Chapitre 1
La lumière crue du soleil prenait la forme de barres horizontales derrière les gradins du terrain de foot. Les lignes irritaient toujours autant les yeux d'Alison. Elle balaya une nouvelle vague de larmes lui rongeaient les joues tel de l'acide.
Combien de temps avait-elle passé assise sur l'herbe asséchée par l'été texan? Elle l'ignorait. L'idée de déverrouiller son smartphone pour y découvrir des dizaines de messages et commentaires méprisants lui était insupportable.
Elle releva de nouveau la tête. Les flots de larmes brouillaient sa vision mais elle pouvait encore voir le groupuscule de rebelles marginaux du lycée sur sa droite. Ils étaient encore là. Et ils vapotaient toujours, quelque soit ce qu'il y avait dans les réserves de leurs stylos à vapoter...
Parlaient-t-ils d'elle? L'observaient-ils depuis son arrivée dans l'espoir de s'emparer d'un précieux scoop? Se plaisaient-ils à assister au premier rang à la déchéance de la capitaine des cheerleaders?
Alison essayait par moment de les écouter (quand ses oreilles n'étaient pas monopolisées par la voix intérieure lui répétant que sa vie venait d'éclater en morceau tel un miroir qu'on aurait frappé d'un violent coup de poing). Mais, à chaque fois, ses efforts restaient vains. Les marginaux semblaient s'exprimer dans un dialecte martien...
Alors qu'elle renonçait de nouveau à comprendre la conversation indéchiffrable qui prenait place sur sa droite depuis des heures, elle entendit des bruits de pas sur sa gauche. Impatiente et anxieuse à l'idée de savoir qui viendrait la voir en premier suite à la mort de sa vie sociale, elle tourna la tête d'un geste brusque. Trop brusque pour son cou qui, malgré la douleur, était alors le cadet de ses soucis.
Malheureusement, il ne s'agissait d'aucun de ses amis... Si tenté qu'elle en ait encore. Il ne s'agissait pas non plus d'un de ses détracteurs habituels ou d'un autre adolescent anonyme en quête d'ascension sociale.
Une silhouette de femme quadragénaire se découpait devant elle. Son pantalon rouge assorti d'une chemise blanche pouvait indiquer qu'elle faisait partie du corps enseignant. Pourtant, Alison ne l'avait jamais vue au lycée George Washington...
Elle avait l'air déterminée, avançant d'un pas assuré vers l'arrière des gradins, une pile de papiers coincée entre son bras droit et son torse. Et elle affichait un sourire léger mais sincère, semblable à celui apparaissant sur un visage constatant la disparition de la pluie au profit d'un arc-en-ciel. Elle ne pouvait définitivement pas être envoyée pour leur demander de regagner leurs salles de cours respectives.
Lorsque les pieds de la quadragénaire s'étaient suffisamment rapprochés des jambes d'Alison, elle salua l'adolescente sur un ton tellement joyeux qu'il en paraissait presque inhumain. Alison n'osa même pas répondre. Que pouvait bien lui vouloir une parfaite inconnue alors que les gouttes abondaient encore par centaines sur ses pommettes?
- Tout va bien? s'inquiéta soudainement la quadragénaire en voyant le visage bouffie de la jeune femme recroquevillée sur elle-même dans l'herbe.
- Ça va, répondit Alison d'une voix beaucoup plus tremblante qu'elle ne l'avait imaginée.
- Tu peux me dire la vérité, tu sais...
Voyant les yeux de l'adolescente s'écarquiller fasse à cette tentative d'invasion de sa vie privée, elle se reprit aussitôt:
- Oh, excuse-moi! J'étais tellement préoccupée par ton chagrin que j'en ai oublié de me présenter... Je m'appelle Yvonne.
- Et moi Alison.
- Alors, Alison, qu'est-ce qui ne va pas?
- C'est juste, des problèmes d'ados...
- C'est pas un bon jour, c'est ça? lui demanda la vraisemblablement quadragénaire en prenant une expression pleine de compassion.
Sans un mot de plus, elle s'agenouilla et ouvrit grand ses bras en direction de d'Alison. Cette dernière ne savait pas si c'était la fragilité de son esprit et de son corps déshydratés ou le fait qu'elle était la première personne à la soutenir ce jour-ci, mais elle avait envie de prendre cette accolade. Elle désirait utiliser cette paire de bras bienveillants et s'emmitoufler dedans comme dans une couette qui la protégerait du monde et de ses horreurs. Elle en avait besoin, et elle venait de céder.
Tandis que les doigts maternels d'Yvonne agrippaient le dos de l'adolescente, elle lui murmura doucement à l'oreille:
- Tout le monde a des mauvais jours. Mais on ne peut pas les laisser voler notre vie, ce qui nous appartient. On a tous le droit à des jours heureux. Mes amis et moi, on se bat pour que tout le monde ait des jours heureux.
L'étonnement prit alors le pas sur le besoin de réconfort. Qu'essayait-elle de lui dire? Elle essaya de se dégager légèrement de l'étreinte de l'inconnue, en vain. Yvonne la serrait trop fort. C'en était réconfortant de voir que quelqu'un tenait autant à elle... même s'il s'agissait d'une parfaite inconnue. Dérangeant mais réconfortant.
Elle attendait alors un peu, profitant de tout l'amour que dégageaient les bras de la quadragénaire.
Alors que ses paupières étaient serrées l'une contre l'autre de chaque côté de son visage pour empêcher les dernières larmes qui lui restaient de s'échapper, Alison entendit son nom au loin. Était-elle, d'une façon ou d'une autre, en train de rêver? Y-avait-il une chance, si maigre soit-elle, que toute cette journée ne soit qu'un cauchemar? Venait-on la réveiller d'un long sommeil?
Elle ouvrit de nouveau les yeux, au risque de laisser couler les derniers centilitres d'eau de son corps par ses orbites. Son champ de vision était encore troublé par la sécheresse de ses paupières et la lumière beaucoup trop forte du soleil. Pourtant, elle pouvait distinguer deux formes: le bras gauche d'Yvonne et une silhouette féminine.
Comprenant qu'elles n'étaient plus seules, la quadragénaire desserra son étreinte et tendit un morceau de papier "au cas où elle voudrait rayonner à nouveau" à Alison avant de partir. Encore aveuglée par les barres lumineuses perçant les gradins, cette dernière pris le morceau de papier et se concentra sur sa visiteuse.
Elle distingua d'abord sa longue chevelure brune dont les mèches dansaient paisiblement avec la brise automnale. Puis elle remarqua ses Nike Cordero à la blancheur divine, le modèle que la coach de cheerleading avait offert à toute l'équipe après sa victoire aux championnats d'état l'année précédente. Enfin, les traits de son visage devinrent plus nets, de ses yeux bleus ronds à ses lèvres aux courbes sublimées d'une touche de rouge à lèvres carmin. Cornelia.
- Je t'ai cherchée partout, bon sang! annonça sa meilleure amie, plus inquiète qu'en colère, en laissant son Eastpack bleu marine tomber à terre.
- Ils m'ont huée... Et ils ont acclamé Drew, articula Alison d'une voix brisée par les milliers de larmes versées.
Cornelia s'assit à côté d'elle et la prit dans ses bras, bien plus réconfortants que ceux de l'inconnue quelques instants plus tôt. Alors que de nouveaux sanglots éclatèrent, elle resserra son étreinte et murmura: "je sais".
- Pourquoi? sanglota Alison. Je suis enterrée... Et lui... Il est au Septième Ciel.
À suivre...
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