Chapitre 1



J'allume ma cigarette. Le bout rougeoyant éclaire faiblement la ruelle dans laquelle je me planque depuis des heures. Et je commence à me geler les miches. Je sais que je ne devrais pas. Je vais me faire repérer par ce satané démon. Mais ce n'est pas comme si j'avais le choix. Le goût amer de l'aconit commence à envahir ma bouche, s'insinue dans mes poumons, avant de ressortir dans une vapeur acre. Chacun son poison. Certains boivent, d'autres sniffent, d'autres encore se piquent. Moi je m'empoisonne à petit feu. Tout ça pour contenir le loup.

La porte du bar clandestin s'ouvre enfin. Bordel, il était temps qu'il débarque ! J'érafle le mur avec le bout du mégot pour l'éteindre. Rumple hâte le pas en s'engageant dans la ruelle. Vu sa tête basse et son air de chien battu, il a dû perdre une grosse somme ce soir. Il va devoir renflouer les caisses et je sais exactement avec qui. Soudain, il se fige. Je le vois tourner la tête dans tous les sens pour essayer de repérer quelque chose. Plutôt quelqu'un.

- Alors Rumple, ça faisait longtemps !

En entendant ma voix, il se met à détaler en sens inverse et heurte de plein fouet le mur invisible. Je me mets à ricaner, tout en sortant mon colt.

- Tu ne croyais quand même pas que j'allais te laisser repartir dans l'autre sens, me moque-je en lui indiquant les marques au mur.

- Red, qu'est-ce que tu veux ? bredouille-t-il.

- Ne te fous pas de moi, Rumple. Tu sais très bien pourquoi je suis ici.

- Vraiment, Red, je ne vois pas !

Ce petit con commence sérieusement à m'échauffer les oreilles. Je n'ai pas de temps à perdre. Lentement, je me dirige vers lui. Aussitôt, il se met à décamper dans la ruelle adjacente. Je soupire d'agacement.

- Rumple, tu fais chier. J'en ai marre de courir après. Ca fait trois semaines que je te file le train.

Le démon continue à fuir, tout en jetant des coups d'œil affolés dans ma direction. Avec ce corps bedonnant, il n'est pas très rapide. Alors je ne me presse pas. Puis, d'un coup, il s'étale de tout son long, comme si ces chaussures avaient fusionné avec le sol instantanément. Je ne peux m'empêcher de pouffer. Cet idiot se tortille au sol pour tenter d'échapper au sceau que j'ai dessiné.

Arrivée à sa hauteur, je m'accroupis en lui servant mon sourire carnassier.

- Dis donc, Rumple, tu n'as pas choisi le meilleur hôte cette fois-ci.

- Pas trop le choix, les autres explosaient quand je voulais me téléporter.

- En effet, pas très pratique, ironisai-je, tout en secouant mon arme sous son nez. Bien, maintenant que tu te tiens tranquille, parlons honnêtement, de démon à chasseur, veux-tu ?

Il secoue la tête en guise d'approbation.

- Bien. Alors dis-moi tout, Rumple. Qu'es-tu venu faire dans ce bar ?

- Jouer. Tu sais à quel point j'aime jouer au poker. C'est un peu ma drogue.

- Tu viens surtout perdre à ce que j'ai pu constater ces derniers jours. Mais dis-moi d'où sors-tu tout ce fric ?

- De mon hôte. C'est un banquier. Il a une petite fortune.

Je pose mon flingue au milieu de son front, tout en fronçant les sourcils. Rumple sursaute et se met à trembler.

- Ok, ok. J'ai fait peut-être quelques petits marchés pour me renflouer.

- Bien, bien, dis-je, en tapotant le canon sur sa joue. L'honnêteté est très importante dans notre relation. Vas-y, continue. Je suis toute ouïe.

- Ecoute, Red. Tu sais ce qui m'arrivera si j'ouvre ma gueule.

- Oui, tu échapperas peut-être à l'exorcisme forcé. Et je sais que tu n'aimes pas nos petites séances de torture.

Rumple fait une grimace de dégoût. C'est vrai que la dernière fois, j'ai fait durer le plaisir, jusqu'à tuer son hôte. Ce n'est pas de ma faute si les bimbos sont des petites natures.

- Assez parlementer. Est-ce que c'est toi qui es derrière les disparitions de nourrissons à la maternité ?

Le démon se remet à se tortiller pour tenter de sortir du piège magique. Manœuvre tout à fait inutile, mais qui a le don de m'agacer un peu plus. Je colle à nouveau le canon sur son front et tire sur le chien.

- C'est bon, c'est bon, bafouille Rumple. Oui, c'est moi.

- Pour le compte de qui ?

- Red, je t'en prie...

- Me fais pas chier, Rumple. J'ai la gachette nerveuse aujourd'hui.

Soudain, je sens l'acier d'une arme se coller contre ma nuque. Merde ! J'étais tellement concentrée sur ce démon que je me suis laissée piégée comme une débutante.

- Retirez votre arme de sa tête et tendez-la-moi, intime une voix masculine.

- Et pourquoi je ferais une connerie pareille ?

Un objet apparait dans mon champ de vision. Une plaque de police. Putain de merde ! Comme si la situation ne pouvait pas être plus merdique !

- Ecoute, gamin. Laisse les grandes personnes régler leurs problèmes entre eux. Tout ça te dépasse.

L'homme se met à ricaner.

- Vous ne manquez pas de cran en tous cas.

- Jamais, rétorque-je, tout en cherchant comment me sortir de ce pétrin.

- Allez, assez rigoler. Donnez-moi votre arme immédiatement.

Je me mets à grogner. Je ne peux pas faire autrement. Je lève les mains en l'air, tout en lui présentant mon arme. Il l'attrape rapidement et commence à me contourner. Il pointe toujours son arme sur moi. Je ne peux qu'attendre.

- Vous allez bien, Monsieur ? demande-t-il à Rumple.

- Oui, oui, merci. Pourriez-vous venir m'aider à me relever, s'il vous plait ?

- Non ! hurle-je.


Le policier me jette un regard intrigué, mais continue d'avancer et pose le pied sur le sceau. Je me mets à jurer à voix haute. Rumple se relève aussitôt et la seconde d'après, disparait dans un nuage de fumée.

- Putain de merde...

Le flic se met à cligner des yeux, complètement abasourdi. J'en profite pour lui subtiliser mon arme et la sienne, par la même occasion. Il se fige instantanément.

- Franchement, vous me faites tous royalement chier. Trois semaines de boulot foutues en l'air parce que vous n'étiez pas capable de vous occuper de vos affaires. Maintenant, il va se planquer et je vais devoir faire appel à quelqu'un que j'aurais préféré éviter.

Tout en lui parlant, je démonte, pièce par pièce, son Berretta, avant de le lui rendre.

- Joli joujou, dis-je en m'éloignant.

J'ai le temps d'arriver au croisement avec l'autre ruelle, avant qu'une main vienne accrocher mon épaule.

- Mais vous allez où comme ça ? C'était quoi ça ? Il est passé où ? et pourquoi ça n'a pas l'air de vous bouleverser plus que ça ?

Je me retourne lentement, en essayant de garder mon calme. Je déteste qu'un homme pose ses sales pattes sur moi.

- Ecoute, mec. Ne me force pas à faire quelque chose que je vais regretter. Là, il faut que j'aille rectifier vos conneries et rattraper cette enflure avant qu'il n'enlève d'autres bébés.

- Comment ça ? C'était donc bien lui !

Tiens, le petit flic et moi courions derrière le même gibier et je ne l'avais pas repéré.

- Oui, il me l'a confirmé avant que vous ne veniez l'aider à s'échapper.

- Je ne l'ai pas aidé ! Et arrêtez de m'embrouiller ! Je veux savoir ce qu'il vient de se passer.

L'occasion est trop belle pour lui foutre la trouille. Je lui souris de toutes mes dents.

- Si je devais vous le dire, je serais dans l'obligation de vous tuer.

Il se met à rigoler comme si c'était une blague. Mais je garde mon air sérieux et son sourire s'efface aussitôt.

- Vous plaisantez, n'est-ce pas ?

- Absolument pas. Il y a des choses qui doivent rester secrètes. Vous, les humains, ne devriez pas vous mêler d'affaires qui ne vous concernent pas.

- Nous les humains ?... Mais vous avez pris quoi ? Vous commencez sérieusement à me gonfler avec vos mystères ! s'énerve-t-il, tout en m'attrapant par le col de mon perfecto.

Aussitôt, je dégage ses mains de ma veste et le plaque violemment contre le mur derrière lui. Mon avant-bras appuie sur sa gorge. Je vois ses yeux s'écarquiller. Désolé, chéri, mais faut pas me chercher, sinon le loup vient faire un petit coucou.

- Faites gaffe à ce que vous dites. Je ne suis pas réputée pour ma patience.

- Mais vous êtes quoi au juste ? réussit-il à articuler.

- Vous voulez vraiment le savoir ?

Je devrais voir la peur dans son regard, pourtant je n'y vois qu'une intense curiosité.

- J'aime vivre dangereusement, ironise-t-il.

Ce petit con réussit à me faire sourire. Je décide de le relâcher. Je l'observe un instant. Avec son look de petit intello, j'avoue qu'il m'intrigue. Il n'a rien du flic de terrain, même si je devine, sous son tee-shirt blanc, une musculature bien dessinée. Ces lunettes carrées lui donnent un côté beaucoup trop sage, mais ses yeux... Ils disent tout à fait autre chose.

- Moi, c'est Red. Et vous ?

- Gabriel Kadvael. Alors c'est juste Red. Vous n'avez pas de nom de famille ?

Je lève un sourcil en guise de réponse. N'exagérons pas. Je le trouve mignon, intéressant mais il ne faudrait pas qu'il dépasse les bornes.

- Alors, vous m'expliquez ? Parce que sérieusement, j'ai l'impression d'avoir basculé dans une autre dimension.

- Je ne peux pas. Je vous l'ai déjà dit. Sachez juste que je vais m'occuper de cette ordure comme il faut. Il va passer un mauvais quart d'heure, croyez-moi.

Je repars aussitôt vers ma voiture, le laissant en plan. Je n'ai vraiment pas le temps de m'occuper d'un petit flic de quartier.

- Hé ! Si vous croyez pouvoir vous débarrasser de moi aussi facilement, vous vous trompez.

Je m'arrête aussi sec et fais volte-face.

- Dans ce cas, je vais devoir m'occuper de vous d'abord, dis-je tout en pointant mon arme dans sa direction.

Il s'arrête aussitôt en levant les mains en signe de reddition.

- Ne soyez pas stupide. L'avenue n'est qu'à quelques pas. Si vous tirez, on vous entendra à coup sûr et tout le monde vous verra quitter les lieux. Et vous aurez ensuite toute la police de la ville au cul. Et ça m'étonnerait que c'est ce que vous voulez.

Ce petit con a raison, mais pas question de le lui montrer. Il n'a pas l'air de vouloir lâcher l'affaire. Comment je vais faire pour m'en débarrasser ?

- Laissez-moi vous accompagner. C'est mon affaire. Je dois la résoudre et d'après ce que j'ai vu, vous semblez en savoir plus que moi sur tout ce foutoir... et de toute manière, vous n'arrivez pas à me faire lâcher prise. Quand j'ai décidé de faire quelque chose, je peux être particulièrement tenace.

- Bordel, vous me faites chier ! finis-je par lâcher. Ok, vous venez avec moi, mais vous ne savez pas dans quoi vous mettez les pieds. Si vous me suivez, vous ne pourrez plus faire marche arrière.

- Je suis prêt à prendre le risque, dit-il en baissant les mains, un sourire satisfait sur les lèvres.

Je soupire tout en rengainant mon arme. Et me voilà obligée de baby-sitter un poulet. Je savais que j'aurais dû rester dans mon pieu ce matin.

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