Chapitre 2


Je presse le pas pour rejoindre ma voiture, tout en rallumant mon mégot. Le flic est toujours sur mes talons.

- Alors où comptez-vous aller ?

- Chez Blauen Bart.

- Le patron du BB ?

Je m'arrête et le détaille à nouveau. Jamais je n'aurais pensé qu'il puisse fréquenter ce genre d'endroit. Les apparences sont trompeuses. Je devrais le savoir.

- Ce n'est pas ce que vous pensez, se reprend-il devant mon sourire narquois. J'ai dû faire connaissance par la force des choses. Le boulot quoi !

- Oui, c'est ça, réplique-je en ricanant.

Il se met à faire la moue. C'est qu'il a une gueule d'ange comme ça ! On en boufferait. Je reprends ma marche pour dévier mon esprit qui commence à s'égarer.

- Etant donné que c'est vous qui avez foutu la merde, vous allez me filer un coup de main. Si vous connaissez Blauen, vous pourriez m'être utile en fin de compte.

- Comment ça j'ai foutu ? Vous lui braquiez une arme dessus, je devais intervenir ! Et d'abord, je suis de la police ! C'est vous qui marchiez sur mes plates-bandes.

- Ne pousse pas le bouchon, poulet. Je n'aime pas trop qu'on me cherche. Tu l'as aidé à s'échapper et ça, c'est un fait.

- Pourquoi me répétez-vous toujours ça ?

Je soupire bruyamment. Il faut vraiment que je lui explique tout !

- La marque au sol. C'était un sceau magique. En marchant dessus, vous l'avez brisé et il a pu s'évaporer.

- Vous êtes sérieuse ? dit-il en rigolant.

- Evidemment. Comment expliquer qu'il est disparu comme ça ? réplique-je, en agitant les mains.

Il s'arrête de rire.

- Ok, vous marquez un point.

- Ah ! m'exclame-je, fièrement. Le monde n'est pas tel que vous l'imaginez. Il y a beaucoup de choses que vous ne savez pas... Grimpez dans la voiture.

Je me glisse au volant et attend qu'il s'installe. Quand il s'assoit, Gabriel se tourne vers moi.

- Vous auriez une cigarette ?

- Non. Croyez-moi, vaut mieux pas que je vous file une des miennes.

Il se met à froncer les sourcils.

- Pourquoi ai-je l'impression que vous me baladez ?

- Crois ce que tu veux, blondinet. Il y a des choses que tu ne dois pas connaitre. Pour ton propre bien. Ici, c'est moi qui fais les règles. Soit tu me suis sans me saouler avec des questions, soit tu dégages. Compris ?

Il me détaille un moment, tentant de démêler le vrai du faux. Son regard me fait un drôle d'effet. J'hésite entre l'agacement et le plaisir.

- Bon, vous avez gagné. Qu'est-ce qu'on va faire au BB ?

- Vu qu'on a perdu la trace de Rumplestiltskin, je vais aller me renseigner auprès d'une personne qui a le bras long dans le milieu.

- Blauen ?

- C'est ça.

- Cet homme me donne la chair de poule. Il y a quelque chose chez lui qui n'est pas net.

Sa remarque me fait sourire. C'est qu'il a de l'instinct, le petit flic.

- Disons qu'il n'a pas toujours été aussi... raisonnable.

- Parce qu'être le patron d'un bar SM, c'est être raisonnable ?

- Croyez-moi, il peut faire bien pire.

A cette pensée, je repense à cette scène horrible dont j'avais été le témoin, malgré moi. Quand j'avais dix ans, j'ai voulu suivre mon père dans une de ses chasses. A l'époque, il était derrière Blauen. On avait débarqué dans une grande baraque lugubre à souhait, tout droit sortie d'un film d'horreur. Quand mon père a ouvert le coffre, il m'avait trouvé au beau milieu de ses armes. J'ai bien cru ce jour-là qu'il allait me tuer, tellement ses yeux me lançaient des éclairs. Acculé, il a dû me ramener avec lui.

Et j'ai regretté mon initiative. A l'intérieur, une vision apocalyptique nous attendait. Des corps de femmes, la gorge tranchée, toutes suspendues au plafond. Et du sang, du sang partout. J'en avais eu la nausée. Mon père m'avait alors intimé de me taire et de ravaler mon haut-le-cœur. Il m'avait confié une arme à feu. Ce n'était pas la première fois que j'en tenais une, mais je n'avais jamais tiré sur quelqu'un avec. Je me maudissais d'avoir eu une idée pareille. Les larmes effleuraient mes cils, mais je luttais pour les garder. Je ne voulais pas que mon père, qui regrettait déjà d'avoir une fille, vienne pester d'avoir en plus une pleurnicharde écervelée.

Tout à coup, une ombre se glissa derrière moi. Je me retournai aussitôt et me retrouvai nez à nez avec un homme, immense, au regard fou. Il m'attrapa à la gorge, fit valser mon arme, avant de me plaquer contre lui, en guise de bouclier humain.

- Tu as été bien imprudent d'avoir ramené ta petite princesse, Hunt.

- Dépose-la par terre, Démon.

- Et te laisser me tuer sans rien faire ? Tu rigoles ! Non, je vais gentiment sortir de cette maison avec ta fille, prendre ta voiture et me barrer loin d'ici.

- Hors de question. Aidenn sait pertinemment qu'on ne laisse jamais filer un criminel, même si notre vie en dépend.

Ce jour-là, j'ai pris de plein fouet l'absence d'amour de mon père. J'ai compris que je n'étais rien d'autre qu'un chasseur comme les autres pour lui. Ma vie était dédiée à la chasse. Elle finirait par la chasse.

- Tu serais prêt à la sacrifier pour m'avoir ?

Même le démon était surpris. Mais au lieu de fondre en larmes, comme aurait fait toute enfant de mon âge, j'ai cherché une solution. Comme tout bon chasseur, j'avais une arme de secours. Lentement, je fis remonter ma jambe pour que ma main atteigne ma botte. Mon père ne fit aucun geste pour me trahir, mais je savais qu'il avait vu mon manège. Au contraire, il continua à parler au démon pour le distraire. Mes doigts finirent par rencontrer le métal froid de mon couteau. Je le sortis avec la plus grande délicatesse.

- Assez parlé, chasseur. Tue-moi ou laisse-moi partir, hurla alors le démon.

Mon père tira sur le chien, prêt à tirer. D'un geste sûr et rapide, j'enfonçai alors ma lame dans les côtes de l'homme, qui me lâcha sous l'effet de surprise. Mon père tira dans la seconde qui suivit et le démon s'effondra au sol.

Je courus rejoindre mon père et me plaquait contre lui. Il pointait toujours l'arme dans l'autre direction. Une flaque noirâtre commençait à se former sous le démon qui rigolait.

- Putain ! C'est une sacrée garce, ta fille. Comme son père. Tu l'as bien élevée.

Mon père se rapprocha de lui, tout en me cachant.

- Inutile de t'acharner, chasseur. Mon hôte se meurt. Et ta balle m'empêche de le quitter. Je vais retourner en enfer. Ne t'inquiète pas. Mais tu sais que je reviendrais. Et ce jour-là, je viendrai saluer ta petite princesse.

Il recommença à rire, alors que le sang jaillissait par à-coups de sa bouche déformée par la douleur.

Ce fut la première fois que je fis connaissance avec Blauen. Quand il est réapparu sur Terre, il est venu à ma rencontre, mais il m'a tout de suite expliqué qu'il ne voulait pas d'ennuis avec les chasseurs et qu'il avait trouvé une autre manière de satisfaire ses envies morbides. Une manière admise par les humains. Et il en était ravi. Alors, je l'ai surveillé. Et il a tenu parole. Pas un cadavre, pas une goutte de sang. Il pouvait se repaître de la douleur des hommes, sans que je ne puisse faire quoi que ce soit. Je préférais le garder à l'œil, mais loin, très loin de moi.

Et me voilà ce soir, en train de me diriger vers son club, pour lui demander un service. Je me jette dans la gueule du loup, mais ce n'est pas la première fois et sans doute, pas la dernière.

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