Chapitre 3

Je me gare devant l'immense bloc de béton peint en noir. Rien ne le distingue des autres bâtiments aux alentours, excepté qu'il faut montrer patte blanche pour y entrer. Blauen sait se faire discret. Il faut dire que son business n'est pas du genre à s'étaler sur la place publique. Avant d'atteindre la porte d'entrée, je vérifie mon arme. On ne sait jamais. Blauen et ma famille n'ont pas toujours eu des rapports amicaux. Gabriel a remonté son flingue durant le trajet. Il est resté beaucoup trop silencieux pour ne pas éveiller mes soupçons. Je ne le sens pas. Il me cache quelque chose. Il faut qu'on règle cette affaire rapidement que je m'en débarrasse au plus vite.

Je frappe trois coups à la porte blindée. D'un geste vif, quelqu'un entrouvre la petite lucarne.

- Salut. Je viens voir Blauen. Dîtes-lui que c'est Red.

Elle se referme aussitôt, sans que je n'aie eu l'occasion d'échanger un mot avec l'individu de l'autre côté. Je sors une cigarette et l'allume. Je sais que Blauen va prendre son temps, histoire de me faire enrager, mais je ne lui laisserai pas cet honneur. Les deux mains dans les poches, appuyé contre le mur, le flic me dévisage. Encore. Ses yeux vert d'eau, cachés derrière ses lunettes, me scrutent, me détaillent. Ils me rendent mal à l'aise.

- Quoi ?

- J'essaie juste de comprendre ce qui vous lie à Blauen.

- Une vieille histoire.

A nouveau le silence. Je tire une nouvelle bouffée de ma cigarette, les yeux fixés sur le sol. Je sens encore son regard insistant. Bordel, il commence à me faire chier !

- Vous ne comptez pas me la raconter, n'est-ce pas ?

- Absolument pas. Comme je vous le disais, il y a certaines choses qui doivent...

- ... rester secrètes. J'ai compris.

Ca aussi, ça m'énerve. Terminer mes phrases. Ca fait vieux couple alors qu'on se connait à peine. Et l'idée même de me mettre en couple me fait gerber.

- Et vous, c'est quoi votre relation avec Blauen ? Vous venez passer du bon temps chez lui ?

- Affaire en cours. Je ne peux pas en parler.

Ok. Un point partout. Tu l'as bien cherché, ma vieille. Il faudra ruser pour lui soutirer des infos.

C'est à ce moment-là que la porte s'ouvre. Enfin ! Je m'engouffre immédiatement à l'intérieur, talonnée par le petit flic. La femme qui nous a ouvert grimace en voyant ma cigarette.

- Il est interdit de fumer à l'intérieur.

Un sourire machiavélique sur les lèvres, je lui envoie une bonne bouffée dans la figure. Ses yeux de serpent me lancent des éclairs. Un démon. Tiens donc, quelle surprise !

- C'est vrai que ce serait con que vous mouriez tous de cancers par ma faute.

Je sais pertinemment que les démons ne peuvent pas mourir de maladie. Ils maintiennent leur hôte en bonne santé. Ben, ouais, une enveloppe en mauvaise état ne sert à rien. Bref. Je sais que c'est un démon, non pas à cause de ses yeux de reptile. Une paire de lentilles suffirait à justifier cela. Mais parce que je le ressens depuis ma mésaventure. Depuis que Wolf a fait de moi ce monstre de foire. Mi chasseuse, mi loup. Dans mon malheur, j'ai hérité d'un don que tous mes congénères crèvent d'envie de posséder. Ironie quand tu nous tiens.

Nous suivons donc cette créature du diable dans un long couloir sombre. Il est à peine éclairé, étroit. Tout pour vous donner l'impression d'étouffer. Arrivés au vestiaire, elle marque un arrêt et se retourne vers nous. Elle nous fait signe d'y déposer nos affaires. Je secoue la tête pour décliner l'offre.

- J'insiste. Mr Blauen a bien précisé que vous deviez vous délester de vos armes avant de le rejoindre.

Putain de bordel de merde ! Il est prévoyant, l'enfoiré. Je dépose donc mon arme en même temps que ma veste. La femme-serpent ne me lâche pas des yeux.

- Le couteau aussi.

Je grogne mais le retire de ma chaussure. Je deviens trop prévisible. Ce n'est pas bon pour le travail. Le flic est prié de faire de même. Et nous voilà sans armes, face à une bande de démons, ou comment se faire harakiri avec le sourire.

L'hôtesse pousse alors une lourde porte matelassée de cuir et nous débouchons sur une mezzanine, qui surplombe une grande salle. Au centre de celle-ci, une scène vide, pour l'instant. Des tables sont disposées un peu partout. On dirait presque un bar de striptease comme un autre. A quelques exceptions près. Tout autour, des alcôves abritent des tables plus privées. C'est là, que se déroule le vrai spectacle. Je ne peux m'empêcher de détailler ce qui s'y passe, tout en descendant l'immense escalier central. Des corps ondulent, des soupirs s'échappent. Inutile de faire un dessin pour comprendre. Ils sont là en train de copuler sans aucune honte, sans aucune pudeur. Au contraire, ils cherchent à attirer le regard. Certains mêmes sont appuyés contre le chambranle pour mâter en toute impunité.

Quand nous passons à proximité, je sens le regard lubrique des hommes et des femmes qui parcourent mon corps. Ma peau se met méchamment à picoter. Je n'aime pas ça du tout. J'accélère le pas, me collant presque à la créature qui me précède. Putain, je déteste cet endroit. Nous approchons alors d'un autre escalier. Les deux gorilles qui font barrage s'écartent pour nous laisser passer, non sans m'avoir lancé un regard furibond. Oui, je sais, moi chasseuse, vous démons, nous pas copains. Je leur affiche mon plus beau sourire. J'entends même un grogner quand je passe un peu trop près de lui.

Tandis que nous montons, je ne peux m'empêcher de crâner.

- Je crois qu'un de tes copains gorilles a un faible pour moi.

Le démon se contente de persiffler et je me mets à ricaner. Blauen a installé son perchoir de l'autre côté du club. Il a donc une vue imprenable sur ceux qui arrivent et sur ce qui se passe plus bas. Il pense vraiment à tout. Mon regard balaie rapidement l'environnement. Réflexe de chasseur. Repérer les ennemis éventuels, prévoir une sortie de secours. Sauf que là, la seule sortie est dans mon dos. Ca ne me plait pas. Je me sens comme un rat pris dans un piège.

- Bonsoir Red. Je suis heureux de te revoir. Cela fait si longtemps.

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