Chapitre 5

Je sors du bureau de Blauen en trombe. Je suis tellement à cran que je bouscule presque le flic, qui se tenait juste derrière la porte. Il faut que je sorte d'ici au plus vite. Mon estomac se fait la malle. Mon cerveau déraille. Alors que je pose mon pied sur la première marche, la voix du démon me stoppe net dans ma progression.

- Avant de te précipiter chez lui, tu devrais faire un petit tour chez Malek. Rumple a protégé sa planque avec un Celatur*.

Je me retourne vers lui. Mon sang s'est figé dans mes veines.

- Tu n'es pas la seule à surveiller ceux qui peuvent te nuire, ma chère Aïdenn.

Blauen me couve de son regard glacial. Comment ai-je pu être aussi négligente ? J'étais tellement obnubilée par le fait de garder un œil sur lui, que je n'ai pas songé une seconde qu'il puisse faire pareil.

- Je sais que tu ne me fais pas confiance. Mais comme tu le vois, je suis réglo et même coopératif. J'espère que tu ne l'oublieras pas.

Je me redresse, sers la mâchoire et relève le menton, pour camoufler ma faiblesse.

- On ne peut pas faire confiance aux gens de votre espèce. Mais je sais que quand vous passez un marché, vous le respectez toujours. C'est bien la seule règle que vous suivez.

Le sourire de Blauen ne cesse de s'étirer, tandis que son regard me transperce. Soudain, il détourne les yeux pour s'intéresser au petit flic. J'avais presque oublié sa présence.

- Mr Kadvael, comment avance votre enquête ?

- Toujours au point mort malheureusement.

- C'est bien dommage, réplique Blauen, tout en faisant une moue faussement navrée. Peut-être pourriez-vous demander de l'aide à Mlle Hunt. Elle est particulièrement compétente dans son domaine.

Je le foudroie du regard. Mais à quoi il joue ? Travailler avec un humain est tout bonnement interdit.

- Son affaire devrait te plaire, Red. Crois-moi. Tu vas te régaler.

Son ton insistant attise ma curiosité. Quel genre d'affaires traite-t-il pour qu'elle puisse m'intéresser ? Est-ce en rapport avec l'activité des créatures ? j'ai beau le dévisager, rien ne transparait. Merde ! Je vais devoir aller fouiller. Mais le petit flic ne semble pas du genre à se laisser embobiner. Il faudra que je la joue fine.

Je laisse échapper un grognement avant de me tourner vers Gabriel.

- J'ai le renseignement que je suis venue chercher. Maintenant, on se barre.

Sans attendre sa réponse, je dévale l'escalier et bouscule le gorille chargé d'en garder l'accès. J'ai besoin d'air. J'ai besoin d'une putain de cigarette. Et de réfléchir à une stratégie pour en savoir un max sur cette affaire mystérieuse, sans que le blondinet en demande trop.

Dès la lourde porte métallique poussée, j'allume mon mégot entamé et tire une longue bouffée. La fumée s'insinue dans ma gorge, glisse dans mes poumons. Putain, quelle libération. J'expulse la vapeur brûlante et acre, avant d'en avaler une nouvelle. Derrière moi, la porte se met à grincer. J'entends quelqu'un se rapprocher de moi. C'est le petit flic. Son odeur musquée caractéristique ne trompe pas.

Je m'assois sur le muret qui fait face à ma voiture et continue à fumer. Il finira bien par venir jusqu'ici. Je suis sûre qu'il veut savoir ce qui s'est dit dans le bureau. Sans un mot, il vient s'installer à côté de moi. Pendant de longues minutes, il reste là, sans rien dire, me laissant terminer ma cigarette. Cette absence de réaction me met mal à l'aise. J'ai l'habitude de répondre aux attaques, mais jamais au silence. Je me sens complètement démunie.

Mutique, je me lève et m'installe au volant. Il m'imite, toujours aussi muet qu'une tombe. Mes doigts se mettent à tapoter nerveusement le volant. Je ne sais pas pourquoi mais je ne démarre pas. Comme s'il me fallait entendre sa voix avant de pouvoir partir.

- Putain de bordel de merde ! Pourquoi êtes-vous aussi silencieux ?

Devant mon accès de rage, le blondinet se tourne légèrement vers moi.

- Vous êtes vraiment quelqu'un de grossier, vous savez.

- Mais qu'est-ce qu'on en a à foutre ? Je ne suis pas en cours de bonne manière !

Il croise ses bras sur la poitrine et lève un sourcil. Un léger sourire se dessine sur ses lèvres, ce qui a le don de me faire encore plus exploser.

- Vous commencez sérieusement à me casser les couilles. Vous attendez quoi de moi ?

- Un simple échange d'informations.

J'ouvre la bouche, prête à lui sortir tous les jurons qui passeront par ma tête. Mais je me ravise. Peut-être est-ce l'occasion que je cherchais. Je m'enfonce dans mon siège et imite sa position.

- Très bien. Je vous écoute.

- Ah non ! vous d'abord.

Mais c'est qu'il me court sur le haricot, cet abruti !

- Que voulez-vous savoir ?

- Que vous êtes-vous dit dans le bureau ?

- Blauen m'a filé l'adresse. Point barre.

- Sans contrepartie ?

Je lui affiche mon plus beau sourire en guise de réponse. Il ne faut pas croire au Père Noël, petit. Je ne vais pas tout te dire.

- Il sait être généreux parfois.

Gabriel m'affiche une moue qui prouve qu'il ne me croit pas.

- Ok. A vous maintenant.

- C'est quoi cette affaire dont m'a parlé Blauen ?

- Une affaire sur laquelle je travaille.

- Ça, je l'avais compris. Vous ne pourriez pas être plus précis ?

- Des femmes ont disparu. On a retrouvé le corps de certaines. Enfin, ce qui en restait.

Je grimace. Je vois. Encore l'œuvre d'un démon qui aime torturer ses victimes. Un peu comme Blauen. Peut-être est-ce pour cela que le petit flic lui tourne autour.

- Pourquoi Blauen pense-t-il que vous pouvez m'aider ?

- Ça, je n'en sais strictement rien. C'est à vous de me le dire.

Ses sourcils se froncent un instant. Ses yeux me fixent avec insistance. Je reste stoïque devant son inspection en règle. S'il veut jouer à ce petit jeu, on risque d'y passer la nuit, mais il est hors de question que je lui lâche quoi que ce soit sur mon job. Soudain il se retourne, face à la route.

- Quand on aura coincé l'autre salopard, je vous montrerais le dossier. On verra bien ce que vous pouvez trouver d'intéressant.

Un sourire en coin naît, malgré moi, au coin de mes lèvres. Enfin, les choses rentrent dans l'ordre. C'est lui qui a besoin de moi. J'ai donc un avantage. Je vais tout faire pour en tirer parti. Je tourne la clé dans le démarreur, avant de prendre la route pour la planque de cet enfoiré de Rumple.

*sort servant à se camoufler de la vue d'autres personnes (humains, chasseurs ou même autres démons)

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top