Chapitre 10
Je me gare devant le poste de police. Trouver Gabriel a été plus simple que je ne le pensais. A vrai dire, il y en avait qu'un seul Kadvael et il travaille à la Crim. J'écrase ma cigarette avant d'entrer. Pas envie de me prendre la tête avec les flics. J'ai eu ma dose avec Monsieur le génie vieux de mille ans. A l'accueil, une jeune fille, qui doit avoir à tout casser dix-huit ans, a le nez collé à l'écran de son ordinateur. Elle ne me calcule même pas quand je m'approche. Je m'appuie sur le comptoir et doit toussoter pour lui faire comprendre que je suis là. Elle lève lentement des yeux de biche agacée vers moi.
- Je peux vous aider ?
Evidemment, gourdasse. Je ne suis pas venue pour commander un café.
- Je voudrais parler à Gabriel Kadvael.
Elle plisse les yeux en me détaillant de la tête aux pieds.
- Et vous êtes ?
J'ai envie de lui balancer à la figure le fond de ma pensée, mais je mords la langue pour me contenir.
- Red.
Toujours cet air suspicieux. Elle commence à me gonfler sérieusement. Je meurs d'envie de lui écraser son joli minois sur le comptoir.
- Red ? Qu'est-ce que vous foutez ici ?
Derrière moi, raide comme un piquet, Gabriel me toise d'un regard furieux. Ses doigts se crispent sur les dossiers qu'il a en mains.
- C'est qui ce jolie petit lot, Mulder ? Ta gonzesse ?
Un néandertalien se rapproche de lui et lui file une tape dans le dos. Il encaisse et ne prend même pas la peine de lui répondre. Le blondinet continue à me dévisager, les mâchoires contractées.
- Je suis venue récupérer mon collier.
- Suivez-moi, dit-il en m'attrapant par le bras.
Je l'accompagne sans broncher, talonnés par Mr Cro-Magnon. Nous contournons l'accueil pour entrer dans l'espace bureau, grouillant de poulets plus ou moins en train de travailler.
- Les mecs, regardez. Mulder a ramené sa Scully.
Je retire mon bras de la poigne du blondinet et me plante devant l'abruti de service.
- Et donc toi, tu dois être Kojak, dis-je en désignant son crâne lisse. Tu aimes toujours les sucettes ?
Gabriel, sentant la catastrophe arrivée, me tire de force vers le fond de la salle, tout en accélérant le pas. Au loin, j'entends Kojak me lancer des insultes franchement fleuries. Blondinet me pousse dans le recoin sombre qui lui sert de bureau.
- Vous foutez toujours la merde là où vous passez ?
- Il m'a cherchée.
Je m'assois sur son bureau et balaie du regard les murs avoisinants. Ils sont couverts de photos de corps déchiquetés, de sous-bois et autres lieux propices pour un abandon discret de cadavres.
- C'est ça l'affaire sur laquelle vous bossez ?
- Ca ne vous regarde pas.
Son ton est cinglant. Signe d'une hostilité évidente. Il a vraiment du mal à digérer le cas Rumple. Il faut qu'il se fasse une raison. De toute manière, celle qui a enfreint la loi, c'est moi. Je ne vois pas pourquoi il se met dans un état pareil. D'un geste rageur, le petit flic passe la main sous son tee-shirt et retire le collier avant de me le tendre.
- J'aurais pu passer le déposer moi-même. C'était inutile de venir le chercher.
- Et perdre l'occasion de voir le magnifique bureau dans lequel vous travaillez ?
Gabriel grogne et me montre la sortie. Je fais celle qui ne comprend pas et continue à regarder les photos.
- Maintenant que vous avez ce que vous voulez, vous pouvez y aller. Je ne vous retiens pas.
- Des loups-garous, marmonne-je.
- Quoi ?
Je descends du bureau pour me diriger vers une série de photos en gros plan de restes humains. Je passe le doigt sur l'une d'elle, suivant consciencieusement les courbes d'une morsure.
- Ce sont des loups-garous qui ont fait ça.
- Comment pouvez-vous en être sûre ? Ca pourrait être des chiens errants ou autre chose.
- La taille de la mâchoire est beaucoup trop large pour correspondre à un chien, ou même à un loup. A la limite, on pourrait penser à un ours, mais il n'y en a pas dans la région et les dentitions sont très différentes.
- Depuis quand êtes-vous une experte en la matière ?
Je retire ma veste et dénude mon épaule droite. La morsure couvre tout mon triceps. Les boursouflures ont blanchi mais sont toujours aussi visibles.
- Comment c'est arrivé ?
Le ton du flic s'est radouci. Je déteste exhiber cette horreur, mais il fallait bien que je trouve une manière de lui prouver que je ne racontais pas des cracks.
- Première chasse en solo. Mauvaise rencontre. J'en paie encore le prix aujourd'hui.
- Ca veut dire que vous êtes...
- Non. Je fais tout pour que ça n'arrive jamais.
- Comment ?
- Mes cigarettes. C'est un mélange spécial qui me permet d'éviter les transformations.
- Je vois.
Son regard change. Plus de colère, mais de la pitié. Je déteste quand les gens font semblant de compatir. Ils ne savent pas ce que c'est, alors qu'ils aillent se faire foutre avec leur mièvrerie.
- Bon, maintenant, je me barre. J'ai fait ce que j'avais à faire.
Alors que je passe à côté de lui, Gabriel m'attrape le bras, m'obligeant à m'arrêter.
- Que vous a dit Rumple ?
- Des choses qui ne sont pas de votre ressort. J'ai réglé votre affaire et je vous ai donné un coup de main pour l'autre. Maintenant, je vais partir et vous ne me verrez plus.
Je tente de me dégager, mais il resserre sa prise.
- Et si je ne veux pas vous laisser partir ?
Qu'est-ce qui me fait, le petit flic ? je recule pour pouvoir lui faire face.
- Je ne vous demande pas la permission.
- Vous avez foutu le bordel, Red. Depuis ce qui s'est passé hier soir, mon cerveau carbure. J'ai ressorti tous mes vieux dossiers non résolus. Vous m'avez ouvert de nouvelles perspectives et je ne pourrais pas lâcher tout ça tant que je ne saurais pas s'il s'agit de l'œuvre de démons ou pas.
Je le pousse contre son bureau, pour l'éloigner le plus possible des autres.
- Vous allez baisser d'un ton. Je ne suis pas sensée vous avoir parler de tout ça. Si j'avais suivi les règles, vous seriez mort à l'heure qu'il est.
Gabriel se raidit aussitôt. Pourquoi ne l'ai-je pas tué ? Mystère. Sans doute son attitude. J'ai senti qu'il était plus ouvert que les autres humains. Comme si d'instinct, il avait réalisé tout seul que ce monde n'était pas réduit à ce qu'il connaissait.
- Je veux travailler avec vous.
Un rire tonitruant m'échappe. Je le regarde à nouveau. Il n'a pas cillé.
- Vous plaisantez, n'est-ce pas ?
- Je n'ai jamais été aussi sérieux.
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