Le regard de Seungcheol était vide de toute émotion tandis qu'il mettait en ordre les affaires de l'amour de sa vie pour la dernière fois. Il ne ressentait rien, ou plutôt, il ne voulait rien ressentir. Il souffrait terriblement et essayait du mieux qu'il pouvait de ne rien montrer, de donner le change, de faire comme si tout allait bien.

Mais comment pourrait-il bien aller alors qu'il venait de perdre l'homme qu'il aimait plus que tout au monde ? Jihoon était tout son monde, sa raison de vivre, sa raison de sourire, sa raison de croire en un monde meilleur. Cette foi s'était totalement estompée depuis qu'il n'était plus là. Avant, il aurait pu croire que tout ce qui arrivait pouvait être le fruit du destin. Désormais il criait sa colère et sa douleur sans savoir à qui, ayant juste besoin de se laisser aller.

Il avait retrouvé un billet de 10 000 wons dans les affaires de Jihoon, il l'avait longuement observé avant de se dire que jamais il ne pourrait se résoudre à l'utiliser, quand bien même ça pourrait être le dernier billet qui lui resterait. Il avait toutes les affaires de Jihoon, ses carnets de composition, son journal intime, mais par respect, et aussi par peur de ce qu'il allait découvrir, il n'y avait pas touché. Il s'était contenté de tout ranger dans un carton. Il ne voulait pas voir les mots de Jihoon parlant de sa maladie, et il ne doutait pas qu'il en avait parlé dans son journal. Il n'était pas prêt. Il n'y arrivait pas.

Il n'allait plus à l'église depuis que Jihoon n'était plus là. Il n'avait plus foi en un dieu qui lui avait enlevé l'homme qu'il aimait, son petit musicien adoré. Il passait ses dimanches à dormir quand il y arrivait, sinon à regarder encore et encore ses photos avec son bien-aimé. Jihoon lui manquait terriblement. Il savait que ce dernier aurait voulu qu'il tourne la page, mais il n'y arrivait pas.

Il allait quitter cette maison. Cela lui faisait mal, très mal, de quitter ainsi la dernière chose qu'il restait de Jihoon, mais il ne pouvait plus supporter tous les souvenirs, toute cette douleur permanente. Chaque pièce, chaque endroit du jardin était associé à des souvenirs. Et surtout, il y avait la chambre d'enfants. Lui et Jihoon l'avait rénovée peu de temps avant que Jihoon ne parte.

Il était enceint quand il était décédé. Enceint de huit mois sans même le savoir. Déni de grossesse. Seungcheol avait senti son coeur se briser un peu plus encore, si tant est que ça soit possible, quand il avait tenu dans ses bras le corps sans vie de leur enfant, de leur petite fille, décédée avant même sa naissance. Il avait l'impression d'avoir tout perdu. Jihoon n'était plus là, leur bébé n'avait pas survécu, ses rêves d'être père s'étaient envolés. Il ne pensait pas retrouver un jour l'amour.

Et c'était bien ainsi pour lui. Il voulait que Jihoon soit le seul, l'unique. L'amour de sa vie. Il aurait tout donné pour qu'il soit encore là, à ses côtés. D'une certaine façon, il l'était. Il n'était qu'à six pieds de lui, en soi, et son âme vivait toujours à travers ses chansons et à travers les souvenirs qu'il partageait avec Seungcheol, mais désormais, le lit était vide et froid le matin, la maison déserte. Et chaque jour passé ainsi laissait Seungcheol sombrer un peu plus encore dans la noirceur de ce deuil difficile.

Il était seul. Ses parents lui avaient tourné le dos en apprenant qu'il aimait un homme, et ceux de Jihoon l'estimaient responsable de la mort de leur fils, bien que ce ne soit aucunement sa faute. Il était malade et avait lui-même demandé à arrêter tous les traitements. Seungcheol avait respecté sa décision bien que ça lui ait brisé le coeur. Et Jihoon était parti en paix, dans les bras de Seungcheol qui était resté à ses côtés jusqu'au bout. Et malgré ça, les parents du plus jeune estimaient qu'il n'avait pas fait assez pour lui.

Cela le mettait en colère, mais il ressentait plus de compassion que de colère. C'était parce qu'ils souffraient qu'ils pensaient de cette façon, qu'ils voulaient à tout prix trouver un responsable au départ de leur fils. Alors même si ça lui brisait le coeur, il encaissait leurs paroles dures et leur froideur à son égard. Il comprenait leur douleur, il la ressentait. Alors il ne disait jamais rien, ne rétorquait jamais.

Aujourd'hui, c'était le dernier jour où il se trouvait là. Dès demain, il repartirait à Séoul. Il espérait que la proposition que lui avait faite Wonwoo de venir travailler dans son entreprise tenait toujours, mais il n'osait pas le recontacter. Et s'il avait changé d'avis ? Et si finalement, il ne voulait pas de lui et il faisait tout ce chemin pour rien ?

En y repensant, peu lui importait. Il voulait juste quitter cette maison. Le poids des souvenirs était devenu trop lourd à porter. C'était trop difficile de vivre dans un endroit où il avait ses meilleurs comme ses pires souvenirs. Il voulait repartir à zéro. C'est ce que Jihoon aurait voulu pour lui, non ? Il aurait voulu qu'il soit heureux, autant qu'il puisse l'être malgré tout.

La nuit où Jihoon était parti avait été la plus terrible de toute la vie de Seungcheol. Jamais il n'aurait cru que c'était possible de ressentir une telle douleur, mais quand il avait vu la lumière dans le regard de Jihoon s'estomper, quand il l'avait senti s'immobiliser complètement, il avait cru qu'on lui enfonçait un couteau dans la poitrine, encore et encore. Il était traumatisé de cette nuit, voyait chaque nuit Jihoon s'éteindre encore et encore.

Cela avait été paisible, Jihoon n'avait pas souffert, mais Seungcheol avait ressenti la pire douleur de son existence, et cette douleur ne s'était nullement estompée, même si quatre mois s'était écoulés depuis cette fameuse nuit.

Il espérait juste que son retour à Séoul lui permette de prendre un nouveau départ. Et puis.. retrouver Wonwoo lui fera du bien non ? Ils étaient bons amis avant, pourquoi cela aurait-il changé aujourd'hui ? Il lâcha un soupir triste en déposant le carton contenant les affaires de Jihoon dans sa voiture. Il aurait tellement aimé que Wonwoo soit là, à ses côtés, il aurait su trouver les mots pour le rassurer, pour le réconforter. Mais il ne pourrait le voir qu'une fois arrivé à Séoul. Il devait partir et mener cette décision au bout.

Wonwoo n'avait pas pu assister aux funérailles de Jihoon. Il s'en était beaucoup voulu pour ça et n'avait cessé d'écrire à Seungcheol, de lui envoyer de longues lettres, des photos, des fleurs, n'importe quoi qui puisse le réconforter. Il lui avait dit espérer le revoir bientôt et lui être d'une meilleure aide une fois rentré à Séoul. Il se trouvait actuellement au Canada, mais rentrerait très prochainement. Il avait invité Seungcheol à loger chez lui. Pour ce faire, il devrait simplement indiquer son nom quand il sonnerait à la porte. Son assistant se trouverait là-bas et avait reçu l'ordre de l'accueillir.

Mais avant ça, il devait faire une dernière chose. Il devait rendre visite à Jihoon. Cela allait être très douloureux, mais il s'en voudrait de ne pas le faire. Il se rendit au cimetière et s'agenouilla face à sa tombe. Il regarda longuement les fleurs, la photo de Jihoon posée sur le marbre blanc. Il n'était pas encore malade quand cette photo avait été prise, et il rayonnait. Il aurait aimé le voir comme ça encore longtemps, mais il ne le reverrait ainsi qu'au paradis.

Une boule se forma dans sa gorge, l'empêchant de prendre la parole. Ses larmes menaçaient de couler, alors même qu'il n'avait même pas commencé à parler, mais il fit tout pour les retenir encore un peu. Cela lui faisait si mal de partir mais ça lui ferait tant de bien, à long terme. Et rien ne l'empêchait de revenir ici plus tard. Il pourrait même revenir avec Wonwoo si ce dernier voulait venir déposer une fleur ici.

— Jihoon, mon ange.. tu me manques tellement.. tu me manques et pourtant j'ai pris la décision de partir d'ici. C'était notre maison, je m'y voyais avec toi, avec nos enfants. Je m'y voyais vivre mes vieux jours, mais sans toi ça n'a aucun sens de rester là. Je pense que ça te ferait de la peine, parce que je sais que tu aimais beaucoup cette maison, mais je dois partir d'ici et me reconstruire.. J'ai l'impression de t'abandonner, ça fait mal mais je sais que je dois le faire.. et puis.. tu es toujours là, non ? Tu me laisseras jamais hein ? Tu avais promis..

Il s'interrompit, essuyant ses larmes qui avaient fini par couler. Il souffrait terriblement de la situation. Il ne s'en remettait pas même si ça faisait plusieurs mois que Jihoon n'était plus là, et essayer de tourner la page, c'était la raison pour laquelle il partait à Séoul.

— Je ne pourrai plus venir te voir tous les jours comme je le faisais avant, et j'en suis vraiment désolé.. Mais je ne t'oublie pas mon amour, promis.. Tu me manques tellement.. je donnerais n'importe quoi pour que tu sois encore là.. Mais je sais que c'est impossible, alors j'espère juste que tu es dans un lieu paisible où tu es heureux et où tu ne souffres plus, maintenant. Je t'aime, Jihoon. Eternellement.. Personne ne pourra jamais te remplacer.

Il se releva, incapable d'en dire davantage. Il avait bien plus que ça qui lui pesait sur le coeur, mais il n'arrivait pas à sortir un seul mot de plus. Il déposa une rose avec les autres fleurs, puis partit sans se retourner. Il ne pouvait plus reculer maintenant. Il avait dit à Jihoon qu'il partait, qu'il essayait de refaire sa vie, de réparer son coeur abîmé, il ne pouvait pas se rétracter. Il devait se lancer et faire de son mieux jusqu'au bout.

Il rangea le peu d'affaires qui lui restait dans le coffre de la voiture, ferma la porte d'entrée pour la dernière fois et glissa la clé sous le pot de fleurs avant de monter dans sa voiture et de prendre la route. Il partit sans se retourner, et pour la première fois depuis quatre mois, il se sentait à nouveau en vie. Il allait enfin reprendre le contrôle de sa vie, et enfin la vivre comme Jihoon aurait aimé pouvoir la vivre.

S'il faisait tout ça, c'était plus par amour pour Jihoon que pour lui-même. Il voulait que l'homme de sa vie soit fier de lui. Qu'il puisse sourire en le voyant vivre et être heureux. Ce n'était pas facile, oh ça non, mais il devait le faire. Sinon pour lui, il devait le faire pour Jihoon. C'était tout ce qu'il pouvait faire pour lui, désormais.

Et puis, il s'était engagé auprès de Wonwoo, il reviendrait à Séoul et il travaillerait pour lui. Il ne pouvait pas se rétracter maintenant, il savait que ça vexerait beaucoup Wonwoo qui aurait l'impression que son ami ne voulait tout simplement pas le revoir. C'était tout le contraire, mais s'il ne le prouvait pas par des actions concrètes, Wonwoo ne pouvait pas le deviner.

Bientôt, tout ça serait terminé. Il vivrait sa petite vie comme tant d'autres Séoulites, il travaillerait pour Wonwoo, se trouverait un petit appartement, et vivrait ainsi. Puis peut-être qu'il pourrait se faire des amis, et un jour, rencontrer quelqu'un d'autre ? Non, se faire des amis était envisageable mais pas tomber à nouveau amoureux. Il ne voulait pas aimer quelqu'un d'autre que Jihoon. Ce serait le trahir. Il ne pouvait pas faire ça.

Ses larmes coulèrent à nouveau, mais Seungcheol continua sa route, sans aucune once d'hésitation. Il savait ce qu'il devait faire désormais. Tourner la page faisait partie de ces choses, même si c'était plus facile à dire qu'à faire.

Le soleil était couché quand il arriva à l'adresse que Wonwoo lui avait indiqué dans sa dernière lettre. Il fut accueilli par un jeune homme blond, au visage doux et enfantin. S'il s'en tenait à ce qu'il avait compris, il s'agissait de Seungkwan, l'assistant de Wonwoo.

Seungkwan l'avait accueilli chaleureusement, gardant cependant une distance de respect, sachant ce qui était arrivé à Seungcheol avant son arrivée ici. Il l'avait aidé à s'installer et lui avait préparé un bon repas. Il lui avait dit que Wonwoo serait de retour le lendemain matin et que d'ici là, il pouvait se reposer autant qu'il en avait besoin.

Seungcheol s'était contenté de le remercier et était assez rapidement allé se coucher. Le trajet et toutes les émotions de la journée l'avaient épuisé. Pour la première fois depuis longtemps, il dormit bien cette nuit-là. Désormais il était prêt à vivre sa nouvelle vie. De toute manière, il n'avait pas le choix. Il ne pouvait plus faire machine arrière.

Il alla déjeuner, surpris de voir que Wonwoo était déjà rentré. Il était pourtant encore très tôt. Il n'eut pas le temps d'y penser davantage tandis que les bras de Wonwoo se refermèrent sur son corps, lui offrant une étreinte rassurante dont il avait tant besoin depuis tous ces mois passés seul. Il la lui rendit, restant silencieux, ne sachant pas quoi dire.

Cela faisait si longtemps qu'ils ne s'étaient pas vus.. L'un comme l'autre auraient besoin de temps pour se faire à cette nouvelle vie.

C'était okay, de se sentir ainsi, c'était okay d'avoir besoin de temps. Et Seungcheol arrivait enfin à se le mettre en tête maintenant qu'il avait repris sa vie à zéro. Reste à voir ce que cette vie lui réservait.

Il s'était écoulé quatre autres longs mois depuis ce jour où les deux amis s'étaient retrouvés. Ces mois n'avaient pas toujours été faciles, parfois Wonwoo ne savait pas faire face aux moments de détresse de Seungcheol, parfois ils ne se comprenaient pas, mais ils avaient gardé leur relation d'amis fusionnels qu'ils avaient avant tout ça.

Seungcheol avait commencé à travailler pour Wonwoo quelques semaines après son arrivée. Pour le moment, il ne travaillait qu'à mi-temps, Wonwoo voulait lui laisser le temps de s'adapter et de se sentir vraiment mieux. Ce n'était pas simple tous les jours, mais travailler, voir du monde, ne plus rester enfermé aidait beaucoup Seungcheol à se sentir mieux.

Il n'avait pas arrêté de penser à Jihoon. Mais désormais il ne pensait plus à lui avec douleur ou avec amertume et ressentiment, mais avec tendresse et nostalgie. Peu à peu, il se remettait sur les rails. Il aurait encore besoin de temps pour terminer son processus de deuil mais il allait déjà mieux. Et puis peut-être, peut-être qu'il pouvait envisager un avenir maintenant.

Il se sentait de plus en plus proche d'un de ses collègues, un certain Yoon Jeonghan. Ce dernier se montrait présent, respectueux, doux et réconfortant, et c'était tout ce dont il avait besoin, là maintenant. Il se sentait bien avec lui, et peut-être qu'il arriverait à refaire sa vie avec lui.

Il ne savait pas si Jihoon serait heureux des choix qu'il a fait, mais il les avait fait, et il les assumerait. Il avait besoin de ces changements, c'était sa seule solution pour refaire sa vie, et Jihoon le lui avait demandé à plusieurs reprises. il aurait voulu qu'il soit heureux, non ?

Plus le temps passait, plus il se rapprochait de Jeonghan. Ce dernier lui offrait une oreille attentive quand il avait besoin, prenait soin de lui autant qu'il pouvait. Et comme si cela n'était pas suffisant, il fallait bien admettre qu'il était plutôt beau gosse. Il était même d'une beauté à couper le souffle.

Avant, il ne s'intéressait pas à lui, tout ce qui comptait, c'était Jihoon. Mais ce dernier n'était plus là. Alors il devait l'oublier en quelque sorte, mettre de côté son amour pour lui, et passer à autre chose. Jeonghan semblait être la personne idéale pour ça.

Il était toujours patient avec lui, se montrait même nonchalant et restait toujours présent au cas où. Il y avait une semaine où Wonwoo était parti en voyage d'affaires, et cette fois, Seungkwan était venu avec lui. Ne voulant pas se retrouver seul, il avait demandé à inviter Jeonghan, Wonwoo avait de suite accepté, en réalité ça le rassurait que Jeonghan soit là. Ainsi il était certain que Seungcheol serait en sécurité.

Ils avaient passé la semaine seuls dans la maison de Wonwoo, Jeonghan s'assurant de créer un petit cocon rassurant pour Seungcheol. Il avait bien pris soin de lui, attentif à son bien-être. Il ressentait beaucoup de choses pour lui, mais ne disait rien, pour ne pas le troubler. Il en avait déjà assez vécu. Mais Seungcheol se doutait bien que Jeonghan ne ressentait pas que de l'amitié pour lui. Il n'avait pas besoin d'un dessin pour le comprendre.

Cependant il n'était pas sûr d'être prêt à ça. Il n'était pas sûr d'être réellement prêt à aimer à nouveau. A aimer quelqu'un d'autre que Jihoon.

Mais Jeonghan l'aimait, lui, et était prêt à l'attendre autant que nécessaire. Après tout, ils avaient toute la vie devant eux, non ?