Parrainage

              

— Bonjour ! Excusez-moi de vous déranger. Vous êtes bien Chae Hyungwon ?

— Par pitié, j'ai l'impression d'avoir cinquante balais.

Assis sur l'un des bancs extérieurs de l'université, jambes croisées, Hyungwon, étudiant en dernière année de médecine, soupire bruyamment sans même me regarder.

Moi qui n'étais pas stressé par cette nouvelle rencontre, voilà qu'il arriverait presque à me faire changer d'avis. Il ne semble pas très sympathique, ce qui ne me rassure pas le moins du monde. Je me retrouve donc assis à ses côtés, le corps pratiquement tremblant de nervosité.

— C'est pour quoi ? finit-il par demander, les yeux toujours vissés sur son téléphone.

— Vous avez accepté d'être le parrain de l'un des élèves de première, a–alors, me voilà. Je me présente, je m'appelle Lee Jooheon.

— Accepté, si on veut.... Du coup, tu vas me suivre toute la journée à la trace comme un petit toutou ? demande-t-il, plaçant son regard blasé dans le mien.

— N–non, bien sûr que non ! Mes cours vont me prendre beaucoup de temps, mais si un jour j'ai besoin d'aide pour quelques travaux, pour réviser, ou si j'ai des questions auxquelles je ne trouve pas de réponses, l'idéal serait que vous puissiez être disponible dans ces moments-là... Enfin, quelque chose comme ça, je suppose, soufflé-je du nez, tout en me grattant la nuque.

— Ton téléphone, ordonne-t-il, la main levée. Appelle-moi quand tu en as besoin.

Il se lève avant même sa phrase terminée, me balance indélicatement mon téléphone, et attend sans doute une dernière parole de ma part, au cas où j'aurais d'autres questions.

— Merci beaucoup, H–Hyungwon hyung.

— Et tutoie-moi, par pitié.

— D'accord, souris-je, timide. Merci beaucoup, hyung. Tu me sauves la vie !

— Ne parle pas trop vite.

Il part sur ces mots, vers l'un des bâtiments de l'université.

Bon, eh bien, ça aurait pu être plus catastrophique...

On m'a répété plusieurs fois que j'étais tombé sur le pire et que le mieux serait de ne jamais lui demander d'aide, mais je sais aussi qu'il est l'un des plus doués. Si doué, qu'il a sauté plusieurs classes. Alors je compte bien mettre à profit ses compétences pour mes besoins personnels.

De toute façon, les gens récalcitrants aux contacts humains ne me font pas peur. Je sais toujours comment les apprivoiser. Il va m'apprécier, j'en suis certain. Il va simplement me falloir plus de temps. Je ne suis pas quelqu'un de très patient, mais si c'est pour réussir, alors, ça ne me fait pas peur.

              

                 

***

                     

                     

Mon parrain attitré soupire déjà, l'air agacé, alors que j'arrive à peine à ses côtés.

Je sens qu'entretenir cette relation va être bien plus ardu que mes cours, mais je vais y arriver. Oh que oui, je vais y arriver !

Les fesses posées sur l'une des chaises de la bibliothèque de l'université, après les heures de cours, cet homme semble porter le monde sur ses épaules.

Je savais pertinemment qu'il n'allait pas apprécier devoir m'aider, mais il a accepté le parrainage, alors il n'a pas vraiment le choix. Je ne veux pas risquer d'être pénalisé parce que mon tuteur semble se forcer.

— Tu as tenu un mois, gronde-t-il.

— Je suis désolé, placé-je, d'un sourire piteux, m'asseyant face à lui. J'ai vraiment essayé de comprendre ce sujet seul, mais je n'y suis pas parvenu. J'ai demandé aux autres et ils n'ont pas réussi à me l'expliquer correctement. Je t'ai appelé en dernier recours.

— Montre-moi tes cours au sujet concerné.

Une heure plus tard, ayant compris très vite grâce à ses explications claires et précises, nous avons pu quitter la bibliothèque. Nous sommes à présent dehors et je ne sais pas du tout quoi faire. J'aimerais l'inviter au restaurant pour le remercier de sa précieuse aide et surtout parce qu'il est tard, mais je n'ose pas. Moi, Lee Jooheon, n'ose pas proposer quelque chose à quelqu'un. C'est le monde à l'envers.

— Je te raccompagne.

Oh ? Je n'aurais jamais cru ça de sa part ! Je pense que je vais avoir moins de mal que prévu. Je suis content !

— C'est ici, souris-je, me tournant vers lui.

Muet – comme durant tout le trajet – et immobile, il se contente de me dévisager lorsque je m'arrête devant la bonne maison. Son regard est sombre et empli de quelque chose que je n'arrive pas à déchiffrer. Je me sens quelque peu inconfortable, je dois l'avouer. Jamais encore on ne m'avait fixé avec une telle intensité. Une telle aura.

— Qu'y a-t-il ?

— J'ai faim.

— Oh, pouffé-je, étonné et toujours un peu gêné. T–tu veux que j'aille te chercher quelque chose à manger ?

Il continue de m'observer, sans rien dire. On dirait qu'il est perdu dans ses pensées. À quoi peut-il bien réfléchir si intensément ? Je suis bouffé par la curiosité, mais je sais pertinemment que je n'aurai jamais réponse à mes questions. Je ne suis pas habitué aux personnes calmes et introverties. Je n'arrive pas à lire en eux comme je le voudrais et ça me frustre à un point inimaginable.

— J'y vais.

Et il s'éloigne à cette phrase... Cet homme est indéchiffrable. Il représente à casse-tête à lui tout seul, et bon sang, que c'est énervant !

— Bonne soirée, hyung. Et merci encore ! m'écris-je, alors qu'il est déjà dix mètres plus loin.

Il me répond d'un signe de main et je le regarde s'éloigner encore un peu, avant de rentrer chez moi. Cet homme est décidément frustrant et bien trop étrange...

               

              

***

                  

                     

J'ai besoin de lui avant ce midi... J'ai des questions pour l'examen que j'ai en journée, mais je n'ose pas le déranger. Il est avec son ami, il semble occupé. Je sais qu'il va être énervé si je viens le voir pour parler étude et surtout, à l'improviste... Je poserais bien la question à quelqu'un d'autre, mais je ne sais pas à qui.

Il est mon parrain et puis surtout, j'ai eu la chance d'avoir l'étudiant le plus talentueux de dernière année, alors je ne dois pas lui faire honte. Il faut que je continue de lui demander des conseils, quitte à m'attirer ses foudres. Je ne veux pas que les gens se moquent de lui parce qu'il a un filleul qui enchaîne les échecs. Je dois lui faire honneur.

Tout le monde me plaint, me dit que je n'ai vraiment pas eu de chance, mais moi, je pense que c'est tout le contraire. Oui, il est désagréable, et parfois agressif dans ses paroles, mais il reste intelligent et prend du temps pour moi, même si ça le fait chier. Alors non, je ne suis pas malchanceux.

Oh ! Je ne l'avais encore jamais vu sourire ! Son sourire est très beau.

Il est très beau.

Grand, élégant... Effrayant.

Il a ce charisme qui impressionne. Celui qui fait un peu peur et qui t'oblige à t'éloigner lorsqu'il est dans les parages. Il est grand et fin, mais ne semble pas faible, au contraire. Oui, il peut être un peu effrayant au premier abord, mais ça ne me dérange pas. Je sais pertinemment qu'il n'est pas méchant. J'aime rencontrer de nouvelles personnes et je suis heureux d'être tombé sur lui. J'ai envie de le connaître un peu plus, envie de le voir me sourire. Je sais qu'il est en capable, alors je vais redoubler d'efforts, pour qu'il se sente réellement à l'aise avec moi. Je veux devenir son ami. Je veux paraître aussi proche de lui que l'est sans doute l'homme qui est en ce moment même à ses côtés.

Un jeune homme qui doit faire ma taille, avec des cheveux blonds délavés hirsutes, et un sourire adorable et chaleureux.

Peut-être que si je vais lui parler maintenant, avec son ami souriant à ses côtés, il sera plus tempéré dans ses propos et ses gestes...

Bon allez ! Il faut que je me lance, il me reste trente minutes avant que les cours ne reprennent ! Tu peux le faire, Joo !

— Bonjour ! Excusez-moi de vous déranger...

— Oh, bonjour petit cœur, salue, euphorique, l'ami de Hyungwon. C'est toi, Jooheon ?

— Oui, souris-je, heureux de cette nouvelle rencontre.

— Je savais que Wonnie avait un filleul attitré, mais je ne pensais pas qu'il était si adorable. Moi, c'est Minhyuk, enchanté !

— Enchanté également !

— Qu'est-ce que tu veux, adorable petit filleul ? souffle alors ledit Wonnie.

— J'ai un examen dans deux heures. C'est mon tout premier, j'ai beaucoup étudié, mais il y a quelques points que j'aimerais que tu développes avec moi, si tu as un peu de temps...

— Tu aurais dû venir avant. Je vais voir ce que je peux faire, dit-il, partant à grande vitesse vers un banc plus à l'écart.

— Il fait le bad boy, mais en vrai, il n'est pas méchant.

Le sourire de cet homme est vraiment éblouissant.

— Oui, ne t'inquiète pas, je l'ai vite compris, soufflé-je du nez.

— Tu es adorable. J'espère que tu vas pouvoir m'aider à le rendre plus sociable et moins antipathique. Ça fait des années que j'essaye, mais la tâche est ardue.

— Je vais essayer, hyung.

Je suis heureux que Hyungwon ait cette personne à ses côtés. Une personne douce et bienveillante. Et je l'ai vu lui sourire, tout à l'heure. Ça veut donc dire que mon parrain ne fuit pas totalement les gens. Ce Minhyuk semble être sociable et jovial, ce qui m'étonne beaucoup. Mais je suis heureux, ça veut dire que j'ai encore plus de chances de pouvoir conquérir le coeur de ce grand grincheux.

— Allez, file, il ne reste pas beaucoup de temps.

— Oh, oui ! Merci, hyung ! m'écris-je, trottinant déjà vers mon parrain.

— J'ai cru que tu t'étais perdu, râle ce dernier, lorsque je m'assieds.

— Pardon, pardon ! Merci encore de prendre du temps pour moi, hyung. Ce n'était pas prévu, je suis désolé.

— Ne tourne pas autour du pot. Plus vite je t'aide, plus vite tu es parti.

Qu'a pu lui dire Minhyuk tout à l'heure, pour le faire sourire de cette façon ?J'aurais dû lui demander. Ça m'aurait peut-être aidé à le rendre moins grognon... Tant pis, je vais devoir trouver tout seul.

                  

                     

***

                    

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Hyung !?

J'ai réussi tous les examens de cette semaine !!!

C'était les premiers depuis ma rentrée ici !

J'étais si stressé ㅠㅠ

Merci infiniment d'avoir pris de ton temps pour m'aider hyung !

C'est en partie grâce à toi si j'ai pu tout réussir !

Excuse-moi encore de t'avoir embêté si tôt dans l'année :((

               

J'aurais effectivement espéré être tranquille plus longtemps

Mais au moins je n'ai pas fait ça pour rien

T'avais intérêt à réussir

Sinon c'était même plus la peine de venir me voir

                   

Je considère donc que tu es fier de moi

Je suis content !!!

Est-ce que tu accepterais de venir prendre un café avec moi ?

                        

Je ne suis pas un homme facile

                 

C'est pour te remercier de m'aider aussi souvent

Même si tu n'en as pas envie

                 

Samedi 11h devant l'université

                  

Parfait !

Samedi 11h

Je serai là !

                

T'as pas intérêt à être en retard

                  

Je serai à l'avance comme d'habitude

Pas d'inquiétude hehe

                   

Je ne m'inquiète pas

                     

Bonne journée, hyung

                  

📞

                  

                  

***

                         

                             

— L'Antique ? soufflé-je, émerveillé.

— Je viens souvent ici. L'ambiance est calme et apaisante, j'aime cet endroit.

— Rien que la devanture offre un sentiment d'apaisement. J'adore ! Allons-y !

Ce café est vraiment très beau. Une décoration épurée, calme et rustique. Un endroit chaleureux, constitué en très grande partie de bois. Quelques tables, un grand bar, une petite musique légère en fond. Je comprends pourquoi Hyungwon aime cet endroit. Et je suis content de connaître enfin une chose qu'il apprécie. Ce n'est qu'un petit détail, mais ça compte beaucoup pour moi.

— Bonjour, Hyungwon, salue le vieux monsieur derrière le bar. Bonjour, jeune homme.

— Bonjour, dit-on, d'une même voix.

— Un café pour moi, chef.

— Pour moi aussi !

— J'apporte ça de suite.

— Merci ! m'écris-je, avant de m'asseoir face à mon parrain. Je comprends pourquoi tu aimes cet endroit. Il te correspond.

— Ah, vraiment ?

— Tu es silencieux, intelligent et quelque peu introverti. Cet endroit correspond à ta personnalité.

— Tout le contraire de toi, donc.

— Bruyant, bête et extraverti ? Oui, j'imagine qu'on peut dire ça, pouffé-je.

— Tu n'es pas bête, n'exagérons rien.

— Tu le penses vraiment ?

— Si je te trouvais stupide, je ne t'aurais jamais aidé.

Ses paroles sont toujours balancées avec une telle nonchalance, avec un tel calme... Il pourrait dire les plus belles, comme les plus méchantes phrases, tout serait toujours dit avec cet air blasé et quelque peu hautain. C'en est presque fascinant.

— C'est bon à savoir. Je suis content que tu me trouves de taille à être à tes côtés.

— Ne t'emballe pas trop non plus.

— J'aime aussi le calme, tu sais ? Je ne suis pas qu'une personne énergique et joviale.

— Heureusement pour moi.

— C'est amusant, confié-je ensuite, après avoir remercié le serveur pour les cafés. On dirait que tu fais tout pour m'éloigner de toi, et pourtant, dès que je t'appelle, tu arrives rapidement.

— Tu me compares à un chien là ?

— Non, je veux juste te remercier de faire autant d'effort pour moi.

— Bois, ton café va refroidir.

Il a l'air de ne vraiment rien apprécier. Pas même les compliments et les remerciements. Je ne le comprends pas du tout. Ça ne m'arrive jamais, d'habitude. Je m'entends facilement avec les gens et les comprends sans mal. Mais avec lui, c'est différent. Je n'avais jamais rencontré quelqu'un comme lui. Il semble tout simplement détester les humains. C'est si triste.

— Il est délicieux ! crié-je pratiquement, après avoir bu ma première gorgée.

— Le meilleur du pays.

— Du monde, je dirais !

— Toujours dans l'exagération.

— Toujours, souris-je. Hyung... Parle-moi de toi.

— Je t'aide pour tes études, Lee Jooheon. Mon rôle n'est pas de devenir ton ami. Tu es déjà bien trop envahissant en étant simplement mon filleul.

Boudeur, je continue de savourer cette boisson délicieuse, le regard perdu sur le paysage extérieur. Quelques longues secondes de silence plus tard et il cède, après un roulement d'yeux peu discret.

— Qu'est-ce que tu veux savoir ?

— Tout ! m'exalté-je.

— Il n'y a rien de spécial à dire. J'aime lire, écouter de la musique, étudier la médecine, regarder des films, boire du café, et supporter mon meilleur ami.

— Tu aimes le supporter ? ris-je. Ce n'est pas banal.

— Minhyuk est comme toi.

— Sociable et enjoué ?

— Envahissant.

— Mais il est de bonne compagnie, de confiance, et il arrive à te faire rire. Moi aussi je veux te faire rire, hyung.

— Pourquoi tiens-tu tant à devenir mon ami ? pose-t-il alors, l'air agacé, mais curieux.

— Parce que tu sembles si triste, osé-je, d'une petite voix. J'aimerais te faire aimer la vie. J'aimerais te voir sourire plus souvent. Je veux juste te voir heureux. Tu es quelqu'un de bien et je n'aime pas entendre partout que tu es tout le contraire. Je veux montrer aux autres et surtout te montrer à toi-même, que tu es quelqu'un qui mérite d'être choyé et aimé.

— Qui te dit que je ne suis pas heureux ?

Son regard est différent. Il semble... Plus doux. Ce n'est sans doute que mon imagination. Ou alors, peut-être que mes mots l'ont réellement touché. Je l'espère, en tout cas. J'espère aussi qu'il ressent à quel point je suis sincère.

— Je ne sais pas, je dirais, mon sixième sens ? J'espère me tromper, hyung, mais dans tous les cas, j'aimerais pouvoir te faire sourire, au moins une fois.

— Tu es vraiment bizarre.

— Pourquoi ? Parce que mon souhait le plus cher en ce moment, à part pouvoir sauver des vies, et rendre heureux mes parents, c'est de réussir à te faire sourire ? Je ne vois pas ce qui fait de moi quelqu'un de bizarre.

— Dépêche-toi de terminer ton café, marmonne-t-il.

Pour une fois, j'ai l'impression qu'il soupire sans vraiment être agacé. Je pense même que je l'amuse un peu. Je suis content ! J'ai bien fait de l'inviter pour autre chose que mes études. Et je suis heureux aussi d'avoir osé me confier à lui sans gêne. Je pense qu'on s'est un peu rapproché. Ce n'est pas encore la plus grande des amitiés, mais je suis déjà très satisfait. J'arrive à le trouver adorable, même lorsqu'il paraît agacé. Je suis certain de pouvoir lui faire dire oui à n'importe quoi. Sa personnalité m'amuse beaucoup, finalement.

— Tu as raison, comme ça, plus vite on a fini, plus vite ça nous laisse le temps de faire un peu de shopping !

— Même pas en rêve.

— Oh, s'il te plaît, hyung ! m'enquis-je, d'une moue tristounette.

Après ça, nous avons quitté ce beau petit café, et j'ai eu la joie immense de tirer mon nouvel ami dans tous les magasins de la ville, pendant deux longues heures. Je n'aurais jamais cru qu'il se laisse faire aussi facilement, mais je suis heureux de m'être trompé.

Il n'a pratiquement pas parlé et ne m'a donné aucun conseil concernant mes achats, mais il n'a pas râlé et ne s'est pas enfui, alors ça m'allait très bien. Sa compagnie est calme, mais très apaisante.

Cette journée était vraiment très amusante et riche en découverte.

                 

                  

***

                 

                     

— Hyungwon hyung, marmonné-je, la tête maintenue par la paume de ma main.

— Mmh ?

— Tu n'as pas de petite amie ?

— Petit test rapide. À ton avis, Lee Jooheon... Est-ce qu'on est ici, tous les deux dans cette bibliothèque à vingt heures trente, pour étudier, ou pour parler de choses totalement inutiles ?

— Ça fait deux heures qu'on travaille sans pause, hyung ! râlé-je, d'une moue boudeuse. C'est ma façon de faire une pause. S'il te plaît !

— Tu ne veux pas plutôt aller chercher des cafés ?

— J'y vais, mais après, tu me réponds ! m'enquis-je, tout en m'éloignant de la table.

Trottiner avec deux boissons chaudes en main n'est vraiment pas chose aisée, mais au moins, j'aurais plus vite ma réponse.

— Voilà les cafés !

— Merci. Maintenant, on s'y remet.

— Pardon ? Tu es un parrain trop dur, Hyungwon hyung ! Accorde-nous au moins quinze minutes de break !

— Dix.

— D'accord, d'accord, marmonné-je. Alors ?

— Alors quoi ?

— Ça fait plus de six mois qu'on se connaît maintenant et je ne sais toujours pas si tu es heureux en amour.

— Ce n'est pas avec ces questions stupides que tu vas réussir à me faire sourire.

— Ce n'est pas grave, je veux juste en apprendre plus sur toi. Une petite réponse suffit, pas besoin de partir dans les détails.

— Non, je n'ai pas de petite amie, et ça ne m'intéresse pas. Maintenant, travaille.

— Il reste huit minutes ! Et comment ça, ça ne t'intéresse pas ? Tout le monde est intéressé par l'amour !

— Je n'ai pas le temps. Je préfère devenir médecin.

— Tu es tellement à fond dans tes études et tellement intelligent, que tu as sauté des classes, hyung. Tu ne t'accordes vraiment aucune pause ! Ce n'est pas bon pour ta santé mentale, voilà pourquoi tu es si grognon.

— Tu sais ce qu'il te dit, le grognon ?

— Tu es bi, hyung ?

— Encore combien de minutes ?

— Sept.

— Je vais craquer.

— Tu n'as jamais été attiré par un autre homme ?

— Je n'ai jamais été attiré par qui que ce soit, je préfère me perdre dans les livres, c'est bon, maintenant ? On peut arrêter de parler de ces idioties ?

— C'est triste, hyung. C'est beaucoup trop triste. Si tu étais amoureux de quelqu'un, tu sourirais certainement plus.

— Arrête de chouiner comme si j'allais mourir demain. Ce n'est pas si grave. Et toi alors, tu as quelqu'un ?

— J'aime quand tu t'intéresses à moi, hyung !

— Oublie ce que j'ai dit.

— Je suis seul aussi, en ce moment. Comme toi, mes études me prennent énormément de temps.

— Tu auras tout le temps de batifoler une fois que tu auras ton diplôme, sois patient.

— Je ne veux pas attendre aussi longtemps ! grommelé-je, la tête baissée.

— Je suis certain que tu vas trouver quelqu'un. Essaye de sortir plus souvent, même si c'est pour étudier. Va dans un café, ou dans une bibliothèque publique. Je suis certain que ça t'aidera déjà beaucoup.

Quoi qu'il dise ou fasse pour me repousser, je sais qu'il ne me déteste pas. Je pense même qu'il m'apprécie. Du moins assez pour me qualifier d'ami. Enfin, je crois... Il est toujours aussi grincheux, même si cela fait des mois que nous nous voyons régulièrement. Cependant, je remarque aussi quelques changements. Il parle plus facilement, répond plus souvent, et fait des phrases plus longues. Ses conseils sont toujours aussi avisés et je suis vraiment très heureux quand il essaye d'en apprendre un peu plus sur moi, même sans l'avouer. Il est tellement adorable.

— Je vais essayer, merci hyung. Essaye de faire la même chose.

— On peut s'y remettre, maintenant ?

— Je suis fatigué, bredouillé-je. On ne peut pas s'arrêter pour aujourd'hui ?

— Tout ça pour ça ? Tu es insupportable, Lee Jooheon.

Je me contente de baisser la tête, boudeur, et range mes livres de cours dans mon sac à dos. Il finit par faire de même et nous quittons ainsi le bâtiment.

Je ne sais pas pourquoi il tient toujours à me raccompagner chez moi, mais j'aime beaucoup cette attention, alors je le laisse faire. Je ne sais même pas s'il habite tout près, ou s'il est obligé de faire un détour. Je ne veux pas lui poser la question, parce que je sais qu'il serait capable de ne plus le faire, si jamais je lui en touchais un mot. Je préfère garder cette attention comme elle est. J'aime l'idée de le savoir attentionné avec moi.

Qu'est-ce que– C'est quoi tous ces bruits ? On dirait une bagarre. Je n'aime pas ça. Ça semble être proche. Peut-être de cette ruelle, là-bas, un peu plus loin à notre droite ?

Timidement, je me rapproche un peu de Hyungwon, le coeur tapant violemment ma poitrine. On dirait bien qu'il les a entendus aussi, ces bruits bizarres, parce qu'il fronce les sourcils. Il a l'air plus embêté qu'effrayé, mais ça ne m'étonne pas. Il n'est pas du genre à avoir peur facilement. Alors que moi je réagis toujours trop et pour un rien.

Lorsqu'il s'arrête brusquement, en me tenant par l'avant-bras, je panique un peu plus. Que se passe-t-il ? Pourquoi il réagit comme ça ? J'ai peur. Je n'aime pas ça. Pas ça du tout.

Il se rapproche de moi, se penche un peu, son nez touchant pratiquement le mien, et plonge ses iris sombres dans les miens, terrorisés.

— Écoute-moi bien, murmure-t-il, d'une voix grave et autoritaire. On va courir, le plus silencieusement possible. Tu vas foncer, sans regarder à droite, d'accord ? Tu regardes devant toi et tu te concentres pour ne faire aucun bruit. Est-ce que c'est clair ?

— Hyung, j'ai peur. Que se passe-t-il ?

Je tremble de la tête aux pieds. Je n'aime pas du tout ce qui se passe. Je ne comprends rien à la situation et c'est ce qui m'effraye le plus. Sur quel danger peut-on tomber ? Mes jambes vont céder si on n'avance pas tout de suite.

— Agissons d'abord, on parlera ensuite. Tu te sens prêt ?

— Allons-y, vite, conclus-je.

Sans plus attendre, il maintient fermement mon poignet et me tire en avant. Je le suis, la respiration pratiquement coupée, et exécute ses ordres. J'avance avec rapidité et sans bruit. Nous passons devant la petite ruelle, d'où proviennent les bruits de bagarre. Nous entendons aussi des cris de souffrance, des hurlements. Et puis, plus rien... Ma poitrine va éclater sous la puissance des battements de mon coeur. Mes jambes sont réellement à deux doigts de lâcher. Je suis terrifié. Que s'est-il passé, dans cette rue ?

C'était la voix d'une femme... C'était une femme, là, dans cet endroit petit et sombre. On aurait dû lui venir en aide, on aurait dû faire quelque chose. On n'aurait pas dû fuir. Qu'est-ce qu'on a fait ? Mon Dieu, mais comment avons-nous pu ?

Nous sommes devant chez moi. Nous avons couru jusqu'ici, certainement pour être en sécurité plus rapidement. Nous sommes en sûreté, alors que cette femme...

— Jooheon. Jooheon, répond-moi.

Mon parrain me secoue, il me tient par les épaules et tente de me faire parler, mais je n'y arrive pas. Je n'ai rien vu et pourtant, c'est comme si j'avais assisté à toute la scène. Je crois même que c'est encore pire. Je m'imagine tout un tas de scénarios. Tous plus horribles et sanglants les uns que les autres. Mon Dieu... Je suis frigorifié. Mes tremblements sont si violents.

— Une f–femme, s'est fait tuer, dans cette ruelle, baragouiné-je, en larmes.

— Jooheon, calme-toi.

— Elle est sûrement morte dans la souffrance. Ses cris. Ses cris étaient si forts... Et si douloureux à entendre. Elle est morte, alors qu'on aurait pu l'aider.

— Il fait froid et tu es en état de choc, il faut que tu rentres te mettre au chaud.

— Je vis avec mon colocataire, mais il n'est pas là. Je ne peux pas entrer. Je ne veux p–pas.

— Pourquoi ? Tu ne peux pas rester là, Joo.

— Je ne veux pas rester seul. Je ne saurais pas.

— Ouvre la porte, je viens avec toi.

Mes pleurs doublent de volume sans que je ne sache pourquoi et d'un même mouvement, je m'exécute. Je baragouine toujours les mêmes choses, alors qu'il enlève mon manteau et me pousse à m'asseoir dans le canapé.

— Morte... Elle est morte et on n'a rien osé faire.

— Jooheon, maintenant, ça suffit ! élève-t-il la voix, sans pour autant paraître énervé.

Je gémis toujours un peu à cause de ma crise de larmes, mais ma respiration se calme légèrement. Je vais simplement l'écouter. Il va sans doute me rassurer. Les mains bien agrippées à mes épaules, il soupire bruyamment, avant de parler. Les yeux clos, je l'écoute alors sagement.

— On n'aurait pas su l'aider.

— Quoi ? Pourquoi ?

— Parce que si on l'avait fait, tu aurais fini blessé, voire... Dans le même état que cette femme.

— Mais, pourquoi ? Ils étaient trop nombreux ? Je ne comprends rien, hyung.

Mes larmes recommencent de plus belle, tandis qu'il essaye encore de me calmer. 

— Tu ne veux pas prendre une douche ? Ou au moins te changer ? tente-t-il.

Muet, je me contente de hausser les épaules, la tête baissée.

— Je reste avec toi cette nuit, alors il serait peut-être judicieux de traiter correctement ton invité.

Je sais qu'il tente de me changer les idées, de me faire penser à autre chose, mais je n'y arrive pas. Je n'arrive pas à m'enlever les cris de cette femme de la tête. Mes oreilles bourdonnent encore, tant ses hurlements étaient perçants. Tout en hochant la tête, je me lève, et rejoins ma chambre. Je m'y change rapidement et prends quelques vêtements pour Hyungwon. Lorsque je reviens, je ne le trouve plus dans le salon, mais dans la cuisine. Il est en train de me préparer un chocolat chaud.

Depuis quand est-il si attentionné ? Qui est-il ? Et qu'a-t-il fait de mon véritable hyung ?

— Tu peux te changer dans la salle de bain, au fond du couloir à droite, proposé-je à mon invité.

Il se tourne vers moi, m'observe quelques secondes, puis s'exécute.

— Bois-le temps qu'il est chaud, m'ordonne-t-il, avant de rejoindre le couloir.

Lorsqu'il revient, je n'ai pas encore touché à la boisson, alors, pour ne pas m'attirer ses foudres, je glisse rapidement la tasse entre mes mains, et avale une première gorgée. Il lève les yeux au ciel et s'avance vers moi.

— Tu veux qu'on regarde un film, ou tu veux aller dormir directement ?

— Merci de rester avec moi cette nuit, hyung, soufflé-je, les yeux humides.

— Je sais que je ne suis pas de très agréable compagnie, mais je ne suis pas un monstre pour autant. Je n'allais pas te laisser seul. Pas après ça.

— Tu sais ce qui s'est passé, hyung ? osé-je, de nouvelles larmes s'échappant de mes paupières.

Sans répondre, il part s'installer dans le canapé, et me suggère, silencieusement, de faire la même chose. Une fois à ses côtés, il pose le plaid mis à disposition sur mon corps, et parle enfin.

— Jooheon...

Il soupire plusieurs fois et semble se triturer les méninges. Ce n'est pas bon, ça, je le sens. J'ai peur... J'ai vraiment très peur.

— Je ne sais pas vraiment ce qui s'est passé, mais comme toi, je pense savoir comment tout ça s'est terminé.

— Comment tu sais qu'on n'aurait rien pu faire, dans ce cas ?

Je ne pleure plus. Ça fait du bien. Je déteste pleurer. Mon corps se sent bien trop mal après. J'ai envie de dormir et mon crâne me fait un mal de chien. Je hais cette sensation. Il soupire à nouveau et part se faire un café. Chae Hyungwon ne semble pas s'habituer facilement aux êtres humains, par contre, dans leur maison, il n'a aucun mal. On dirait qu'il est déjà venu ici une dizaine de fois.

Je renifle bruyamment de mon côté, le regard bloqué sur chacun de ses faits et gestes, et attends patiemment qu'il revienne.

— Je ne voulais pas qu'on soit mêlé à ça, conclut-il, avant même d'être de retour à mes côtés.

— C'est lâche... On n'aurait pu dû faire ça, hyung.

— Cesse de te comporter comme un enfant et oublie cette histoire.

— P–pardon ?

De nouveau assis, il me fixe, boit une première gorgée de son café, puis soupire pour la énième fois.

— Je t'ai forcé à me suivre, alors traite-moi de lâche si tu veux, mais toi, tu n'es responsable de rien.

— Hyung...

Je ne sais pas quoi dire. J'ai juste envie de pleurer, mais je sais qu'il s'énerverait si jamais je recommençais. Il essaye de me réconforter, comme je l'avais prédit. Je n'aurais jamais pensé qu'il le fasse de cette manière, mais il le fait, et c'est sans doute le principal.

Je ne le reconnais franchement pas ce soir, mais ce n'est pas grave... J'aime bien. J'aime vraiment ça. J'ai l'impression qu'il tient à moi et ça me fait tellement plaisir.

— Termine ta boisson et allons dormir.

J'avais complètement oublié qu'il s'était changé. Il est adorable dans mon sweat. Je ne pensais pas qu'il paraîtrait aussi petit et mignon dans mes vêtements.

— Tu passes des rires aux larmes avec bien trop de facilité, tu es un personnage étrange.

— C'est parce que tu es trop adorable dans mes vêtements, hyung, pouffé-je, essuyant mes joues humides.

— On y va, soupire-t-il, d'un roulement d'yeux.

Je le suis sans mot dire et glisse rapidement sous la couette. Allongés tous les deux, lui sur le dos et moi sur le flanc droit, je prends plaisir à sourire timidement, tout en m'efforçant d'arrêter de penser à ce qui s'est passé plus tôt en soirée.

— Merci de rester avec moi, Hyungwon hyung.

— Si tu ronfles, je t'étrangle durant ton sommeil.

— Je vais faire de mon mieux, ris-je. Bonne nuit, hyung.

— Bonne nuit.

J'ai envie de me coller à lui. J'aimerais que sa chaleur me réconforte encore un peu, parce que j'ai peur de faire un cauchemar, mais je n'ose pas le faire, ou lui demander. J'ai bien trop peur qu'il me rejette. Ça doit déjà être un effort surhumain pour lui, de dormir avec moi. D'être si proche de quelqu'un.

Il m'a quand même sauvé la vie, tout à l'heure... Il a d'abord pensé à moi, pensé à nous, avant tout autre chose. Il l'a dit lui-même. Il a pensé au fait que j'aurais pu être blessé, moi aussi. Hyungwon a joué les lâches, pour me protéger. Je savais bien qu'il n'était pas méchant et qu'il tenait à moi, même s'il ne le montre jamais. Je suis chanceux de l'avoir dans ma vie. Il m'aide à réussir mes études et en plus de ça, il me protège même des dangers. Oui, je suis vraiment un homme chanceux.

                         

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