour l'observer. Elle chuchotait désormais quelque chose dans l'oreille d'une autre.
Ne voulant pas paraître perturbée par leurs regards, elle posa ses yeux sur une affiche placardée en trois exemplaires sur la porte des toilettes des filles. Toute en rouge et blanc, elle montrait Oncle Sam pointant son doigt engageant vers le public. "Rendez au Monde Libre sa gloire!" y était écrit en majuscules écarlates.
Monde Libre? Mais qui employait encore cette expression?
Des rires émergèrent sur sa droite. De nouveaux regards s'étaient posés sur elle. Des dizaines de paires de globes oculaires la détaillaient désormais. Qu'avait-elle fait pour mériter autant d'attention un lundi matin? Ou peut-être était-ce l'affiche aux couleurs criardes... Enfin, il faudrait déjà que les adolescents s'intéressent à toutes les âneries qu'on pouvait placarder sur les murs des couloirs.
Devant elle, un troupeau de lycéens s'était formé à l'extrémité du couloir. Tous semblaient obnubilés par ce qu'ils voyaient. Alors qu'elle s'approchait d'eux, ils s'écartèrent pour lui laisser une place au premier rang. Pour autant, les chuchotements ne s'étaient pas arrêtés. Ils avaient redoublé d'intensité même. Mais elle ne pouvait distinguer le moindre mot...
Le mur blanc devant elle était recouvert d'affiches en tous genres. Mais, au milieu des tracts pour la chorales, des campagnes pour élire le délégué des lycéens et de la propagande pour désigner la reine du bal de l'hiver, ce furent les photos qui captèrent le regard d'Alison.
Une douzaine de clichés montrant tous la même scène: un jeune homme torse nu embrassant une jeune fille en soutien-gorge. Drew Smith, son ex-petit-copain et elle-même. Les opressants chuchotements se tranformèrent en cris de félicitations derrière elle. Quand elle se retourna, elle comprit: ils étaient tous en train d'acclamer Drew, l'homme qui avait pris sa virginité à la capitaine des cheerleaders et en avait placardé les preuves en place publique après leur rupture.
Une écharpe invisible semblait se resserrer de plus en plus autour de son cou. Sa respiration était de plus en plus difficile, comme étouffée par la soudaine chaleur qui avait pris possession du couloir. Chaque bouffée d'air inspirée paraissait chargée d'eau salée.
Elle devait partir, sortir de là, et vite. Alors que les brouhahas innondaient ses oreilles, elle tenta de se frayer un chemin parmi les corps familiers aux visages qu'elle ne reconnaissaient pourtant plus. L'un d'entre-eux faisait régulièrement obstacle à sa lutte contre la noyade dans la foule, compliquant encore plus sa quête désespérée d'un air non pollué par les ragots. Elle était à la fois le centre d'attention évident de la scène de crime et un témoin occulaire incapable d'agir.
Les adolescents s'étaient amassés par dizaines autour des preuves de sa mort sociale, rendant son périple vers la sortie du bâtiment interminable. Chaque pas n'était qu'une occasion supplémentaire d'échanger un coup d'épaule avec une nouvelle silhouette, de percuter un nouvel ensemble de chair et d'os.
Alors que les rangs se clairsemaient, laissant de nouveau apparaître les carreaux du carrelage au blanc usé, elle entra en contact avec une nouvelle silhouette. Ses yeux se noyants dans les larmes salées ne lui avaient pas permis d'esquiver cet énième obstable. Cette fois-ci, le choc avait été suffisamment fort pour faire tomber à terre les deux manuels qu'elle avait serrés si fort contre sa poitrine. Ils avaient rejoint sa dignité, ayant également chuté quelques minutes plus tôt...
Tandis que les torrents se transformaient en océans que ses joues tremblantes, une main lui tendit les deux blocs de papier écornés par leur rencontre avec le sol. D'un revers tremblant, elle essuya les lacs sur ses joues.
Ce n'était pas un curieux, impatient de recueillir les premiers mots de l'ancienne princesse du lycée après sa chute du haut de la pyramide. Non, il s'agissait d'un adolescent au maillot de foot portant un numéro peu familier et aux yeux d'un bleu inconnu.
Il esquissa un sourire se voulant rassurant quand il lui demanda si tout allait bien. Cependant, elle était parfaitement incapable de répondre à cette question, ni même d'ouvrir la bouche. Elle avait peur que des larmes ne s'y infiltrent pour remplir ses poumons.
Voulant en finir, elle arracha les livres des mains de son seul bienfaiteur au milieu de la tempête et courra vers la sortie de secours du couloir. La lumière du soleil, bien que cachée par les gris nuages, agressa ses yeux rougis.
Là, seule au milieu de la cour goudronnée, elle prit une profonde inspiration. Elle venait d'échapper à l'enfer... Mais pas pour longtemps.
A suivre...
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