Présence
— Tu peux déposer ça là, soufflé-je à Junyoung, qui s'exécute déjà. Merci beaucoup, les gars.
— Aucun problème, hyung.
— Ce fut avec plaisir !
— Par contre, plus personne ne déménage avant au moins six mois, parce que c'est le temps dont mon corps aura besoin pour se remettre de cet effort, soupire Youngjeon.
— En même temps, tu aurais moins de mal si tu allais t'entraîner avec Hoseok hyung plus souvent, répond Inhwan, hilare.
Cet échange, combiné à l'air énervé du moins musclé, nous permet tous de sourire et relâcher nos corps endoloris par notre travail acharné.
— Ça vous dit un resto ? C'est moi qui invite, proposé-je.
— Ah, mais il fallait le dire avant ! Je me sens déjà mieux. Allons-y !
Pris d'un nouveau rire, je les suis, le coeur léger.
Je rangerai mes affaires à partir de demain. Mon lit est monté et je vais bientôt avoir le ventre comblé, alors, à l'heure actuelle, c'est tout ce qui m'importe.
On a assez travaillé pour aujourd'hui.
***
J'ai vraiment trop d'affaires...
Il m'aurait fallu deux camions entiers si je n'avais pas fait un triage avant de quitter définitivement mon autre appartement.
Heureusement que je n'étais pas seul pour déplacer tout ça...
Bon, c'est parti ! Commençons par la cuisine !
Cuisine, qui n'avait pas tous ces cartons, hier encore...
Mais, bon sang... Pourquoi il y a des caisses remplies d'objets appartenant au salon, ici ?
J'imagine que l'un de nous a dû se tromper. Il faudra que je vérifie avant d'ouvrir les autres boîtes.
Ah ! Mon téléphone !
— Allo ?
— Seokkie hyung ! On passera chez toi samedi, pour fêter ton emménagement, m'annonce Changkyun, enjoué.
— Ça marche, on fait comme ça !
— Super ! À samedi alors ! Tu nous manques, Ho-jjang.
— À samedi, Kyunnie. Vous aussi, vous me manquez.
Je suis heureux qu'ils aient enfin pu se libérer un jour pour qu'on puisse se voir.
Depuis que ces cinq petits rêveurs se sont lancés dans une start-up innovante et bien trop complexe, ils n'ont parfois même plus le temps de manger. Quant au sommeil, il s'agit bien évidemment d'un passe-temps qu'ils ne convoitent plus énormément. J'aurais pu les rejoindre dans ce projet, mais j'ai préféré décliner l'offre.
Et quand je vois combien ce projet les tient corps et âme, je me dis que j'ai bien fait. Il faut vraiment être passionné, pour penser vivre de cette façon.
Je suis si fier d'eux. Ils me manquent énormément. J'ai hâte d'être ce week-end.
Il faut vraiment que je m'y mette. Le plus gros doit être rangé avant samedi.
Je demanderais bien un peu d'aide à ma petite maman, ainsi qu'à mon frère. Oui, je vais leur envoyer un message. Ça me permettra ainsi de les voir.
***
Ça recommence !
Bon sang, qu'est-ce que je déteste ça !
Ce n'est définitivement pas normal ! Ça fait des semaines maintenant que je subis ça. Il est impossible que ce ne soient que des coïncidences. Non, plus maintenant...
Des portes qui se referment et s'ouvrent, des objets qui se déplacent, et maintenant, des ombres au fond du couloir ?
Non, ce n'est pas possible...
Je vais devenir dingue.
Et personne ne me croît ! Comme si je pouvais virer fou du jour au lendemain ! C'est ridicule...
J'essayais vraiment de faire comme si de rien n'était. Pendant des semaines, des mois, j'ai vraiment tenté de fermer les yeux, mais là, ce n'est plus envisageable. Pas après ça.
Mon Dieu, je n'arrive pas à calmer mes tremblements. Je voulais simplement prendre ma douche, mais dans l'obscurité, avant que je ne puisse allumer la lampe, cette gigantesque ombre est apparue, ressemblant à un homme, bien plus grand que moi.
C'est ce que c'était sûrement, d'ailleurs... Un homme.
Mais quand l'a-t-il été ? Et depuis quand ne l'est-il plus ?
Il faut que j'arrête de penser à ça !
Ce n'était peut-être que ton imagination, Hoseok.
Les autres ont sûrement raison. Tout ça n'existe pas ! Tout ça relève de l'irréel. Oui, ils ont raison. Je pense que la solitude me joue des tours. Être seul aussi longtemps n'est pas bon. Oui, c'est sûrement ça.
Tu prendras ta douche un peu plus tard. Pour l'instant, reste dans le canapé et allume la télé.
Voilà, augmente le son, et essaye de te changer les idées...
Mes paupières se font de plus en plus lourdes. Il faudrait vraiment que je file sous la douche, mais je n'en ai pas encore la force. Je sais que je devrais prendre mon courage à deux mains et y aller, mais je n'y arrive pas. Peu importe combien je me répète que je ne risque rien, que je suis au septième étage, et que rare sont les personnes qui pourraient arriver jusqu'ici, je n'y arrive pas.
J'ai peur... J'essaye vraiment d'y croire. Croire que je ne risque rien, mais je n'y arrive pas.
Pourtant, je ne peux pas rester sur ce canapé toute ma vie. Je ne peux pas, c'est impossible...
Même si j'aimerais énormément, je ne peux pas.
Pourquoi diable suis-je seul dans cet appartement ? Je ne veux plus. Je veux quelqu'un, j'ai besoin de quelqu'un.
Qui pourrais-je appeler ? Je ne veux pas qu'on me traite encore comme un enfant. Je dois être fort et affronter mes peurs, sans l'aide de personne. De toute manière, même si j'appelais quelqu'un ce soir, que ferrais-je les jours suivants ?
C'est ridicule...
Je suis fatigué. Mes pensées fusent de toutes parts, mais mes paupières tombent toujours autant...
Si je m'endors maintenant, ça ne serait pas plus mal, finalement.
— N'aie pas peur de moi, entends-je murmurer contre mon oreille.
D'un violent sursaut, je me réveille de ma sieste improvisée, le corps tremblant et les yeux grands ouverts. Je tourne la tête dans tous les sens, la poitrine prête à éclater.
J'ai encore l'impression de sentir ce courant d'air contre mon cou. Mes frissons sont innombrables.
Qu'est-ce que c'était que ça, putain ?
Je n'ai pas rêvé, c'est impossible ! C'était bien trop réel, je ne peux pas l'avoir inventé !
Les bras maintenant mes jambes, repliées contre mon torse, je tourne encore la tête de tous les côtés, les yeux larmoyants.
— Il y a quelqu'un ? m'écris-je, d'une voix brisée et tremblante. Qui est là ? Qui êtes-vous ? Par pitié, laissez-moi tranquille. Quittez cet appartement.
Sans le contrôler, les larmes dépassent la barrière de mes paupières. Mon estomac se tord douloureusement. Je n'arrive pas à me calmer, je suis bien trop terrifié.
Personne ne me croirait, si je le racontais. Je ne peux pas déménager. J'ai déjà eu bien trop de mal à trouver ce nouvel appartement.
Qu'est-ce que je peux faire, bon sang ?
— Partez, je vous en supplie, imploré-je, toujours en pleurs.
— Je ne peux pas.
Aux aguets, mes larmes redoublants de volume, je cherche d'où peut provenir ce son.
— Où êtes-vous ? Par pitié, arrêtez ça.
J'aimerais me rouler en boule, me cacher sous la couette de mon lit, mais j'ai bien trop peur. Je préfère avoir à l'oeil le moindre centimètre de la pièce dans laquelle je me trouve.
Sans un quelconque avertissement, une grosse masse noire attire mon attention dans un coin de la pièce, là où la lampe halogène éclaire le moins.
Je sursaute à nouveau, lorsqu'un homme se dessine de plus en plus clairement. Mon coeur n'a jamais battu aussi vite. C'en est douloureux. Si douloureux. Je suis tétanisé, mon corps refuse de bouger. Je ne sais pas quoi faire et de toute manière, mon corps ne m'obéirait pas, quoi que je puisse lui ordonner.
— Qui êtes-vous ? marmonné-je, piteux.
Debout, droit comme un i, cet homme ne bouge pas d'un poil. Les bras le long du corps, habillé d'un simple sweat ainsi qu'un jean, ses yeux perçants et tristes me fixent.
Je n'arrive toujours pas à bouger.
— Puis-je m'approcher ?
— Non ! hurlé-je. N–non, par pitié.
Les larmes ne coulent plus sur mes joues, mais mon coeur tambourine toujours affreusement fort ma poitrine.
— Je ne compte pas vous faire de mal, je vous le promets, murmure-t-il pratiquement.
Son regard paraît si fragile et peiné... Peut-on jouer aussi bien la comédie ?
Bien sûr que oui...
— Qui êtes-vous ? répété-je, d'un ton aussi bas que le sien.
Je dois reconnaître que son attitude paisible calme légèrement mes angoisses. Par instinct, mes muscles se détendent petit à petit, et désormais méfiant, je me tourne totalement vers lui, les jambes toujours collées à mon torse.
— Vous pouvez me considérer comme un très vieux locataire.
Son sourire semble si triste... Ça me fend le coeur.
— Vous êtes... C'est vous, qui vous vous amusez depuis des semaines à me rendre chèvre ? posé-je, plus que perturbé par cette soirée horriblement étrange.
— Je suis désolé pour ça. J'essayais de vous faire comprendre, petit à petit, que vous n'étiez pas seul. Je ne voulais pas me montrer devant vous du jour au lendemain, sans vous avoir un minimum préparé.
— Parce que vous pensiez sincèrement que j'allais être préparé un jour pour ce genre de situation ?
— Je suis désolé.
Il ne peut pas être méchant, pas vrai ?
S'il l'était, il aurait sûrement agi autrement...
Il aurait cassé des objets, il m'aurait peut-être même touché, frappé... Mais il n'a rien fait de tout ça. Pendant des mois, il a été pacifiste et a essayé de me montrer qu'il existait, en me ménageant un maximum. Je ne peux pas nier tous ces constats.
Il m'effraye énormément, mais je dois au moins lui reconnaître ça.
Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez moi ?
On dirait que je trouve ça presque normal...
Rien ne va...
— Vous êtes... Vous êtes un fantôme ? Un ange ? Par pitié, tout sauf un démon, je vous en supplie, soufflé-je, les yeux à nouveau larmoyants.
— Je pense que vous pouvez me considérer comme un fantôme.
Il n'a pas l'air sûr de lui. Dois-je prendre ça comme un bon ou mauvais signe ?
— Je suis mort ici, dans cet appartement. Cela fait des années, maintenant, mais peu importe combien j'essaye, je n'arrive pas à partir.
Sa voix paraît tout aussi brisée que la mienne. Il ne peut pas être méchant... Non, il me dit la vérité. Pas vrai ?
— Vous vous montrez à tous les locataires ?
— L'appartement appartenait à ma famille. Il n'a plus jamais été habité depuis cet incident. Je pense que mes parents sont maintenant décédés, parce que votre propriétaire est quelqu'un que je n'avais encore jamais rencontré.
Sa tête est baissée. Il regarde ses chaussettes, les bras toujours posés de manière crispés le long de son corps.
Qu'est-ce qui me prend ?
Comment puis-je envisager faire ça ?
Non, Hoseok... Tu ne peux pas !
Tu devrais prendre moins de risque, Hoseok...
Tu es vraiment un abruti de première.
— Venez vous asseoir, proposé-je, après m'être assis correctement.
Ma poitrine va vraiment éclater...
Je ne devrais pas faire ça.
Je suis un idiot, je le sais, mais...
Il s'exécute, ça y est. Je ne peux plus faire marche arrière.
En faisant ça, j'ai l'impression de l'avoir accepté dans ma vie. Par cette simple phrase, j'ai l'impression de lui avoir montré que je n'avais plus aucune crainte.
Et s'il prend ça pour une invitation à me faire du mal ? À me posséder ?
Oh, bon sang.
De ce sourire toujours aussi mélancolique, il se pose délicatement à mes côtés, et plonge avec timidité ses prunelles sombres dans les miennes.
Il semble si doux...
— C–comment êtes-vous décédé ? posé-je, d'un murmure.
Je pense qu'en temps normal, j'aurais détourné le regard depuis bien longtemps, tant cette situation me gêne, seulement ce soir, je n'y arrive pas. Je ne peux pas quitter son visage des yeux. Il est bien trop fascinant, trop impressionnant.
La personne qui se trouve devant moi, ne fait plus partie de ce monde...
L'homme à mes côtés, est mort...
Je parle, en ce moment même, avec quelqu'un que je ne devrais même pas voir. Je ne devrais même pas avoir la connaissance de son existence.
— J'étais inspecteur de police, lorsque j'étais en vie, se confie-t-il alors. Un jour, alors que je dormais paisiblement après une longue journée de travail, je me suis réveillé avec cette impression que quelqu'un me touchait. Je me suis rendu compte qu'il y avait bien une personne à mes côtés, et que celle-ci m'avait attachée les bras et les jambes. Il s'agissait d'un meurtrier que j'avais su démasquer, mais pas attraper. Je vous épargne les détails inutiles, je pense que vous comprenez très bien, même sans la suite de l'histoire.
Je ne sais pas quoi dire... Je ne sais pas quels sont les mots qui pourraient être les plus justes.
Y en a-t-il seulement ? Que puis-je dire, après cet aveu poignant ?
Moi qui étais déjà en état de choc, après cette apparition surréaliste, voilà maintenant que tout s'enchaîne.
C'est donc pour ça que son regard est si triste ? Ce pauvre homme est coincé ici depuis des années, sans pouvoir avoir le repos qu'il mérite. Il est enfermé ici et ne peut rien faire à part se remémorer sans cesse ce qu'il a vécu et subi, juste avant que sa vie ne s'achève.
Comment peut-on vouloir espérer ça pour quelqu'un ? Pourquoi est-il coincé ici ? Quel est cet endroit, bon sang ?
— Je suis vraiment désolé pour vous, placé-je alors, sincère.
— Ne vous inquiétez pas, cela remonte à bien longtemps.
— Vous avez dû vous ennuyer, ici, seul, durant toutes ces années.
— Effectivement, le temps me paraissait extrêmement long, mais que pouvais-je y faire ?
— Est-ce que vous avez été heureux lorsque vous avez vu que j'allais emménager ?
— Peut-on se tutoyer ? propose-t-il, d'un sourire en coin extrêmement adorable.
— On peut, oui, bien sûr ! Peut-être qu'on peut aussi se présenter, avant de continuer cette conversation, ris-je, tout en me grattant la nuque.
— Tu as raison, oui. Je commence dans ce cas. Je m'appelle Son Hyunwoo et techniquement, je suis bloqué à l'âge de vingt-neuf ans.
Il me tend sa main, d'un sourire un peu plus enjoué. Ses petits yeux plissés sont vraiment adorables.
Mais... Attendez... Il me tend sa main ?
— Tu es en train de me dire, que je peux t–toucher ta main ?
— Si je le veux, alors oui, tu peux.
Son regard tendre ne peut plus me faire peur, c'est impossible... Non, je suis simplement nerveux et stressé par toute cette nouveauté, tout cet inconnu.
— Je vois. Dans ce cas, enchanté Hyunwoo, moi, je m'appelle Lee Hoseok. Je ne suis malheureusement pas bloqué à l'âge de vingt-huit ans et je suis coach sportif.
Son petit rire lorsque j'avance la main vers lui me conforte dans l'idée que je n'aie absolument rien à craindre. C'est donc avec un peu d'appréhension que je glisse mes doigts à l'intérieur de sa main.
C'est si froid !
Une peau douce et glacée à la fois.
Pourrais-je la réchauffer, si je la tenais plus longtemps ?
— Enchanté Hoseok. Je suis heureux de faire ta connaissance.
Il a l'air sincère.
J'aime à penser qu'il l'est, en tout cas.
— Est-ce que je ne suis pas censé t–te traverser, lorsque je veux te toucher ?
Je suis dévoré par la curiosité. Maintenant que cet homme ne m'apparaît plus comme une menace, je veux tout savoir de lui.
Beaucoup de monde rêverait de découvrir ce qui se passe lorsqu'on meurt. Je pense d'ailleurs que si d'autres personnes avaient vent de ce qu'il se trame dans cet appartement, ce pauvre Hyunwoo serait traité comme un cobaye pour la science, voire même un phénomène de foire.
Et puis, c'est mon appartement, désormais. Je ne tiens pas à être envahi de fauteurs de troubles, surtout si c'est pour embêter cet homme qui semble totalement inoffensif.
— C'est moi qui décide quand je me montre face à toi et quand tu peux me toucher, mais me rendre disons, plus solide, me demande beaucoup d'énergie, alors ce n'est pas illimité.
— Comment tu l'as appris ?
— Les premiers jours, j'ai essayé plusieurs fois d'ouvrir la porte de l'appartement, pour tenter de le quitter, mais je n'ai pas réussi. J'ai évité d'effrayer inutilement mes parents, mais j'ai compris que je pouvais attraper des choses et interagir avec mon environnement, tant qu'ils étaient à l'intérieur de l'appartement. Je l'ai fait plusieurs fois et de manière très rapprochée, et au bout d'un moment, je n'ai plus été capable de quoi que ce soit. J'ai réessayé à plusieurs reprises, mais rien n'y faisait. Au bout de quelques heures, j'ai pu recommencer comme si de rien n'était. Je pense donc que ce pouvoir est limité.
— Je vois...
Peu importe le nombre d'informations que j'arrive à lui soutirer, à chaque fois, il glisse une parole qui me laisse croire qu'il est véritablement bienveillant. Tout ça me rend également perplexe et fasciné, mais je pense que c'est tout à fait normal. Et je pense aussi qu'il va me falloir sacrément longtemps avant de ne plus être si nerveux.
— Veux-tu savoir, alors ? Si j'étais heureux ou non ?
— Oui, j'avais presque oublié ! Dis-moi, vas-y, je veux savoir.
— Je ne sais pas si on peut dire que j'étais heureux, mais curieux, ça, oui. Énormément, même. J'allais enfin pouvoir avoir de la présence. Ça me rendait assez enjoué, je l'admets, mais j'étais aussi très nerveux. Je me demandais si la personne qui allait venir ici allait être quelqu'un de bien, et puis surtout, si j'allais pouvoir me montrer à elle. Je t'ai vu, lorsque tu es venu visiter l'appartement.
Mon Dieu... Il était vraiment là, à chaque instant. Depuis mon emménagement ici, tous mes faits et gestes ont été épiés, par un être surnaturel.
Ça me file des frissons rien que d'y penser.
— Je m'en rappelle bien. Tu n'avais pas l'air menaçant et tu étais très poli. Tu as réussi à me rassurer en l'espace de quelques minutes seulement. Je ne savais pas du tout si tu allais vraiment emménager, alors j'ai attendu.
— Tu espérais que ce soit moi ?
— Oui. Tu me semblais agréable à vivre.
— Tu n'as pas montré que tu existais avant un petit moment...
— Je me demandais si c'était une bonne idée, avant de me décider.
Le ton de sa voix ne change jamais. Il reste toujours très calme et j'imagine que c'est avant tout pour tenter de me rassurer un maximum. Je suis certain qu'il prendrait le temps de répondre à toutes mes questions, même s'il y en avait des dizaines.
C'est le meilleur moyen pour mettre quelqu'un à l'aise et il semble le savoir. L'honnêteté, la sincérité, la délicatesse et le respect ont toujours été les meilleures défenses.
— Tu t'es décidé à quel moment ?
— Ta routine me plaisait. Tu avais l'air doux et j'avais envie de te connaître un peu mieux. Tu n'avais pas l'air de paniquer énormément lorsque j'essayais de me montrer et ça m'a un peu rassuré pour la suite.
— Je ne le montrais peut-être pas, mais j'étais terrifié.
— Je n'aurais pas su faire autrement, confie-t-il, penaud. Tu aurais eu peur quoi que je fasse.
— Oui, tu as raison, mais je pense que tu as bien fait. Enfin... J'ai quand même passé de très mauvaises nuits à cause de tous ces phénomènes que tu provoquais. Je ne sais pas ce que tu aurais pu faire, en vérité. Tout ce que je sais, c'est que ce soir, même si tu m'as terrifié, tu as aussi réussi à me mettre en confiance.
— Oh, vraiment ?
Son petit air étonné est amusant à voir. Amusant et touchant.
— Oui, le rassuré-je. Je suis encore très perturbé et j'ai vraiment du mal à me dire que tout ça est bien réel, mais à présent, je suis comme toi... Très, très curieux.
— Je suis heureux de ce que j'entends, tu me rassures beaucoup.
— Oui, j'imagine que si je ne t'avais pas accepté, tu aurais continué à t'ennuyer dans ton coin. Ça aurait été très triste pour toi.
— Tu veux dire, que tu m'acceptes réellement ? pose-t-il, d'un regard étonné et empli d'espoir.
— Oh, eh bien, soufflé-je du nez, tout en me grattant la nuque. Même si au fond, j'ai toujours eu cette petite croyance concernant les fantômes et ce genre de choses, je n'aurais jamais pensé vivre quelque chose d'aussi... Irréel. J'ai encore beaucoup de mal, je ne te le cache pas, mais tu as vraiment l'air d'être une personne bienveillante, alors, je n'ai rien contre le fait d'essayer de partager cet endroit avec toi.
Je ne sais pas s'il existe d'autres personnes aussi irresponsables que moi, mais tant pis, je veux tenter le risque. Même si je suis encore très méfiant et nerveux, je ne veux pas m'imaginer ce pauvre petit être seul dans son coin, se cachant de moi. S'il doit passer l'éternité ici, alors autant qu'il soit à l'aise, et surtout, je ne veux pas avoir inutilement peur de lui, simplement parce qu'il fait partie de l'inconnu. Je ne veux pas fuir et risquer que quelqu'un de malveillant se retrouve ici, à ma place.
Regardez-moi ce regard ému et heureux... Non, je ne peux définitivement pas agir comme un lâche et surtout pas envisager le faire souffrir. Il paraît bien trop innocent pour ça.
— Je vais faire en sorte qu'on puisse cohabiter ensemble en harmonie, alors ne t'inquiète pas, tu ne risques rien avec moi, souris-je.
— Merci infiniment, Hoseok. Je te promets que tu ne risques également rien avec moi.
— Soyons de bons colocataires, conclus-je, en lui tendant à nouveau la main.
Il hoche vigoureusement la tête et glisse à son tour les doigts dans ma main.
— Ta peau est glacée, soufflé-je.
— Je suis désolé.
Il coupe alors tout contact, ce qui m'attriste quelque peu.
— Pourquoi tu t'excuses ? Ne sois pas bête. En plus, tu as la peau très douce, pouffé-je, pour le détendre.
Un rire timide s'échappe de sa gorge, puis, sans crier gare, il se redresse, me fixe, et penche la tête, l'air perdu.
— Il se fait tard, je n'aurais peut-être pas dû venir en soirée. C'est l'heure à laquelle tu vas dormir, d'habitude.
Il est très attentionné, ce qui est une bonne qualité, seulement, ça n'a parfois pas que des points positifs.
Les genoux à nouveau collés à mon torse, face à lui, je le fixe quelques secondes avant de lui répondre.
— Tu m'as regardé vivre durant toutes ces semaines... Est-ce que tu me suivais partout ?
Je suis très mal à l'aise d'imaginer une réponse positive à cette question. Envisager l'idée de se faire suivre comme ça, de montrer sans le vouloir, chaque faits et gestes à un inconnu, qu'ils soient intimes ou non.
Qu'il ne soit pas humain, ne change rien.
— Je ne te suivais pas vraiment. Disons que je restais principalement dans le séjour, mais je n'étais pas là en permanence. Il est possible pour moi de disparaître et de plus ou moins dormir, m'informe-t-il, d'une voix douce. On peut dire que je me mets en pause. Le temps s'écoule, mais je suis enfermé dans une bulle qui me permet de faire passer le temps, sans que mes pensées soient actives à cent pourcent. Je te promets que je ne t'ai jamais observé dans ta chambre, ou dans la salle de bain, ou quoi que ce soit d'autre. Je ne t'observais pas dans le coeur de ton intimité, sois rassuré.
En réponse, je souffle du nez, réellement soulagé par ses mots. Il n'aurait pu mieux me rassurer.
— C'est vraiment fascinant, marmonné-je ensuite, perdu dans mes pensées. Et bien trop perturbant... Tu parais si réel, là, devant moi. Je n'arrive pas à conditionner mon cerveau. Pour moi, je parle juste à quelqu'un qui est entré chez moi sans me demander la permission.
Je ris à mes propres paroles, avant tout parce que le ridicule de la situation me fait rire, mais aussi pour le rassurer un peu. Je ne veux pas que la moindre parole qui sorte de ma bouche soit mal prise. Je ne veux pas lui faire du mal ou lui faire comprendre qu'il n'est pas le bienvenu ici. Et puis, quand on y pense, je suis celui qui pourrait ne pas être le bienvenu. Il est ici depuis bien plus longtemps que moi.
Son petit soufflement de nez me rassure à mon tour.
— Essaye de poser la main sur mon torse.
— P–pardon ?
— Vas-y, essaye.
Que me fait-il faire, bon sang ?
J'inspire une énorme goulée d'air, placé en tailleur face à lui, puis m'exécute. Lorsque ma paume arrive contre lui, celle-ci continue d'avancer, jusqu'à le traverser entièrement. Le coeur battant à vive allure, je me redresse en vitesse et tente de calmer ma respiration.
Mon bras est passé à travers lui...
Son corps est visible, là, devant moi, pourtant, c'est comme s'il n'existait pas. Il est transparent, sans l'être.
Son Hyunwoo est un fantôme.
L'homme plus grand que moi, assis nonchalamment dans mon canapé, là, ce soir, face à moi, est décédé.
L'être qui partage en ce moment même mon appartement, appartient au monde des morts.
Putain...
Je suis en plein rêve, ou en plein cauchemar ?
Comment est-ce possible ?
— Hoseok ? Tout va bien ?
Sa voix tendre et masculine me ramène sur terre dans la seconde. Mes prunelles larmoyantes s'ancrent instinctivement dans les siennes, peinées et inquiètes, et c'est à ce moment précis que mon coeur s'allège de tout le poids qui l'étouffait les secondes précédentes.
— Oui, pardon, pouffé-je. Je crois que tu m'as offert le déclic dont j'avais besoin.
Son sourire continue d'être teinté de tristesse, ce que je n'aime particulièrement pas.
J'aimerais le rassurer un peu plus. Lui dire que même si j'angoisse à l'idée d'aller dormir, même si je suis anxieux à l'idée de penser vivre avec un être issu du paranormal, je ne tiens pas à lui faire ressentir qu'il n'est qu'un vulgaire esprit errant qui n'a pas sa place ici.
J'aimerais vraiment, mais je n'y arrive pas. Ma gorge est nouée et mon esprit, perdu dans les tréfonds de mes pensées. Mon regard est férocement accroché à lui. Comme si, là, ce soir, en l'observant sous toutes les coutures, j'allais pouvoir me rendre à l'évidence que tout ça existe bel et bien. Ses yeux bridés, ses cheveux noir charbon, ses lèvres charnues, ses larges épaules, son corps imposant, ses grandes mains masculines... Tout ça n'appartient plus à mon monde, mais au sien. Son monde, un univers lointain qui ne devrait pas côtoyer le mien.
Il préserve son énergie, je le vois. Il n'est pas aussi visible que lorsqu'il m'a serré la main. Sa légère transparence se remarque, une fois qu'on y fait attention.
Je sais donc que si je réitère mon geste, je traverserai à nouveau son corps.
— Est-ce que tu peux... Te solidifier ? m'enquis-je, les yeux fixes sur son torse.
Ma vision périphérique intercepte son hochement de tête et puis, je l'observe s'exécuter.
Ça y est, je peux le toucher. Son sweat bleu marine est un peu plus visible. C'est difficile à décrire, mais je sais qu'à présent, je peux avoir un contact physique avec lui.
Pour prouver mes dires et être certain de ce que j'avance, je réitère mon geste. J'avance la main, jusqu'à ce que ma paume touche son haut. La douceur du tissu, le corps fort et dur en dessous, la froideur qui émane de lui, je sens et ressens tout ça.
J'avais raison.
— Je vais te laisser pour ce soir.
Pourquoi agit-il si brusquement ? Est-ce que je l'ai blessé, sans le vouloir ?
Il se lève, sans attendre de réponse, puis me sourit timidement.
— Tu peux te doucher et t'endormir sereinement, je ne serai caché nulle part. Ce soir, je disparais dans ma petite bulle.
J'aimerais lui dire qu'il n'a pas à me certifier ce genre de choses, parce que je lui fais confiance, mais je n'y arrive pas.
Après tout, je le connais depuis à peine une heure.
Mais je suis content qu'il essaye de me rassurer... J'ai essayé de le faire, moi aussi, durant cette soirée, alors je suis heureux de voir que je ne suis pas le seul à faire des efforts. C'en est même frustrant, parce qu'il est bien plus efficace que moi. Je vais devoir redoubler d'efforts.
— Merci infiniment de m'avoir fait confiance et d'avoir pris le temps de me connaître, sans me repousser.
Il est plus grand que moi et paraît plus fort. Il a été inspecteur de police, après tout, alors bien sûr qu'il est plus fort. Il pourrait être malveillant, pourrait me vouloir du mal, voire même ma mort, pourtant, comment voulez-vous que je sois réellement effrayé, quand il me parle avec cette douceur et avec ce sourire en coin presque intimidé ?
Je ne suis pas assez fort pour résister à ça. C'est impossible pour moi.
— Passe une bonne nuit, Hoseok.
— Repose-toi bien, Hyunwoo.
Ma phrase se perd dans le silence et la solitude, lorsqu'il disparaît avant même la fin de celle-ci.
La retombée de toute cette adrénaline est assez brute. J'ai l'impression d'avoir une tonne posée sur mes épaules, ainsi que des feux d'artifice dans le crâne. Mon estomac n'a jamais été aussi noué, je ne saurais pas manger ou boire quoi que ce soit, même si je le voulais.
Il a raison, je vais glisser sous la douche. La chaleur de l'eau me fera le plus grand bien.
C'est insensé...
Et dire que personne ne voulait me croire...
Je pense qu'à leur place, j'aurais agi de la même façon, mais à présent, que puis-je dire ou penser ?
Je ne peux en parler à personne. Non, tout le monde me prendrait officiellement pour un fou.
De toute manière, pour que d'autres me croient, il faudrait déjà que j'arrive à y croire réellement moi-même.
Mon bras a traversé celui d'une personne que je voyais comme réelle...
Il est réel, au fond... Du moins, à sa façon. Mais ce n'est pas suffisant.
Mon Dieu, dans quoi me suis-je encore perdu ?
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