Une longue cape brune sur les épaules dont la capuche lui couvrait le visage, Jisung poussa la porte de l'auberge de fortune. L'odeur d'alcool, de crasse et d'urine qui s'en dégageait était plus qu'incommodante, et s'il avait pu il aurait tout donner pour se trouver à un autre endroit. Prince héritier du royaume, Jisung avait été écarté du trône par son demi-frère, jaloux de la position qu'il occupait. Le jeune prince, aveuglé par l'affection qu'il portait à son aîné n'avait pas soupçonné la trahison et lorsque celle-ci s'était produite, il était déjà trop tard pour agir. Jisung avait dû fuir, accompagné de sa garde rapprochée et de ses fidèles. La nouvelle de son éviction s'était répandue comme une trainée de poudre sur les terres royales et une guerre civile semblait sur le point d'éclater.

Jisung serra les poings. Il s'en voulait terriblement et regrettait sa naïveté passée. Heureusement il lui restait des fidèles, il était apprécié d'une bonne partie des nobles, était le seul enfant du roi et de la reine donc il avait une certaine légitimité et le peuple l'adorait. Il était de notoriété publique que le jeune prince se rendait régulièrement sur les terrains de ses sujets pour leur apporter son aide et s'enquérir de leurs pensées. A l'inverse, Jaehyun recevait le soutien de l'autre partie des nobles mais également du royaume voisin dont sa mère, l'une des concubines du roi, était originaire. Ancienne princesse, elle avait gardé de précieux contacts là-bas dont elle se servait pour aider son fils à asseoir sa présence sur le trône.

Les ongles de Jisung s'enfoncèrent dans la paume de ses mains alors que de pénibles souvenirs se rappelaient à lui. Jaehyun et sa mère n'avaient pas hésité une seule seconde, pour obtenir le pouvoir, à assassiner le roi et la reine. L'ancien héritier favori serra les dents. Il n'était pas très proche de son père, il répondait simplement à ses attentes et parlait politique avec lui, mais il n'y avait pas de réelle affection. En revanche, il avait été très proche de sa mère. C'était une femme à la fois douce et forte, très fière de son fils et attentive à son bien-être. Elle avait toujours été là pour lui et de savoir qu'il ne la reverrait plus jamais, que le dernier souvenir qu'il en gardait impliquait son corps gisant au milieu d'une marre de sang lui donnait envie autant de vomir que de pleurer. 

Une main sur son épaule le fit tressaillir et il jeta un regard en arrière. Jaemin, son escorte et ami proche depuis des années lui montrait une fois de plus son soutien sans faille. Jisung le remercia d'un sourire triste et lui pressa l'avant-bras en retour. Il ne devait pas oublier qu'il n'était pas le seul à souffrir dans cette histoire, Jaemin avait également le cœur brisé et portait le poids d'une intense culpabilité sur ses épaules. C'était en se servant de lui et en lui faisant miroiter une belle romance que Jaehyun avait réussi à infiltrer les appartements du prince pour s'emparer de sa vie. Heureusement, Jaemin avait eu de bons réflexes et réussi à éviter de le pire, mais il se sentait coupable. Il n'avait aucune intention de trahir son prince et ami, mais c'était ce qu'il avait fait. Pourtant, Jisung ne lui en voulait pas le moins de monde, après tout il n'était pas sûr de comment il aurait lui-même réagi s'il avait été dans la même situation et le chevalier lui avait sauvé la vie. De justesse, certes, mais il l'avait fait et c'était le plus important.

— Tu es certain qu'il est là ? 

— Oui, nos informations viennent directement de la guilde des assassins. Leurs services ne sont pas donnés et je sais que vous ne vouliez pas passer par eux, mais en échange d'argent ils donnent des informations d'une grande précision.

— Et si jamais il ne veut pas nous aider ? Qu'est-ce qu'on va faire Jaemin ?

— Vous êtes le prince, il vous doit obéissance et loyauté. Il n'a pas le choix que de vous obéir.

Jisung baissa la tête, il n'avait pas la même assurance que Jaemin. Son chevalier lui vouait une sorte de confiance aveugle dont il ignorait la provenance et lui attribuait des mérites qu'il n'avait pas. Jisung n'était pas un lâche, il était même un jeune homme courageux qui ne craignait pas de donner de sa personne pour faire en sorte que son peuple se porte au mieux, mais il était loin d'être infaillible et doutait régulièrement de ses capacités. Auparavant il pouvait compter sur sa mère et son demi-frère pour le rassurer, mais à présent il était seul. La première avait péri dans de tragiques circonstances et le second lui avait planté une épée dans le dos.

— J'espère que tu as raison, parce que je n'ai aucun moyen de le contraindre s'il refuse, murmura le prince déchu. Je ne suis qu'un exilé dont la tête est mise à prix pour une somme indécente.

— Je vous protégerai, et si je dois user de la force pour qu'il nous suive alors je le ferai.

Un petit sourire étira les lèvres de Jisung mais il se retint de dévoiler le fond de sa pensée. Il appréciait beaucoup Jaemin et il lui faisait confiance, mais étrangement il n'était pas certain que le jeune chevalier puisse réellement forcer l'ancien stratège principal du roi à quoi que ce soit. Il avait plus de chance pour que Jaemin soit celui qui se retrouve blessé et Jisung préférait éviter ce cas de figure. 

Le jeune homme laissa son regard brun parcourir les quelques tables de l'établissement. En bois brut, couvertes de tâches et de liquides alcoolisés, elles dépaysaient Jisung qui était habitué à un tout autre mobilier. Mal à l'aise, il ne se sentait pas à sa place et espérait trouver rapidement l'homme qu'il était venu rencontrer. Jaemin tapota deux fois sur son épaule et lui indiqua un emplacement dans un recoin de la salle. Un homme seul s'y trouvait et Jisung reconnut l'ancien stratège pour l'avoir déjà croisé quelques fois dans les couloirs du palais. Prenant son courage à deux mains, l'ancien prince s'avança en faisant attention à ce que personne ne puisse apercevoir son visage. Tant qu'il ne savait pas qui était un allié et qui était un ennemi, il préférait éviter de prendre des risques inutiles. Il n'était pas contre se sacrifier pour les autres, en revanche il n'avait pas prévu de mourir bêtement à cause d'un excès de confiance qu'il était bien loin de ressentir.

Il sentait que Jaemin était tendu, le chevalier avait la main sur la garde de son épée et se tenait prêt à s'en servir. Jisung prit une profonde inspiration, il espérait ne pas en arriver là. Il toussota pour attirer l'attention de l'homme et désigna la chaise qui lui faisait face d'un mouvement de la main.

— Puis-je m'asseoir ?

— Vous me regardez depuis tellement tous les deux que je n'ai pas la sensation de pouvoir refuser, ça serait comme marcher sur un mendiant.

Jisung se rembrunit, offusqué. Il était peut-être déchu mais il restait un prince et être insulté de la sorte ne lui plaisait pas du tout. Il tira brusquement la chaise vers lui et s'y laissa tomber. Silencieusement, il détailla son vis-à-vis qui ne lui accorda aucune importance, occupé à boire une chope d'un alcool à l'odeur nauséabonde. Il ne devait pas en être à son premier si Jisung se fiait à son regard légèrement brillant. 

Yuta Nakamoto était issu d'une famille noble avec une influence restreinte, il n'était pas destiné à faire parler de lui avant que son talent pour la stratégie et la guerre ne fasse de lui le plus jeune stratège de l'armée du royaume, puis par la suite le conseiller du roi. Digne, à la limite de l'arrogance, il portait fièrement les couleurs de sa famille et du royaume et Jisung s'était même surpris à l'épier plusieurs fois pendant l'adolescence. Yuta était un très bel homme, d'à peine six ans son aîné, et l'armure lui seyait tout particulièrement. Jisung s'entrainait particulièrement dur lorsqu'il était au château et il avait réussi à quelques rares occasions à recevoir des compliments de sa part. Son cœur se mettait à battre un peu plus fort en sa présence, ses joues à chauffer, et c'était de cette manière que Jisung avait compris qu'il était tombé amoureux pour la toute première fois de sa vie. Un amour impossible qui n'avait pas eu la moindre chance, puisqu'à vingt-cinq ans Yuta avait disparu après une simple démission. 

Quatre ans plus tard, il ne ressemblait plus vraiment au chevalier merveilleux des souvenirs du prince. Une barbe de plusieurs jours lui mangeait le visage, ses yeux étaient injectés de sang et cernés, comme s'il n'avait pas dormi depuis des jours et il se tenait vouter sur sa chaise. Le si merveilleux stratège royale n'était plus que l'ombre de lui-même et cette vision brisa le cœur de Jisung qui trouvait son plan initial de plus en plus bancal. Yuta releva le regard et le plus jeune sut instantanément qu'il se souvenait de lui.

— Que puis-je faire pour votre altesse ?

— Moins fort, siffla Jaemin qui tenait à préserver l'identité de son prince.

— Bien, qu'est-ce que tu fais là Jisung ? reprit Yuta en souriant sarcastiquement. C'est mieux ?

Les joues du prince chauffèrent et il se racla la gorge pour reprendre contenance. Lui qui pensait que ses sentiments d'adolescent étaient bien enfouis, qu'il n'y avait aucune chance pour qu'ils remontent à la surface, se surprenait à réagir comme une jouvencelle.

— Sir Nakamoto, nous avons besoin de vos talents.

— J'ai pris ma retraite, je ne travaille plus pour personne. Même pour la famille royale.

— Vous ne pouvez pas ignorer ce qui se passe actuellement dans notre pays, reprit plus froidement Jisung. Mon demi-frère s'est emparé du trone après avoir assassiné le roi et la reine, je me suis enfui de justesse mais il ne s'arrêtera pas tant qu'il ne m'aura pas transpercé le cœur. Le peuple souffre déjà de ses agissements, il fait exécuter tout ceux qui se mettent sur son chemin, il pratique la torture comme un amusement et il a déjà décidé d'augmenter les taxes. Le peuple ne survivra pas à son règne.

Jisung pensait chacun des mots qu'il pensait et ses mains, à plat sur la table, se serrèrent de colère. Il savait qu'il était fait pour régner, non pas parce qu'il le voulait mais parce qu'il avait été éduqué et formé dans ce but. Son père et ses précepteurs avaient fait en sorte de lui inculquer les valeurs d'un bon roi, il savait qu'il devait prendre soin de ses terres et de ses gens, qu'ils étaient le cœur du royaume. 

— En quoi est-ce que ça me concerne ? Je ne suis qu'un homme du peuple comme un autre.

Le prince déchu déglutit, Yuta ne faisait aucun effort pour s'intéresser à la situation, c'était comme si rien ne le touchait. Si son peuple ne dépendait pas de lui, Jisung n'aurait pas cherché à insister, il aurait trouvé une autre solution, cependant elle était celle avec le plus de chance de réussit et il ne voulait pas de morts inutiles. Il ne voulait déjà pas de guerre, mais Jaehyun ne lui laissait pas le choix. Soit il mourrait et une guerre civile s'ensuivrait car le peuple ne supporterait pas la dictature de son frère, soit il se battait avec son peuple pour remonter sur le trône. 

— J'ai besoin du grand stratège ayant guidé mon père à la victoire pour vaincre Jaehyun et reprendre ma place. J'ai besoin de vous pour gagner cette guerre et ramener la paix dans mon royaume.

Le visage de Yuta se métamorphose et l'ennui disparut pour ne laisser qu'une virulente colère. L'homme frappa la table de son poing et se redressa pour dominer Jisung. Ce dernier entendit Jaemin commencer à dégainer son épée mais d'un discret signe de la main il lui demanda de la ranger.

— La guerre ? Tu ne sais absolument pas de quoi tu parles. Tu as trois poils au menton et un sur le manche et tu crois tout connaitre. Tu ne sais rien de la guerre, rien du champ de bataille, alors n'en parle pas comme d'une simple formalité pour reprendre une place confortable.

— Je ne le mentionne pas avec plaisir, grinça Jisung, mais bien parce que je n'ai pas le choix. Vous pensez que ça me fait du bien de savoir que des hommes et des femmes vont mourir par ma faute ? Que le pays sera en ruines après ça ? Je n'ai pas le choix, sauf si vous avez une autre solution. A moins que vous ne pensiez que Jaehyun fera un bon souverain, dans ce cas-là je vous connaissais vraiment mal et je vous prie de m'excuser.

Yuta le toisa froidement.

— Et que penses-tu savoir de moi au juste ?

— Je pensais que vous teniez aux vôtres, à votre patrie et aux hommes qui ont combattu à vos côtés. Je pensais que votre serment de chevalerie avait de la valeur, que vous étiez digne de confiance et clairvoyant. Je pensais pouvoir compter sur vous... comme je le faisais plus jeune. Vous étiez mon modèle, plus que n'a pu l'être mon père. Je voulais vous ressembler, je voulais être aussi brave, qu'on me regarde avec les mêmes étoiles dans les yeux. Je voulais pouvoir pousser les gens à être meilleurs, je voulais protéger les miens, comme vous le faisiez. 

Jisung baissa la tête pour camoufler les larmes qui lui montaient aux yeux. Il ne voulait pas de tout ça, il n'avait pas les épaules assez solides pour supporter autant de responsabilités, encore moins tout seul. Jaemin posa une main réconfortante sur son épaule mais le prince la sentit à peine.

— Je ne comprends pas pourquoi vous êtes devenu comme ça... vous étiez parfait. Maintenant vous vous soulez au fond d'une taverne miteuse, vous n'avez plus rien de l'homme que j'admirais.

— C'est pour ça qu'il ne faut pas s'accrocher à des chimères, la chute est rude.

Yuta soupira et repoussa ses longs cheveux noirs hors de son visage. Il paraissait bien plus fatigué et âgé qu'il ne l'était réellement.

— Pour répondre à ta question, j'ai chuté en enfer. Je pensais me battre pour le meilleur, que j'avais le bon rôle, mais un jour je suis allé sur le champ de bataille et j'ai compris que j'avais tort. Je n'étais pas un sauveur, j'étais un bourreau. Est-ce que je protégeais les miens ou j'attaquais les autres ? La frontière était si fine que je ne pouvais pas continuer à me voiler la face, je l'avais forcément déjà franchie à un moment ou un autre. C'est là qu'ils ont commencé à me hanter, tous ces morts dont j'étais responsable. Alors je suis devenu un méprisable ivrogne, j'ai quitté mes fonctions, mais c'est ma manière d'oublier. 

Jisung baissa la tête, un goût de bile dans la gorge. Il se sentait à présent coupable et regrettait les accusations portées un peu plus tôt. Il comprenait l'état de Yuta, il n'avait pas encore combattu lui-même mais il ressentait déjà le poids des défunts sur ses épaules. Il ne pouvait pas forcer l'ancien stratège à le rejoindre dans cette guerre. Il y serait certainement trainé de force quand elle éclaterait mais Jisung ne voulait pas être celui qui le pousserait à reprendre les armes. Yuta était fissuré, il ne souhaitait pas être celui qui allait définitivement le briser et, même s'il savait que l'avenir de son peuple allait être influencé par sa décision, il abandonna. Le prince déchu se leva de son siège et s'inclina légèrement.

— Merci de nous avoir accordé un peu de votre temps, je n'insisterai pas plus.

Yuta, tout comme Jaemin, fut surpris par l'acceptation de l'héritier évincé et son regard suivit chacun des gestes de Jisung qui époussetait sa cape. Un sourire triste releva les coins de la bouche du prince, il était las mais il comptait se saisir de cette occasion pour vider tout ce qu'il avait sur le cœur. Il ne survivrait peut-être pas à sa tentative de reconquête du trône alors s'il devait mourir autant que cela soit sans regrets. 

— Je vous ai admiré, je vous ai aimé, sincèrement, alors je suis vraiment désolé de ne pas avoir remarqué votre mal-être et de n'avoir rien fait pour vous aider. Je n'insisterai pas, mais si vous changez d'avis et souhaitez nous rejoindre alors demandez à la guilde des assassins. Ils sauront comment me contacter. Prenez soin de vous, Yuta.

Jisung ajusta sa capuche et sortit de l'établissement sans attendre une seconde de plus. Il ne voulait pas entendre de réponse, il devait avancer. Peut-être que Yuta lui viendrait en aide, peut-être qu'il mourait avant. L'avenir était incertain et Jisung exhala un souffle tremblant : il avait peur. 

Nda :
Hello ! Je suis plutôt contente de mon pairing j'avoue ! Je vous laisse avec une fin ouverte, mais ça ne veut pas dire que c'est la fin de l'aventure 👀
Je vous laisse avec Salia pour le prochain !
Dalion~ Kiss :3