🅅🄴🄶🄰🅂 partie 2/3
Quand Jimin et moi revînmes dans la salle d'interrogatoire, l'avocat de Yoongi était présent de même que le Chef Kim. L'homme de loi demandait que la garde à vue soit levée immédiatement, suite au tout récent témoignage qui venait corroborer les dires de son client.
- Quel témoignage ? laissa échapper Jimin, le visage soudain fermé.
- Un homme dénommé Choi Siwoo, barman au Bellagio, s'est présenté à l'accueil il y a quinze minutes. Il affirme avoir rejoint la suite de Mr Min au MGM Grand à 1 H 30 avant d'en ressortir et de quitter l'hôtel à 3 H 41, nous rapporta notre supérieur.
- La caméra de l'ascenseur principal et celle du palier de l'étage auquel loge Mr Min devraient le confirmer, de même que les portiers et une bonne dizaine d'employés, déclara l'avocat.
- Ah, parce qu'elles fonctionnaient ces caméras-là, comme c'est pratique ! s'exclama mon coéquipier.
Moi, je demeurais sans réaction. Je venais à l'instant de me prendre un nouvel uppercut en pleine face et j'étais K.O. Sans parler du fait que Min Yoongi, la tête baissée, fuyait désormais mon regard comme la peste.
- Nous souhaiterions une décision du juge le plus rapidement possible pour une éventuelle libération sous caution. Mon client, suite à ce braquage, se voit contraint de gérer tout un tas de choses délicates, vous vous en doutez.
- Votre client compte encore parmi les suspects et nous sommes en train de prendre la déposition de Mr Choi dans la salle d'à côté, trancha Kim Namjoon. Alors, il va falloir être patients.
C'est alors que mon corps se mit à bouger sans que je puisse le stopper. J'entendis à peine la voix de Jimin derrière moi.
- Tae, attends !
Je passai dans la pièce attenante et me retrouvai à mon tour derrière le miroir sans tain. L'homme assis face à l'inspecteur Weng, affichait un petit sourire en coin et paraissait complètement détendu. Il avait une vingtaine d'années et il était plutôt séduisant.
Je serrai les dents et je sentis bientôt la présence de Jimin dans mon dos.
- Taehyung...
Je levai l'index pour le faire taire tandis que Weng reprenait ses questions.
- Donc vous dites avoir frappé à la porte de la suite de Min Yoongi aux alentours de 1H30 et avoir ensuite passé les deux heures suivantes en sa compagnie.
- C'est exact.
- Est-ce qu'il a quitté la chambre durant ce laps de temps ? Apparemment, il existe un ascenseur privé dans cette suite qui conduit directement à son bureau et qui descend même jusqu'au centre de sécurité du casino.
- Non, il est resté avec moi tout le temps.
- Peut-on savoir ce que vous avez fait durant deux heures ensemble ?
- Mais bien sûr. Nous avons eu des relations sexuelles.
Mon cœur remonta jusque dans ma gorge.
- OK et est-ce que par hasard vous vous seriez endormi après ? Il aurait pu s'absenter sans que vous vous en rendiez compte.
- Je vous le répète : personne n'est sorti de cette chambre et nous avons fait tout sauf dormir lui et moi, et ce, jusqu'à ce que je parte aux alentours de 3 H 30.
J'aurais dû être soulagé. Ce type venait en effet de fournir un alibi à Yoongi, réduisant à néant la possibilité que ce soit lui en personne qui ait ouvert la chambre forte. Alors pourquoi avais-je l'impression qu'on venait de m'arracher les entrailles ? Pourquoi avais-je juste envie de frapper ce mec pour lui faire perdre son sale petit sourire ? Quelques minutes plus tôt, je jouais les durs en face de celui que je tenais pour responsable de mon cœur brisé, lui assurant crânement que mes sentiments ne viendraient pas interférer et qu'il pouvait compter sur mon impartialité. Mais la vérité venait tout juste de m'exploser à la figure. J'avais menti. Il allait être impossible pour moi de faire abstraction du passé, de l'affection que je savais exister encore au plus profond de moi, de la douleur d'apprendre qu'un autre partageait peut-être aujourd'hui sa vie.
Aussi, quand je sentis la main de Jimin se poser sur mon épaule, je me dégageai prestement et je quittai la pièce sans un mot.
♠◊♣♡
- Tu as une sale tête.
Je levai péniblement les yeux vers mon coéquipier.
- Tu as vu la tienne ?
Jimin ricana alors avant de s'affaler lourdement sur sa chaise. Son bureau était face au mien et il se frotta longuement les yeux avant de tremper les lèvres dans son café.
Cela faisait deux jours que notre équipe enquêtait sans relâche sur l'affaire du braquage, nous avancions bien trop lentement à mon goût et depuis que j'avais revu Yoongi, je n'arrivais pas à trouver le sommeil.
Le déroulé des événements avait été établi. La chambre forte qui avait été vidée était la moins sécurisée et contenait huit millions de dollars. Le braquage impliquait donc très certainement la complicité d'un habitué des lieux. Une cyberattaque en amont et au cours de la soirée avait permis de prendre le contrôle total des caméras, des détecteurs et des communications. Les vigiles avaient été sommés de modifier leurs rondes et ils avaient obéi sans poser de questions tandis que les coffres étaient vidés. Il y avait juste eu ces deux pauvres gardes qui s'étaient retrouvés au mauvais endroit au mauvais moment. L'équipe de techniciens informatique tentait de remonter la piste du hacking.
Le capitaine Kim avait donc ordonné à Jimin et à Weng de faire des recherches sur les membres de la sécurité et d'essayer de déterminer comment l'argent avait pu quitter les lieux.
Nos nouveaux collègues, Ho et Sang devaient, quant à eux, creuser du côté du propriétaire Bang Sihyuk et d'une éventuelle arnaque à l'assurance.
Yoongi était toujours suspect évidemment, et là, c'est moi qui avais demandé à mon supérieur de poursuivre les investigations le concernant, sans parler du barman, Choi Siwoo. Le package incluait, cela va sans dire, le reste du personnel du casino et tous ceux qui avaient eu accès au bureau de la direction.
- Shin Minho est ici, déclara Jimin en récupérant un dossier rouge près de son ordinateur. Weng m'attend pour le cuisiner de nouveau.
Je regardai alors ma montre et constatai qu'il était déjà 10 H. J'éteignis mon ordinateur avant de récupérer moi aussi les clés de ma voiture dans le tiroir de mon bureau.
- Trois femmes de ménage, deux voituriers et un croupier ont été embauchés à l'hôtel il y a moins de deux semaines. Je vais aller discuter avec le chef du personnel.
- Taehyung... se renfrogna Jimin qui semblait avoir parfaitement deviné mes réelles intentions.
- Quoi ? fis-je en attrapant ma veste sans le regarder.
- Arrête de me prendre pour une bille. Si tu veux aller là-bas, c'est avant tout pour le revoir.
- Yoongi n'est plus au MGM Grand mais au Signature.
- Qui est à cent mètres du Grand. Et tu y vas seul ?
Cette fois, je ne répondis pas et Jimin laissa alors échapper un long soupir mécontent.
- Écoute, je n'aime pas trop cette façon de procéder. Le truc de se répartir les tâches et de devoir mener notre business chacun de son côté. Je sais qu'on doit s'adapter parce qu'on est des pièces rapportées dans ce département et Weng, malgré son humour à chier, est un bon inspecteur mais...Toi et moi, on a toujours interrogé les suspects, joué au « bon flic méchant flic », ensemble. Kim et Park. L'équipe de choc.
Cette fois, je fixai Jimin avec circonspection.
- Attends, on a énormément de pistes à suivre. On gagne du temps comme ça. C'est quoi qui te dérange au juste ?
Mon coéquipier baissa les yeux et je le sentis soudain embarrassé. Alors soudain, j'eus peur d'enfin comprendre ce qui le chiffonnait vraiment.
- Minute... C'est le fait que j'enquête en solo sur cette affaire qui te gêne ?
Toujours pas de contact visuel. Je commençais à bouillir intérieurement.
- Putain, j'y crois pas... Tu penses qu'en bossant seul, je vais être tenté de dissimuler des éléments dans le but de couvrir Yoongi ?
- Non, ce n'est pas ça.
- Alors quoi ?
Ma voix était légèrement montée dans les aigus. Je savais que Jimin ne portait pas Yoongi dans son cœur depuis New York, mais là, il était allé trop loin. Est-ce que je rêvais ou ses insinuations remettaient carrément en doute mon intégrité ?
- Tout doux Kim, tu m'as mal compris. C'est juste que... Je pense que ça peut devenir compliqué pour toi, d'avoir affaire à Yoongi de nouveau, par rapport à ce que vous avez vécu tous les deux et comment ça s'est terminé. Tu étais raide dingue de ce type, reconnais-le. Alors OK, tu continues à bosser en solo et je supporte jusqu'à la fin les blagues de merde de Weng. Mais du coup, peut-être que lui et moi, on pourrait basculer sur Min et le personnel et toi, tu pourrais te charger des membres de la sécurité ?
Sa proposition partait d'une bonne intention. Je le savais.
Jimin avait été là quand j'étais au fond du trou il y a cinq ans. Et pourtant, je soupçonnais que lui aussi avait été rudement marqué par cette affaire de corruption.
Jung Hoseok avait été son coéquipier et ami après tout, mais Jimin disait qu'il ne voulait plus jamais entendre parler de lui.
Puis, nous avions tous les deux décidé de changer d'air et de nous faire muter à Las Vegas.
Quelquefois notre collaboration était électrique. Mais notre tandem fonctionnait. C'était un mec intelligent, efficace et je me disais que j'avais de la chance de bosser avec lui. Sauf que là, aujourd'hui, ses paroles m'avaient blessé plus qu'autre chose.
- Rassure-toi Park, rétorquai-je d'une voix blanche. Promis, je te ferai sans faute ce soir un rapport détaillé concernant tout ce que j'apprendrai aujourd'hui, et cela afin que tu puisses dormir sur tes deux oreilles. Ça te va comme ça ?
Quelle mauvaise foi. Mais ça, j'étais encore à mille lieues de le reconnaître.
Dix minutes plus tard, je roulai sur Tropicana Avenue en direction du MGM, Thunderstruck de AC/DC à plein volume dans l'habitacle.
♠◊♣♡
Triple idiot. Triple idiot. Triple idiot. J'avais raison tu vois ?
Une petite voix qui ressemblait à s'y méprendre à celle de Jimin résonnait en ce moment même dans mon esprit tandis que j'attendais, les jambes flageolantes, devant la chambre de Yoongi.
Putain, mais qu'est-ce que j'étais en train de faire ?
Je venais de passer deux heures à m'entretenir avec Kwong Jin-Sang, le chef du personnel du complexe. Le type chauve et bedonnant transpirait à grosses gouttes et n'arrêtait pas de s'emmêler les pinceaux dans ses réponses, à croire que ce mec engoncé dans son costard Armani avait vraiment quelque chose à se reprocher. Ou alors était-il seulement incompétent ?
« Le MGM est une petite ville à lui tout seul, avait-il bafouillé. L'établissement affiche un total d'environ 3 100 employés. Les différents départements sont bien distincts et j'ai déjà donné à vos services tous les listings concernant les gens affectés soit à l'hôtel MGM Grand, soit au casino. »
J'avais en effet récupéré les listes, trié les infos, ciblé certains profils, vérifié les plannings, les emplois du temps, les allées et venues. J'avoue que j'étais plutôt doué pour ça. C'est sûrement la raison pour laquelle le capitaine Kim avait décidé de me confier cette partie de l'enquête. J'avais un truc avec les visages. J'avais aussi une mémoire d'éléphant, ce qui faisait sans cesse l'admiration de Jimin, même si ça lui écorchait la bouche de le reconnaître.
Et voilà qu'à cet instant précis, je me retrouvais au 28ème étage du MGM Signature hôtel, annexe du casino qui ne comportait que des suites, et que je venais tout juste de frapper à la porte de celle qui hébergeait, en ce moment-même, mon ex-amant.
Sa caution, fixée à 50.000 dollars, avait aussitôt été payée par son patron Bang Sihyuk. Le milliardaire affirmait à cor et à cri que son directeur était forcément innocent et déplorait le fait de devoir le suspendre de ses fonctions, le temps de l'enquête. En contrepartie, il lui avait donc permis de déménager au Signature.
J'aurais très bien pu envoyer un message à Yoongi pour lui dire de se présenter au poste dans l'après-midi. Avec son avocat évidemment.
Mais non...
Je m'étais convaincu que j'avais besoin de quelques précisions supplémentaires sur la façon dont étaient sélectionnés les employés du casino et que lui parler directement était la meilleure solution.
Triple idiot.
Quand sa silhouette apparut dans l'embrasure, je cessai de respirer.
Il portait une chemise en lin beige, retroussée sur ses avant-bras, un pantalon de coton fluide et il m'accueillait pieds nus.
Il sortait visiblement de la douche (à midi ?) et il avait rabattu ses mèches encore humides vers l'arrière, dégageant ainsi son visage et ses sublimes yeux de chat.
Des yeux qui s'écarquillèrent légèrement en me voyant, mais qui reprirent très vite une neutralité parfaitement maîtrisée, tout comme ses traits.
- Toi...lâcha-t-il tout simplement.
Cet unique mot me frappa en plein cœur et me coupa légèrement dans mon élan. Mais je serrai les poings dans mes poches et rétorquai du tac-au tac.
- J'aurais besoin de quelques précisions concernant les personnes qui avaient accès à ton bureau et sur ton chef du personnel qui a l'air complètement à côté de la plaque. Donc si tu veux bien passer au commissariat, disons dans l'après-midi, le temps de prévenir ton avocat, cela va sans dire, ce serait... bien.
Après ma tirade, je restai là sans bouger à soutenir son regard. Je me sentais empoté comme un débutant cependant quelle ne fut pas ma surprise quand il ouvrit la porte en grand, et qu'il fit demi-tour pour regagner le salon sans répondre.
Je l'entendis ensuite m'interpeller depuis l'intérieur de la chambre.
- Alors, tu entres ou quoi ?
La suite était sublime, immense. Sans aucun doute aussi grande que mon appartement à Summerlin.
Je pénétrai dans le vestibule avec hésitation.
- Je te le répète, et d'ailleurs, tu le sais toi-même très bien. Tu n'es pas obligé de me dire quoi que ce soit sans la présence de ton avocat et tu...
Arrivé dans le petit salon, je me figeai sur place.
Aux quatre coins de la pièce avaient été installés d'immenses tableaux sur pieds. Dessus, étaient épinglés toutes sortes de documents : des plans du casino, de l'hôtel, des listes de noms. Des post-it avec des numéros étaient collés sur des photos d'employés du MGM. Des feuilles jonchaient aussi le sol, envahissaient une bonne partie du canapé et de la table de la salle à manger. Sur toute cette paperasse, certaines informations étaient entourées ou soulignées au feutre rouge, d'autres en vert ou en orange. Il y avait des gobelets de café vides, abandonnés un peu partout sur les meubles.
Bref, j'avais l'impression d'avoir fait un bond de cinq ans en arrière, dans notre ancien bureau de la brigade des stups à New York. Parce que c'était la façon de travailler de Yoongi autrefois. Il devait tout avoir en permanence sous les yeux quand nous bossions sur une affaire.
- Tu veux un café ? demanda-t-il d'un ton posé depuis le petit coin cuisine.
La bouche encore ouverte devant ce capharnaüm organisé, je ne sortis de ma stupeur que lorsque je sentis à nouveau sa présence à ma gauche. Le parfum subtilement boisé de son gel douche m'enveloppa entièrement et je mis quelques secondes à réaliser qu'il me tendait un mug fumant.
- Noir, si je me souviens bien.
Merde. Je venais d'avoir droit à un sourire. Fugace, certes, mais un vrai sourire cette fois. Le premier depuis nos retrouvailles. Ce sourire que je n'imaginais plus revoir ailleurs que dans mes rêves.
- Merci, tu... bafouillai-je, qu'est-ce que c'est que tout ça ? Ne me dis pas que tu mènes ta propre enquête ?
Son regard accrocha le mien et il répondit en recouvrant une expression sérieuse.
- Je t'ai dit que je n'étais pour rien dans ce braquage. Je compte donc prouver définitivement mon innocence et retrouver tout cet argent qui a été volé juste sous mon nez. Ce n'est pas comme si je n'avais pas un peu d'expérience dans ce domaine moi aussi, n'est-ce pas ?
Je réalisai qu'il était peut-être temps de lui avouer le fond de ma pensée. Que j'étais dorénavant persuadé qu'il avait raison. Tout semblait avoir été savamment orchestré pour le faire plonger ou du moins tenter de détruire sa réputation.
- Yoongi, je tiens à ce que tu saches, je ne vais pas chercher à te faire payer quoi que ce soit. J'ignorais beaucoup de choses sur toi à l'époque et effectivement, je n'ai pas pris la peine de te laisser t'expliquer. Mais ce qui est fait est fait. Par contre, s'il y a bien une chose que je sais, c'est que tu es loin d'être stupide. Toutes ces preuves t'incriminant, c'est un peu trop...gros, en effet.
- Je te le dis, celui ou ceux qui sont derrière tout ça, veulent me salir et si possible faire en sorte de m'envoyer en taule, rétorqua-t-il.
- Heureusement, que ton petit copain t'a fourni un alibi pour l'heure des meurtres et de l'effraction.
Le silence retomba soudain entre nous juste avant que Yoongi ne reprenne :
- Avec Siwoo, nous ne sommes pas ensemble. On passe du bon temps, c'est tout. C'est juste...Je n'ai aucun sentiment pour lui, ni lui pour moi.
Qu'est-ce que je pouvais répondre à ça ? Pourquoi éprouvais-je tout à coup ce mélange d'irritation et de soulagement ?
Le regard rivé sur le tableau, je faisais à présent mine de lire le curriculum vitae d'une des femmes de ménage engagée il y a deux mois et qui ressemblait comme deux gouttes d'eau à Jennifer Lopez.
- Et toi tu...
- Je ne sors pas avec Jimin.
Les mots étaient sortis tout seuls. Et à la seconde où ils avaient franchi la barrière de mes lèvres, mes joues s'étaient embrasées malgré moi.
Je sentis qu'il allait relancer, qu'il ouvrait déjà la bouche pour éventuellement parler de nous, mais je changeai immédiatement de sujet.
- Et sinon, qu'est-ce que tu as fabriqué durant cinq ans ? Et surtout comment tu t'es retrouvé directeur d'un des plus grands casinos de Vegas ? Ça, je dois avouer que je n'arrive pas encore à m'y faire.
Yoongi, tourna alors les talons et alla s'asseoir sur le canapé. Je le suivis et m'installai dans un des fauteuils face à lui.
Il me raconta qu'après avoir démissionné de la police, il avait tenté de retourner travailler dans l'entreprise familiale à Los Angeles.
- Encore un truc que tu m'as caché...le titillai-je amicalement cette fois.
Effectivement, sa famille était très riche et puissante. Mais il n'avait jamais voulu en profiter. Et puis de toute façon, il n'avait pas tenu très longtemps sous la coupe de son père. Ce dernier l'avait aujourd'hui définitivement renié après avoir compris qu'il ne verrait jamais son fils au bras d'une belle jeune femme qui lui donnerait une ribambelle d'héritiers. Mais cela n'avait pas d'importance pour lui. Il avait depuis longtemps fait un trait sur sa famille et aujourd'hui il ne voulait plus rien leur devoir. Il s'était pourtant laissé convaincre, trois mois plus tôt, quand son parrain, Bang Sihyuk, l'avait quasiment supplié de bosser pour lui et de devenir chef de la sécurité dans son casino. Yoongi, qui l'aimait beaucoup, avait fini par accepter puis finalement avait rapidement pris du galon en se retrouvant carrément à la tête de l'établissement. Il fallait bien gagner sa croûte après tout.
Pendant qu'il parlait, mon attention était entièrement braquée sur lui. Je détaillais chacun de ses gestes, chaque inspiration, chaque mouvement dans ses mèches d'ébène. Je me rappelais la douceur de sa peau sous mes doigts, la chaleur de son bassin ondulant contre mes reins, son souffle dans mon cou...
Merde...J'étais en train de perdre pied. Je devais absolument me ressaisir et rester pro, comme je n'arrêtais pas de me le rabâcher depuis qu'il était revenu dans ma vie.
Il était encore suspect. Il y avait une enquête en cours. Mon enquête.
Je devais m'y raccrocher. Me raccrocher à ce que je savais faire de mieux. Mon boulot. Je pris alors un virage à 180 degrés.
- On a déjà interrogé et épluché la vie de toutes ces personnes, fis-je en me raclant la gorge et en montrant du doigt les portraits sur le tableau, et pour l'instant rien de concluant n'en est ressorti. On a aussi interrogé ton chef de la sécurité. Les caméras de surveillance qui plantent juste avant le braquage, toi qui ne fais rien...
- Je n'ai pas eu l'info pour les caméras en panne. Ce qui veut dire que le type qui a pris le contrôle, ce soir-là, l'a fait sur le système de sécurité, de reconnaissance biométrique et sur les communications, expliqua-t-il. Un pro.
J'étais en train d'enfreindre toutes les règles. Je discutais d'une affaire en cours avec le suspect numéro un. Pire... Je lui livrais nos conclusions, une partie de nos pistes...Lui me faisait part aussi de ses réflexions. Et le pire, c'est que je sentais l'émulation croître. Je ressentais à nouveau, cette effervescence, cette exaltation et cette complicité indescriptible que nous avions partagées à New York. Les théories fusaient. Yoongi s'était même levé pour rajouter des post-it sur son tableau. Et moi...J'étais en train de me prendre au jeu. Jimin n'avait pas intérêt à apprendre ce que j'étais en train de faire. Mais plus le temps passait, plus j'étais convaincu que Yoongi n'avait effectivement rien à se reprocher. Quelqu'un essayait bel et bien de le piéger.
Les discussions se poursuivirent encore un long moment. Yoongi me proposa un nouveau café que j'acceptais avec plaisir. Je le suivais donc jusqu'au coin cuisine avec mon mug et me retrouvai soudain bien trop proche de lui. Son bras frôla le mien et ma peau s'électrisa. Sans crier gare, il releva la tête vers moi. Dans ses iris couleur d'encre, je pus tout d'un coup lire une fragilité inhabituelle, de l'inquiétude, mais aussi du désir, de la détermination et surtout, cette étincelle qui m'avait fait éperdument tomber amoureux de lui cinq ans plus tôt.
- Merci. De me faire confiance à nouveau, murmura-t-il comme si son intention était de m'achever.
Ma respiration s'accéléra quand je compris que son corps se rapprochait imperceptiblement du mien. J'étais sur le point de faire une énorme bêtise, je le sentais. Nos yeux ne se quittaient plus à présent et ses lèvres avançaient toujours en direction des miennes. Ces lèvres qui m'avaient tellement manqué. Ces lèvres que j'avais envie de goûter à nouveau ici et maintenant.
« Hé oh ! Min Yoongi ! T'es là ??? »
Nous nous figeâmes tous les deux à quelques centimètres seulement l'un de l'autre et je vis soudain le visage de Yoongi grimacer de frustration.
Cette voix, étrangement familière, sortait tout droit de l'ordinateur portable posé sur la table basse du salon.
- Ok, alors, j'ai un peu oublié de te dire...reprit-il.
Oh non. C'était quoi ce binz encore ?
Je reculai aussitôt et opérai un demi-tour pour aller me planter devant l'appareil.
- Oh ben ça alors ! Kim Taehyung ! Bon sang ! Ça fait trop plaisir de te voir !
Dans la petite fenêtre du visiochat, Jeon Jungkook affichait un sourire 100.000 watts.
- Jeon ?
Je faillis carrément m'étrangler avec ma salive.
- Oui écoute, je lui ai demandé de m'aider hier, me rejoignit Yoongi pour tenter de m'expliquer.
Jeon Jungkook alias "The Haze" était déjà notre arme secrète à Yoongi et à moi quand nous étions à New York. Petit prodige de l'informatique, il nous avait secondé sur de nombreuses enquêtes et avait définitivement laissé derrière lui son passé sulfureux de cybercriminel pour se ranger enfin du côté des « gentils » comme il se plaisait à le dire.
- Vous savez les mecs, que je repense encore à ce projet délirant qu'on avait d'ouvrir notre agence de détective privé à Honolulu ? continua Jungkook, visiblement ravi à l'idée que notre trio puisse se reformer aujourd'hui.
Moi, je continuai à halluciner en le voyant mordre à présent dans un énorme morceau de pizza à travers l'écran.
- Ouais bon en attendant Min, voilà les dernières news, reprit-il en mâchouillant. Je reconnais que le mec qui tente de te piéger est assez fort, mais je le suis davantage. Je suis sur le point de l'avoir.
Jeon, nous détailla longuement toutes ses découvertes, qui, je dus l'avouer, étaient bien plus nombreuses que celles de notre équipe de spécialistes soi-disant au taquet depuis trois jours.
Quand aux alentours de 21 H, je me dirigeai enfin vers ma voiture garée dans le parking, ma tête bourdonnait de tout ce que je venais d'apprendre, de ressentir et je mis plusieurs secondes à me rendre compte que mon téléphone était en train de vibrer dans ma poche.
« Tu me fais encore la gueule ? »
Le message de Jimin était ponctué d'un émojii qui tire la langue. Je pianotais sur mon clavier.
« Ouais mais laisse-moi encore une bonne trentaine de minutes à faire du boudin et je pense qu'après, on pourra aller manger un morceau au Hash House. C'est moi qui invite. Je dois te faire mon rapport, je te rappelle. 😇
« Parfait Kim. Prépare-toi à raquer. J'ai une faim de loup. »
Super. J'avais pris la bonne résolution de rattraper le coup avec lui, persuadé que si je partageais avec lui mes trouvailles de l'après-midi, tout allait s'arranger entre nous. Il était mon partenaire après tou, et je détestais m'embrouiller avec lui.
Une fois installé face à Jimin à la table du restaurant, je pris donc sur moi de lui raconter mon entretien avec Yoongi. J'évitais toutefois de mentionner l'ambiance chargée de tension sexuelle et l'entrée en jeu de Jeon Jungkook.
Malheureusement pour moi, la réaction de mon coéquipier ne fut pas du tout celle que j'espérais.
- Putain, mais qu'est-ce que tu fabriques ? s'offusqua-t-il.
Il passa les quinze minutes suivantes à me faire la morale, à me hurler que je déconnais à plein tube, à me répéter que Yoongi était le suspect numéro un et que parce que j'avais de nouveau le feu au cul, j'allais foutre en l'air toute l'enquête.
Quand il se leva en balançant avec rage une trentaine de dollars sur la table pour payer son repas, je ne cherchais même pas à le retenir.
♠◊♣♡
Le lendemain, je me sentais toujours aussi mal. Le problème, c'est que la journée s'était écoulée sans que je croise Jimin une seule fois. J'accrochai alors Weng qui revenait de faire des photocopies.
- Weng où est Jimin ?
- Aucune idée. Ah au fait, tu es au courant des dernières news ? Choi Siwoo, le barman, ne s'est pas présenté ce matin à sa deuxième audition. Et les mecs de l'informatique ont trouvé de nouvelles preuves incriminant Min. C'est lui qui aurait signé des autorisations pour qu'un van de livraison accède à un des parkings privés sous la chambre forte.
Weng me tendit alors la photo d'une camionnette Ford noire flanquée du logo d'un caviste prise en train de sortir du complexe.
- Ils ont trouvé aussi des transactions suspectes et des mails compromettants. À croire que le mec est débile et n'a pris aucune précaution, ricana-t-il. Demain, il sera probablement de retour dans notre jolie salle d'interrogatoire.
Mon sang se glaça instantanément dans mes veines et je récupérai immédiatement mon téléphone pour tenter d'appeler Yoongi.
Une voix monocorde à l'autre bout du fil m'indiqua que le numéro demandé n'était pas accessible pour l'instant.
- Bordel mais qu'est-ce que...
À peine avais-je raccroché que le nom de Jungkook s'afficha à la place sur mon écran et qu'une voix alarmée me vociférait à l'oreille.
- Bon sang Taehyung, Yoongi est avec toi ?
Nouvelle vague de panique.
- Non, Pourquoi ?
- Ben voilà, tout à l'heure, après lui avoir donné toutes les infos sur le groupe de braqueurs...
- Attends, attends quelles infos ? m'affolai-je soudain,
Jungkook me raconta alors qu'il avait réussi à les retrouver. Je lui demandais d'abréger quand il commença à me parler d'analyse des logs, de métadonnées et de honeypot. Il m'expliqua qu'il avait découvert que les mecs discutaient le plus simplement du monde (tellement con que c'était du génie) via un groupe discord, mais en langage codé. Ils avaient pour pseudos Le Maestro (au vu des conversations c'était lui le hacker), Alpha, Majestic, Titan et Sunshine.
Le sixième n'intervenait dans la conversation que très rarement et se faisait appeler Ghost.
- Quand j'ai dit ça à Yoongi, il a semblé vraiment tomber sur le cul et il m'a fait répéter le dernier pseudo, Ghost. Je lui ai alors demandé s'il avait déjà entendu ça quelque part, et il m'a juste dit : « oui, il y a cinq ans, un peu avant que je quitte New York. ». Puis je lui ai filé les trois adresses que j'avais dégotées et qui pouvaient potentiellement être des planques et il m'a dit qu'il allait jeter un œil.
- Putain ! Jungkook ! Tu aurais dû me prévenir moi en premier ! éclatai-je enfin.
- C'était il y a à peine une heure. Depuis, j'ai essayé de le rappeler, mais j'y arrive pas, répondit Jungkook, sur un ton à la fois penaud et vraiment inquiet.
J'avais un mauvais pressentiment et tous les rouages de mon cerveau étaient en train de se mettre en branle.
- OK Jungkook, soufflai-je. File-moi les trois adresses.
♠◊♣♡
J'arrêtai ma voiture un peu à l'écart, derrière un hangar désaffecté et avisai l'immeuble de bureaux aux vitres teintées. L'endroit semblait vide et le moins que l'on puisse dire c'est que le quartier n'était pas plus animé. Je m'étais rendu à la première adresse indiquée par Jeon, un coin plutôt calme de Paradise Valley, où se côtoyaient quelques petits commerces en décrépitude et quelques résidences proches de la zone industrielle.
J'allais sortir de mon véhicule pour aller discrètement inspecter les lieux quand je l'aperçus en train de se diriger d'un pas rapide vers le bâtiment : la femme de ménage du casino, sosie de Jennifer Lopez.
Elle était affublée d'un perfecto et d'une minijupe rouge. Je la vis scanner la rue des yeux avant de balancer son chewing-gum sur le trottoir pour disparaître ensuite à l'arrière de l'immeuble.
Je décidai de la suivre et tout en essayant de calmer ma montée d'adrénaline, je vérifiai que mon téléphone était toujours sur « vibreur discret » et que mon arme était chargée.
Après avoir grimpé les escaliers, je me retrouvai dans un couloir poussiéreux.
À ma gauche, un open-space. Au fond, une porte donnant sur un nouveau couloir.
Je progressai sans faire de bruit, le souffle court et la sueur coulant à présent le long de mon dos.
Au bout d'une centaine de mètres, à découvrir de nouveaux espaces et à être à l'affût du moindre craquement ou du moindre écho, j'entendis enfin des voix émaner de derrière une porte entrouverte.
- Comment il a fait pour nous trouver ? s'emportait un grand type bodybuildé.
Accroupi contre la cloison, je levai légèrement la tête pour regarder par un petit interstice qui me permettait d'avoir un aperçu de l'ensemble de la pièce.
Bordel, Yoongi était là. Assis sur une chaise, les mains ligotées et l'arcade sourcilière en sang. Autour de lui, trois hommes et JLo se disputaient à présent comme des chiffonniers.
- La star des hackers mon cul ! On doit dégager d'ici en vitesse et détruire tout ça ! aboyait un grand maigre tout en agitant son flingue en direction d'un petit brun à lunettes planqué derrière un mur d'écrans au fond de la pièce.
- Tout ça, c'est votre faute ! rétorqua le binoclard. Je vous l'avais dit que vouloir trop en faire était risqué ! On devrait déjà être dans le jet direction Mexico avec le pognon !
Le troisième homme aussi était armé. Appuyé contre le mur tout près de la rangée de fenêtre, il portait un costume que j'aurais pu acheter moi-même et semblait appréhender la situation de façon beaucoup plus calme et réfléchie que les autres.
OK, alors là, il était temps de faire les choses bien et dans les règles. Seul, je risquai de mettre en péril non seulement la vie de Yoongi mais aussi la mienne. On n'était pas dans l'Arme fatale ou dans Piège de cristal.
Je me repliai dans un couloir adjacent qui me permettait quand même d'avoir un visuel et attrapai mon téléphone. Mon sang pulsait contre mes tempes et mon cœur battait à cent à l'heure. Debout derrière le coin du mur, je jetai des regards affolés en direction du petit groupe de braqueurs qui continuaient à s'agiter dans la pièce.
J'appuyai alors sur le nom de Jimin dans ma liste de contacts.
Un long soupir agacé m'accueillit tout d'abord à l'autre bout de la ligne
- OK Kim...Qu'est-ce que tu veux ?
- Jimin, écoute-moi bien attentivement, chuchotai-je en tentant de maîtriser ma respiration. Je crois avoir retrouvé les types qui ont braqué le casino. Et je suis en ce moment même dans leur planque.
- Bordel de merde, Tae, tu déconnes ?!??
Je lui fis alors rapidement un résumé de la situation et Jimin me demanda tout de suite si j'avais déjà appelé les renforts.
- Non. Je suis juste entré pour vérifier. Je suis planqué dans une des pièces à côté de l'endroit où ils se trouvent avec tout leur matos, mais je n'ai pas encore localisé où était l'argent ni même s'il est ici.
- OK bouge pas je m'occupe de contacter la cavalerie. Et surtout, tu ne tentes rien seul, tu m'entends !!! Tu te planques et tu attends qu'on arrive !!!
- OK, je te donne l'adresse. C'est au 6401 Lincoln Drive. Un immeuble de bureaux abandonné. C'est bon Jimin ?
Pas de réponse.
- Jimin ? Tu es toujours là ?
- Oh oui, je suis là, Kim.
Sauf que cette fois, la voix de mon coéquipier résonnait dans mon dos et que le canon d'un revolver appuyait tout contre ma nuque.
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