9. La nuit, tous les chats sont gris
Un bruit à ma droite, lorsque je sors de la discothèque. Un homme soûl, charmant. Il avance vers moi à pas hésitants, prononce un "Mademoiselle?".
Alors je m'arrête, car je manque de contact humain depuis un bon bout de temps et peut-être, peut-être que cette fois-ci il n'y aura pas de problèmes. Peut-être que l'on partagera juste un bout de vie, assis sur un banc, jusqu'au matin. Ce serait beau, ce serait vrai.
À la lumière blafarde du lampadaire, je le distingue. Un sourire tordu mais gentil compense aux habits sales et usés. J'esquisse un vague coucou de la main, lisse ma jupe d'un mouvement machinal avant de m'asseoir, à même le sol. Il se marre d'un rire de fumeur, je tire la langue. Une vraie enfant, je sais.
Dix minutes passent: lui, il rit en me regardant. Moi, je lui offre un sourire facile, avant de lui demander, dis tu veux t'asseoir? J'ai froid moi, seule comme ça. Il ne bouge pas, ne dit rien. Je raconte alors, de tout et de rien. Les délires habituels, à trois heures du matin, mais aujourd'hui c'est différent.
Je lui raconte des souvenirs éparpillés, lui parle des gens que j'ai aimé. Il acquiesce, car lorsqu'on rencontre un étranger la nuit, ses souvenirs sont les nôtres.
Il était là, au Dalton Terror, lorsque j'ai vomi sur mon premier amoureux. Il était là, à cet anniversaire où j'ai pleuré pour un jouet que je ne pouvais pas avoir. Il était là aussi, quand j'ai vu mon père pour la dernière fois à l'hôpital, des larmes perlant au bout de mes cils.
À un moment je n'ai plus rien à dire. Je me tais, lui laisse l'espace pour s'exprimer. Il détourne les yeux, mal à l'aise peut-être, puis il se lance.
Son corps tourbillonne dans la nuit, il m'épate sans même un bruit. Au fil de cette terrible danse il s'éloigne, loin de cette maigre lueur rurale, alors je le suis, loin de la musique populaire et des maisons délabrées. Il atterrit dans un champ qui semble labouré spécialement pour nous.
La pluie se mêle à la terre, pourtant aucun de nous ne s'empêtre dans la boue. Son histoire continue, tragique.
Après une éternité qu'est la vie, il arrête de danser. Je chiale comme quand j'avais cinq ans, alors en passant devant moi il essuie furtivement mes larmes du pouce avant de s'éloigner, à pas mesurés.
Il disparaît après le coin, je ne tente pas de le suivre, à quoi bon?
Un rapide coup d'œil au ciel m'indique que la nuit est passée. Les couleurs sont revenues, et avec elles mon identité. Une écharpe orange vif, une mini jupe bleue délavée, un t-shirt jaune.
Je n'ai jamais vu ses couleurs au final.
La nuit, on est tous gris.
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