Chapitre 6
Cela fait quelques minutes que nous sommes garés face à la boutique de Malek. Je triture nerveusement mon couteau. La patience n'est pas mon fort. Sauf quand il s'agit de traquer une créature.
J'aime cette montée d'adrénaline quand on se fond dans l'obscurité pour observer, cherchant la faille, le moment où on pourra s'abattre sur sa proie. J'aime la préparation des armes avant une attaque. Les démonter, les nettoyer, inspecter chaque pièce scrupuleusement, tout en pensant à la manière dont on va les utiliser.
La chasse, je l'ai dans mon sang. Encore plus depuis l'incident Wolf. Depuis que cet enfoiré de loup-garou m'a mordu au bras, lançant une trace indélébile dans ma chair et dans mon âme. La noirceur s'est alors emparée de mon être. Je m'évertue tous les jours de l'éloigner, mais je sais qu'elle fait de moi une meilleure chasseuse.
- Rappelez-moi ce qu'on fait là, demande soudainement Gabriel.
- On attend un vieil ami.
- Malek, c'est ça ?
Je grimace. J'avais oublié qu'il était là quand Blauen a tenté de m'intimider, en me faisant clairement comprendre qu'il m'avait à l'œil. Il faudra que je me sois sur mes gardes. Encore plus que d'habitude. Et que j'informe tous ceux qui travaillent avec moi.
Les néons de l'enseigne de la boutique s'allument enfin, me libérant d'une conversation que je ne veux pas avoir. Le mot « Djinn » brille de mille feux. Malek et sa discrétion légendaire. Heureusement que ses compétences le maintiennent hors du danger. Ca, et ma protection. Personne n'ose s'attaquer à l'ami de la chasseuse cinglée.
Je range à la hâte mon couteau et sors de la voiture. Le petit flic m'imite. La porte s'ouvre sur un grand brun à la chevelure épaisse et noire.
- Alors, Lolita, qu'y a-t-il de si urgent pour que tu m'obliges à quitter une soirée fort intéressante. J'allais conclure avec... Hé, mais qui est donc ce beau gosse qui t'accompagne ? Depuis quand tu as un équipier ?
- Ce n'est pas mon équipier, m'insurge-je aussitôt. Je travaille toujours seule.
Gabriel me dépasse et vient serrer la main du beau brun qui sort son sourire de dragueur.
- Gabriel Kadvael. Enchanté. Malek, c'est ça ?
- C'est moi qui suis enchanté. Je suis heureux de voir que ma baby doll ait enfin décidé de s'ouvrir un peu aux autres, et qu'elle a très bon goût.
- Laisse tomber, Malek. C'est un humain et il est flic.
Malek nous gratifie de sa moue attristée.
- Un si beau spécimen. Quel dommage !
Gabriel nous dévisage, complètement perdu.
- Laissez tomber. Je ne peux pas vous en parler.
- Tu veux dire qu'il traine avec toi et qu'il ne sait rien.
- Tu sais bien que je ne peux pas en parler avec un humain.
Malek le détaille de la tête aux pieds, comme un chien devant une côte de bœuf.
- Arrête ça tout de suite. C'est inutile.
- Quand sais-tu ? Ce n'est pas écrit sur son front.
- De quoi parlez-vous ?
Je me tourne vers le petit flic. Il est perturbé et ne comprend rien à la situation. Je jubile rien qu'en pensant à la tête qu'il va faire.
- Malek vous trouve à son goût.
- Ah !
Je crois déceler une pointe de gêne dans sa voix. Le blondinet n'a pas l'habitude de se faire draguer par un mec, on dirait.
- Je suis flatté, mais je suis plutôt filles. Enfin, vous voyez ce que je veux dire.
- Tu vois. Qu'est-ce que je t'avais dit ! On peut revenir à nos moutons maintenant ?
Malek me fusille du regard et entre dans la boutique. Je lui emboite le pas. Cet endroit est un vrai bric à brac. Attrape-rêves, pierres, talismans, livres. Il y en a pour tous les goûts. Gabriel se met à fureter à travers les rayons. Il semble particulièrement intéressé. Vraiment bizarre cet humain.
- Alors dis-moi ce qui m'oblige à ouvrir ma boutique à cette heure tardive, mon sucre d'orge ?
- Arrête avec des surnoms débiles, Malek. Ca me saoule. J'ai besoin de tes marchandises.
Il se redresse et jette un coup d'œil furtif vers Gabriel.
- Ne t'inquiète pas. Je gère.
- Je reviens tout de suite. Je dois... discuter avec mon ami, dis-je à l'intention du flic.
- C'est bon, j'ai compris. Je ne suis pas invité. Il faudra bien que vous m'expliquiez à un moment ou un autre. Ca commence à être lassant toutes ses messes basses.
J'acquiesce d'un hochement de tête. Sa patience s'effrite. J'ai intérêt de faire gaffe et trouver rapidement un moyen de le mettre hors-jeu.
Je suis Malek dans l'arrière-boutique. L'endroit n'a rien à voir avec l'avant. Ici, règne une magie puissante. L'atmosphère en devient presque étouffante. J'y viens rarement. En général, je patiente devant tandis qu'il va fouiller dans ses machins magiques.
- Je t'écoute. Ne trainons pas trop. Je sais que cet endroit te met mal à l'aise.
- J'ai besoin de quelque chose pour contrer un Celatur*.
- Un démon à qui tu veux faire des misères ? dit-il tout en farfouillant dans un tiroir.
- Oui, un du genre à vendre des bébés.
Malek grogne. Je sais qu'il déteste autant que moi ce genre de pourriture. Il est un allié de poids pour un chasseur. Qui pourrait se vanter d'avoir un génie dans sa poche ? enfin, façon de parler. Il est plutôt dans un coffre scellé sous une dalle de béton de plusieurs centimètres, dans le garage de mon immeuble.
Il y a plusieurs années, j'ai mis la main sur sa lampe. Quand il en est sorti, j'ai rapidement compris que c'était un gentil. Alors j'ai décidé de le libérer de cet ancrage. Depuis, il est toujours là pour m'aider. Grâce à lui, je peux mettre la main sur n'importe quel objet magique dont j'ai besoin, voire même quelques petits tours de son cru. D'ailleurs, il faudra que je lui demande de m'aider avec le blondinet.
Malek se redresse et me tend deux colliers au bout desquels se balance une pierre précieuse rouge sang.
- Ils s'appellent « reviens ». Ce sont des objets rares. Heureusement pour toi, j'en avais deux en stock.
- J'en ai besoin d'un seul. Le flic ne m'accompagne pas. D'ailleurs, à ce sujet...
Il lève la main pour m'arrêter dans ma phrase, tout en fronçant les sourcils.
- Hors de question, Red. C'est un humain. Je ne jette aucun sort aux humains. Et puis je te l'ai déjà dit. Je ne peux ni tuer ni faire tomber amoureux.
- Mais ce n'est pas ce que j'allais te demander ! C'est quoi cette idée à la con ! J'ai l'air de vouloir qu'il tombe amoureux de moi.
- Je n'ai jamais sous-entendu ça, réplique-t-il, amusé.
J'arrache les deux colliers de sa main, tout en marmonnant quelques jurons.
- Cet humain est ton problème, Red. Je ne peux rien n'y faire. Tu dois l'assumer.
- J'ai comme une envie d'aller déterrer une certaine lampe.
- Tu ne ferais pas ça tout de même, s'indigne-t-il.
- Bien sûr que non, triple imbécile. Mais ne me tente pas trop.
Malek pose son bras sur mon épaule et me plaque contre son torse.
- Ne t'inquiète pas. Je sais que tu vas gérer.
- Je gère toujours, marmonne-je.
- Exactement. Et ce petit pourrait bien te surprendre. Il a un je ne sais quoi qui me plait bien.
- C'est son cul qui te plait bien surtout.
- Tu sais de quoi tu parles !
Je lui file un coup de coude dans les côtes, tandis qu'on rejoint l'avant de la boutique. Gabriel a le nez plongé dans un bouquin. Un intello, c'est bien ma veine !
- C'est bon. J'ai ce qu'il faut. On peut y aller.
- Tu peux l'emporter, dit Malek alors que le blondinet s'apprête à le reposer. Cadeau de la maison.
- Merci.
Je lance un regard grave à mon ami.
- Fais attention à toi, Malek. Blauen me surveille. Il pourrait essayer de s'en prendre à toi.
- Ne t'inquiète pas, baby doll. Je sais me défendre.
Malek nous balance un clin d'œil tandis que l'on sort de la boutique. Ce mec est incorrigible.Tournant le dos à mon insupportable ami, j'ouvre la portière pour m'engouffrer dans la voiture. Il est temps d'aller trucider du démon.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top