◈Nuage◈
Émy était une petite fille tout-à-fait comme les autres. Elle portait des jupes colorées, mettait ses ballerines à l'envers et terminait le tout par un petit accessoire extravagant, tel qu'un serre-tête ou une barrette, que toutes les petites filles normales de son âge adorent ajouter à leur accoutrement. Seulement, contrairement aux autres petites filles, Émy n'avait pas de sentiments. Elle ne pouvait rien ressentir, sinon observer le temps qui passe et apprécier ses instants d'apprentissage dans les petites classes où elle était encore. Malgré tout, Émy était heureuse, et ses parents l'étaient pour elle encore plus. Parfois, peut-être un peu trop même. Aussi, monsieur et madame Cordier s'attachaient tout particulièrement à prendre soin de leur fille unique et à la rendre joyeuse, s'il pouvait en être ainsi. Ils savaient pourtant aussi que ses difficultés avec la communication et les interactions sociales de base pouvait lui être problématiques, parfois même dramatiques ; mais ils continuaient malgré tout d'afficher un grand sourire de dents blanches en tout temps ; c'était là leur plus grande prouesse. Émy allait donc à l'école comme tous les petits enfants de son âge. Elle emportait avec elle, et sur son dos, un joli petit cartable jaune à fleurs dans lequel elle mettait son panier repas bien garni par sa mère pour la journée. Ainsi Émy montait dans la petite voiture rouge et angulaire de son papa, elle s'installait précautionneusement sur le siège arrière et posait sur ses genoux son petit sac coloré. Monsieur Cordier démarrait ensuite la voiture, puis il prenait ensuite tout de même soin de toujours vérifier dans le rétroviseur pour observer ce que faisait sa fille unique pendant la durée du trajet. Malgré toutes les petites blagues qu'il essayait de lui raconter et les quelques débuts de conversation qu'il parvenait à entamer, Émy continuait de fixer le sol plutôt que de regarder défiler le paysage, au plus grand désespoir et désarroi de son pauvre père.
- As-tu pris ton nounours avec toi ma puce, lui demandait-t-il de sa douce voix de ténor.
- Non. Pourquoi ? lui répondait-elle aussitôt.
- Pour montrer à tous tes copains à quoi ressemble le magnifique doudou que maman t'as offert la semaine dernière voyons ! Tu pourrais peut-être aussi lui trouver un nom maintenant, pour pouvoir jouer avec... qu'est-ce que tu en penses ?
- Non.
Émy terminait toujours par couper court à n'importe quelle conversation, quelle qu'elle soit, et ce, même de la manière la plus brusque s'il le fallait ; puisque de toute manière elle ne pouvait différencier les propos brutaux des propos bienveillants. Elle ne pouvait tout simplement pas être normale, elle était comme coincée dans une bulle invisible qui l'empêcherait de réceptionner et percevoir les sons comme les autres. Cette bulle continuait ainsi inlassablement de déformer les bruits et s'épaississait même avec le temps. Mais monsieur Cordier était bien habitué au comportement singulier de sa fille, aussi, il ne s'en formalisa point et continua même de la déranger un peu pour continuer de développer ses aptitudes si uniques.
- Prête à jouer avec les formes ?
- Nous ne jouons pas à l'école, papa, nous étudions, répliqua-t-elle en regardant pendant une fraction de seconde dans le rétroviseur.
Mais ce simple geste commença à accélérer l'allure des battements qui résonnaient distinctement dans le creux de sa poitrine. Son cœur ne parvenait tout simplement pas à supporter un contact visuel aussi intense, surtout avec son père, et malgré son jeune âge.
Une fois arrivés dans la rue principale de la ville, après s'être garés sur le trottoir à quelques mètres seulement du petit établissement maternel - par un heureux coup de chance du hasard - son père sorti rapidement de la voiture et en fit le tour promptement pour aller ouvrir la portière à sa fille ; mais Émy préféra descendre de la banquette arrière par ses propres moyens, même si ses petites jambes maigrelettes ne parvenait pas à atteindre le sol de la voiture, et encore moins le bord du trottoir. Elle descendit malgré tout de la voiture du mieux qu'elle put en dégringolant du siège pour enfant d'où elle était perchée ; puis elle descendit à reculons le reste, bien que toujours légèrement soutenu par la main protectrice de son père qui la retenait par le bas du dos bien évidemment sans son accord. Il lui tendit ensuite son minuscule petit cartable jaune, n'en déplaise à sa petite mouille boudeuse qui lui disait avec certitude qu'elle aurait préféré - là encore - se débrouiller seule en dépit de la difficulté. Immédiatement après lui avoir rendu son cartable, il lui attrapa soudainement la main, mais Émy commença aussitôt à gémir et à tirer sur son petit bras qui était maintenu prisonnier par l'emprise de la grosse main de son père, pourtant habituellement si attentionné et si doux. Ce dernier ne mesurait tout simplement pas sa force face à ce petit être si étrange, mais pourtant tout aussi fragile. Comme elle allait se mettre à pleurer et que les larmes commençaient déjà à parler dans le coin de ses yeux, il la lâcha tout aussi immédiatement qu'il s'était précipité pour l'attraper ; néanmoins assez désemparé et tout-à-fait déçu... encore une fois. Il essayait admirablement tous les jours d'apprivoiser l'autisme dont sa fille était la victime ainsi que la proie ; et tous les jours c'était la même rengaine ; un refus et une terreur indicible s'affichaient instantanément sur le visage de sa petite fille dans une rapidité hallucinante ; elle semblait alors tel un capteur étrange et incompréhensible, assez énigmatique aussi, mais qui suscite avant tout la curiosité. Elle redevint pourtant instantanément stoïque, comme si rien ne s'était passé, comme si rien n'était arrivé... encore une fois.
Ils marchèrent malgré tout côte à côte sur le trottoir, jusque devant le petit portillon qui menait dans l'allée fleurie du petit établissement scolaire, et même jusqu'à la porte principale de la maternelle. Ils passèrent tout d'abord le portillon, mais Émy s'arrêta devant la porte. Elle resta immobile à attendre... à attendre quoi ? Seul son père semblait le savoir. Cela se lisait facilement sur son visage si serein. Il connaissait sa fille mieux qui quiconque sur cette terre, aussi, il ne s'inquiéta donc pas de son curieux comportement. On entendit subitement neuf coups stridents et lourds résonner au loin, probablement les cloches de l'église la plus proche. Lorsqu'elles finirent de se répercuter dans le lointain, Émy passa la porte que son père venait tout juste d'entrouvrir pour elle ; fine comme elle était, aucun passage ne pouvait lui résister bien longtemps.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top