Iel est né.e à une époque où les cirques ambulants étaient répandus et traversaient le pays sans rencontrer de problèmes.  Quand on vous parle de cirque, vous pensez aux lions rugissants, aux grands éléphants paisibles, aux clowns faisant rire et aux trapézistes voltigeants dans leur tenue brillante.  Mais le cirque qu'iel connaissait ne comptait rien de tout cela. Nul félin et nul acrobate. Rien que des êtres étranges,des créatures difformes. Rien que des Monstres.

    Iel avait été vendu.e par sa mère peu de temps après sa naissance. Évidemment ; qui aurait voulu d'une chose comme ellui pour enfant ?

    Tout de suite après son arrivée, iel avait été pris.e sous l'aile de deux sœurs siamoises. Elles s'appelaient Laura et Danaé. Elles étaient déjà dans cet endroit depuis onze ans. Elles en avaient 27.  En plus de servir d'être à exhiber, elles fabriquaient les costumes de tous les autres.

    En plus des deux sœurs, le cirque comptait un homme d'un peu plus de deux mètres. Il était doux comme un agneau et était le cuisinier de la troupe. Tous le considéraient comme un père, si tant est qu'ils connaissaient ce terme.

    On pouvait aussi trouver un jeune homme aux cheveux blonds mi-longs qui lui retombaient sur les épaules en belles boucles. Il s'appelait Jérémy. Lui, il avait une déformation au visage. Plutôt deux en fait. Un bec de lièvre tordait sa lèvre supérieure en une étrange grimace mais sa yeux dépareillés brillaient d'une douce lueur dorée et rouge quand ils se posaient sur la femme qu'il aimait.

    Celle-ci, répondant au doux nom de Diane, avait de très longs cheveux immaculés qui lui tombaient jusqu'aux chevilles. Elle était née ici ; sa « différence » lui ayant été transmise par sa mère ; et le directeur du cirque lui avait toujours formellement interdit de couper sa chevelure. Son teint pâle faisait ressortir le carmin de ses pupilles. Ses doux yeux avaient le don de faire sourire n'importe qui croisait son regard. Elle avait aussi une petite sœur qui, bien qu'elle était muette, était adorable et ressemblait à son aînée comme deux gouttes d'eau. Elle « avait » malheureusement... La petite avait succombé des suites d'infections causées par des coups.

    Là bas, il n'y a pas de soins. Si vous êtes malade ou blessé, vous devez vous débrouiller...

    Quand à ellui, sa différence n'est pas visible au quotidien. Sa différence, elle est entre ses cuisses.Ni homme ni femme. Même pas mâle ou femelle. Iel n'est qu'un monstre, une créature inachevée. Un être indéfini. Un démon envoyé de Satan pour certains.  Son corps paraît normal, mais une fois dévêtu.e, iel est difforme.

    Pourtant, malgré l'horreur de son enveloppe de chair, celle-ci dissimule un véritable trésor. Quand sa voix s'élève, ni masculine ni féminine, c'est un tourbillon d'émotions qui vous emporte, et ne vous lâche qu'à la fin de sa chanson. Et alors votre esprit est comme apaisé. C'est là son pouvoir.

    Alors iel chante. Iel danse aussi. Quand la musique s'empare d'ellui, iel se laisse emmener. Alors iel devient plus léger que l'air. Ses pieds décollent du sol de terre battue de la piste, ses poignets et ses chevilles se tordent dans un angle délicat, ses cheveux bruns virevoltent autour de son visage où ses paupières s'ouvrent et se ferment doucement sur son superbe et étrange regard orange, et l'espèce de vieille tunique à la froide teinte gris sale s'élève autour de son corps, s'emmêlant parfois dans ses jambes, sans que cela ne lea dérange.

    Et alors rien. Ni le froid, la faim ou la soif. Ni la fatigue. Ni les menaces ou encore les coups ne peuvent plus l'empêcher de danser. Iel danse, iel vole. Iel est comme un oiseau. Un oiseau blessé, un oiseau en cage. Mais un oiseau au cœur libre. C'est la seule chose qui lui permet d'oublier un peu sa misérable existence. Iel se contente de bouger chacun de ses membres si fins au rythme de la voix qui s'élève de sa gorge. Parfois, les autres lea rejoignent. Apparaît alors un étrange ballet. Un ballet d'êtres monstrueux, de créatures démoniaques. Cela pourrait s'apparenter au sabbat des sorcières. Mais iels ne s'en préoccupent pas. Iels sont heureux. Et rien n'a plus d'importance à cet instant précis.