Chapitre 13
Je me retrouve dans une scène surréaliste. Malek, un verre de thé à la menthe en main, fier de ce qu'il vient de réaliser. Blondinet, la tête basse, en train de massacrer un pauvre baklava. Et moi, bras croisés, en train de bougonner, enfoncée dans mon fauteuil. Même l'assiette de pâtisseries orientales, que le génie a fait sournoisement apparaitre sur la table basse, n'a pas réussi à me faire décolérer.
Il m'a piégée. Tout bonnement balancée dans un foutu traquenard. Et il s'attend à ce que j'acquiesce la bouche en cœur ? Il se fourre le doigt dans l'œil jusqu'au coude. Quand je sortirai d'ici, j'irai déterrer sa lampe et l'enverrai brûler en enfer.
- Très bien. Nous allons régler cette affaire en gens civilisés, et non à coups de poings. Nous ne sommes plus au temps des pharaons.
- Moi je dis que ces momies avariées savaient comment résoudre leurs problèmes. En les rayant définitivement de la carte.
- Un peu de respect, Red. Ce sont de mes ancêtres que tu parles.
- T'as qu'à retourner les voir si ma façon de parler te dérange.
Nous nous affrontons du regard, avant que Malek me lance un dernier coup d'œil dédaigneux.
- Chacun exposera ses arguments et je jouerai au médiateur.
- Tu es déjà partie pris, remarque-je.
- Si tu continues à faire preuve de mauvaise volonté, je vais devoir sévir.
- Et il compte me faire quoi, le vieux croûton ?
- D'enfermer quelques temps dans un lieu dont je suis le seul à pouvoir t'en sortir. Ça peut aller de quelques heures à quelques années, en fonction de ma contrariété.
Je me mets à blêmir. Je n'avais jamais vu Malek aussi hargneux.
- Tu n'oserais pas. J'ai ta lampe.
- Elle n'est pas sur toi donc je peux faire ce que je veux.
Quel salopard ! Ma bouche s'ouvre et se referme plusieurs fois de suite, cherchant un argument à lui opposer. Me trouvant dans l'impasse, je pousse un gros soupir.
- Très bien. Exposez donc vos arguments. Mais rien ne m'oblige à changer d'avis.
Le sourire de Malek réapparait. Il s'est bien foutu de moi. Depuis toutes ces années, il me fait croire que c'est moi qui veille sur lui. En fait, il est bien plus puissant que ce qu'il a bien voulu me le montrer.
- Alors, Gabriel, nous t'écoutons.
Pendant de longues secondes, nous restons là à regarder la tête baissée du petit flic. Blondinet a l'air de ne pas savoir quoi dire. A croire qu'il est du genre mutique une conversation sur deux. Je commence à tapoter nerveusement l'accoudoir du fauteuil. S'il ne se met pas à parler dans les cinq secondes qui suivent, je me barre. Bon, ça suffit. Ras le bol, je me casse. Alors que je pose le pied par terre, j'entends un long soupir qui vient de sa direction.
- Je ne suis pas là pour forcer la main à qui que ce soit. Si vous ne voulez pas de moi, je me débrouillerai tout seul. Mais il est hors de question que je laisse tomber maintenant que je sais.
Il relève la tête vers moi. Son regard est déterminé. Il ne plaisante pas. Il est prêt à aller jusqu'au bout, préparé ou pas.
- Il est hors de question que vous alliez foutre la merde. Je ne vous laisserai pas faire.
- Et pourquoi ? Qu'est-ce que vous en avez à faire ?
- A cause de ces saloperies de règles.
Blondinet fronce les sourcils, ne voyant pas de quoi je parle.
- Les chasseurs obéissent à des règles strictes et la première d'entre elles est de protéger les humains. Alors je dois vous empêcher de vous mettre dans de sales draps.
- Alors vous acceptez ?
- Je n'ai pas dit ça.
Le petit flic semble perdu dans mes explications. C'est le moment de le faire flipper pour qu'il oublie son projet à la con.
- Vous savez, le code des chasseurs est assez complexe. D'un côté, je dois vous protéger, et d'un autre, je dois tout faire pour que le monde occulte reste caché aux yeux des humains. Donc, techniquement parlant, je devrais vous tuer si je le respectais à la lettre.
- Red, je t'en prie, intervient Malek, agacé. Toi et moi savons que tu ne le respectes pas stricto sensu.
Je me mets à grogner à son intention. Il est en train de casser ma stratégie. Je sais parfaitement à quoi il fait référence. Il est contre mes échanges de bons procédés avec Edel.
- Mais vous ne l'avez pas fait. Pourquoi ?
Petit flic a décidé de jouer le tout pour le tout et de me mettre en difficulté. Je ne vais pas le laisser prendre le dessus. Pas question que je lui donne la satisfaction de constater qu'il a réussi à me mettre au pied du mur. Je me contente de lui sourire.
Ses yeux ne me lâchent plus, tendant de comprendre ce qui se passe dans ma tête. Bon courage. Moi-même je ne sais pas ce qui se passe là-haut. Mais il insiste. A force, je commence à me sentir mal à l'aise. Me sentir épier, détailler me fout la rage. Cela me donne l'impression d'être une bête de foire. Je détourne le regard et focalise mon attention sur ma bière. J'en avale quelques gorgées, pour éviter de me remettre à jurer. Ce petit jeu devient de plus en plus chiant.
- Dans ce cas, je vais vous dire pourquoi je ne renoncerai pas. Ce que vous m'avez appris m'a ouvert les yeux. Je me doutais qu'il y avait autre chose, en dehors de cette réalité, mais jamais je n'avais eu confirmation. Et vous avez débarqué.
- J'aurais mieux faire de me casser une jambe.
Mais blondinet continue, ne tenant pas compte de mes remarques.
- Vous savez pourquoi on me surnomme Mulder ? c'est parce qu'ils me trouvent tous bizarre. Au bureau, je m'occupe des affaires non résolues. Vous savez, celles qu'on pense insolvables, faute d'indices suffisants ou de suspects sérieux. Sauf que moi, j'accepte l'inacceptable. Je suis ouvert à toutes hypothèses, les plausibles comme les plus farfelues. Et ça marche.
La plupart du temps, je réussis à mettre la main sur le coupable. Un vrai, en chair et en os.
Mais des fois, j'aboutis à des conclusions moins conventionnelles. Et mes collègues me rient alors au nez. Moi-même, j'en viens parfois à douter. Enfin, jusqu'à aujourd'hui. Grâce à vous, j'ai eu la preuve que mes théories n'étaient pas si foireuses que ça. Qu'en fin de compte, mon travail vaut quelque chose, même si les autres ne le voient pas.
Malek se penche dans ma direction pour me chuchoter à l'oreille.
- C'est quelqu'un qui a besoin de faire ses preuves. Quelqu'un que l'on discrédite parce qu'il n'est pas comme les autres. Ça ne te rappelle rien ?
Je ne réponds pas. Je me contente d'assimiler. Son discours a eu plus d'impact sur moi que ce que je voudrais. Malek a raison. Il a marqué des points. Je comprends ce qu'il ressent. Se sentir rejeté par les siens. C'est toute l'histoire de ma vie. Mais ce n'est pas pour autant que je suis prête à assumer la formation d'un bleu.
- Vous avez fini ?
Le petit flic ouvre la bouche, mais rien n'en sort. Je crois qu'il est à court d'arguments. Je me lève et m'étire.
- J'ai écouté et ma réponse est toujours non. Maintenant, je me casse.
Je n'ai pas le temps de faire un pas qu'une force invisible et puissante me fait basculer dans mon siège.
- C'est à mon tour d'argumenter alors, lance Malek, d'un ton qui ne laisse place à aucune répartie de ma part.
Je me réinstalle, tant bien que mal, tout en bougonnant.
- Aïdenn, tu es une foutue emmerdeuse. Je suis fatigué de devoir toujours repasser derrière toi quand tu joues les enfants gâtés. Tu as beau être une personne formidable, un être exceptionnel. Tu fais tout pour qu'on te déteste. Et tu le réussis avec brio. Du coup, tu t'attires les foudres de tout le monde, y compris des pires ordures que le monde occulte ait connues. Blauen est sur ton dos et maintenant, tu veux t'attaquer à la sorcière. Si tu continues à t'obstiner à tout faire tout seule, tu vas finir par être tuée. Et cette idée m'est intolérable. Je tiens à toi, triple idiote.
Alors, que tu le veuilles ou non, tu vas prendre cet adorable jeune homme comme coéquipier. Et tu vas le former pour qu'il devienne chasseur à part entière. Il veillera sur toi quand moi je ne peux pas le faire. Sinon, je te le jure, je vais t'enfermer dans une lampe, comme on l'a fait avec moi, pour éviter que tu meures prématurément.
Je regarde Malek, complètement abasourdie. Je ne l'ai jamais vu comme ça. Jamais auparavant, il ne m'avait parlé de la sorte. Avec autant de fougue, de véhémence et de sentiments. Jamais il ne m'avait dit qu'il tenait à moi.
Des sentiments contradictoires viennent se bousculer sous mon crâne. Je ne sais pas si j'ai envie de le tuer ou de l'embrasser. C'est la première personne qui me fait une telle déclaration et je ne sais pas quoi en faire. Mais je le vois, il est très sérieux. Et sa menace aussi. Alors, ai-je vraiment le choix ?
Ses yeux me supplient d'accepter, tout en me mettant au défi de refuser. Putain de merde, Malek. Pourquoi tu me fais ça ? Je lève les yeux au ciel et laisse échapper un chapelet de jurons.
- C'est bon, vous avez gagné.
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