3. Distance Brisée
- Je t'envoie des good vibes et de l'amour par la poste en colis express !
- Envoie toi avec je te veux!
- Le postier a dit que je suis trop lourde. C'est pas grave je vais trouver un moyen !
J'appuie sur envoi, un tendre sourire s'installe sur mes lèvres. Si seulement. Si seulement je pouvais sortir de chez moi et le voir, dans un quart d'heure. Je pense à mes obligations, les personnes que j'aime présentes ici, le manque d'argent et de pratique, le (ou la) covid-19... Bien vite, mon sourire s'efface.
Comme souvent, l'espoir de m'évader et de le trouver m'envahit. Je réfléchis un instant, donnant du crédit à une idée bien trop folle, bien trop risquée pour être réalisée. Mais impossible n'est pas dans mon registre, et bien vite je me sens pousser des ailes. Avec l'énergie de mon projet, je me lance dans les recherches.
J'ouvre Google, vérifie mon compte en banque. 360 euros, c'est peu. Tant pis, le TGV ne coûte pas cher selon moi. J'ai à peine eu le temps de me rappeler de l'adresse de mon meilleur ami que, déjà, maman attrape mon téléphone.
- Allez au dodo ma grande il est 21 heures!
- Attends, laisse moi lui dire bonne nuit!
Elle soupire, me tends mon téléphone.
- C'est dingue que tu lui dises bonne nuit tous les soirs, vous n'êtes pas en couple à ce que je sache.
Je roule des yeux, renonçant à lui expliquer. Aucune personne autre que lui et moi comprenons notre amitié, et encore parfois je m'y perds. Je salue mon correspondant préféré rapidement, câline maman et colle un bisou sur la joue de mon beau-père. Je monte dans ma chambre, et attrape mon cartable. Je le vide de toutes mes affaires de cours et m'active, dans le silence de la soirée, à rassembler tout ce dont j'ai besoin. Mon argent, mon portefeuille, mon ordinateur et mon chargeur, fourre quelques habits de fortune dans un sac et réfléchis.
Fuguer.
Ce mot, irrémédiablement associé à l'adolescence, m'attire autant qu'il m'effraie. Il est dangereux, surtout à 14 ans lorsque l'on part visiter un ami dans un autre pays sous un coup de tête impulsif. Les possibilités de tout ce qui pourrait se passer de mal défilent en boucle dans ma tête, je soupire. Tant pis si je mets tout sens dessus dessous, je n'en peux plus de ne pas pouvoir entendre sa voix pour de vrai, je suis fatiguée de m'user les yeux avec un téléphone. Décision prise.
J'écris une longue lettre à ma main, lui demandant de ne pas s'inquiéter. Dans une semaine je reviens maman, une semaine seulement. Ne te fais pas de souci...
23 heures. Ils doivent dormir maintenant. J'attrape un masque, glisse mon bullet journal dans mon sac bourré et pars silencieusement hors de ma chambre. La lettre est posée bien en évidence sur mon bureau. Je pose mon ordi et mon téléphone dans la housse de mon portable et sors dans la nuit fraîche. L'air est doux, il n'y a aucun nuage. Ça tombe bien, je dois arriver à avoir le dernier train en direction de Bruxelles. Le couvre feu est passé, je le sais mais je me cacherai.
Une demie heure plus tard, je suis réfugiée sous l'abri à vélo de la gare. J'ai raté le train, il ne me reste plus qu'à dormir un peu et prendre le train vers Bruxelles à six heures du matin. Je règle l'alarme de mon téléphone et tente de dormir, en vain.
Après une longue éternité, le désagréable réveil de mon téléphone me fait ouvrir les yeux. Ma joue est marquée des empreintes de cailloux, je suis fatiguée. Mais au moins je suis sèche. Je monte dans le train et réussis à passer inaperçue entre le peu de voyageurs. Entretemps, j'achète mon ticket de TGV. Prochain arrêt, Paris.
Je me presse entre les gens pour acheter un croissant et un smoothie à la vanille. Il n'aime pas la vanille, étrangement ce souvenir me fait rire. Et quand je ris avec du liquide en bouche... Et bien je crache. Le monsieur à côté de moi se trouve arrosé, il le fusille du regard. Je marmonne un "Pardon" gêné et me sauve à la voie 21. En attendant mon train, je le salue.
- Coucou ! Ça va ?
- Coucou, oui et toi ?
- Très bien !
Avant qu'il puisse répondre, j'éteins mon téléphone. Je suis censée être à l'école, je peux donc l'ignorer sans crainte. Voyez-vous, je ne sais pas lui mentir et il ne peut pas savoir ce que je fais. Le train à grande vitesse arrive enfin, j'embarque en souriant. Durant tout le chemin je m'informe sur la manière d'arriver à Angoulême depuis Paris, et je tiens mon plan. J'achète encore quelques tickets de train et de bus, il ne me reste plus que 203 euros. Que mon compte en banque repose en paix.
Une fois à Paris, je me délecte de macarons avant d'embarquer dans le prochain train, destination Poitiers ! La fatigue m'assaille et je m'assoupis, confortablement nichée dans mon siège. Je me réveille une fois que le conducteur a annoncé notre arrivée, et je sors. Sur le quai je vérifie de n'avoir rien oublié et par chance tout se passe pour le mieux. J'embarque dans mon prochain train une demie heure après, et je réponds au coup de téléphone furieux et inquiet de maman.
Je retiens mes sanglots et lui explique tout mon voyage d'une voix fatiguée.
- Excuse moi maman, je ne veux vraiment pas que tu t'inquiètes je... Je gère, tout va bien.
- Je suis morte d'inquiétude !!! Dès que tu rentres, je te tue !
- D'accord maman... Je t'aime, je reviens dans une semaine.
Je raccroche avant qu'elle ne puisse répliquer et dors encore un peu. Bien vite, la faim ronge mon estomac et je pars en quête d'un wagon restaurant. Par chance, je le trouve et m'achète un sandwich au jambon. La femme derrière le comptoir me questionne du regard, mais je garde obstinément les yeux baissés en machouillant ma nourriture.
Checker mes messages, converser avec lui une dizaine de minutes, appuyer les ongles contre mon pouce pour éviter de stresser. Chaque étape plus près de lui me rend euphorique et nerveuse à la fois, j'ai peur que finalement il me trouve nulle et inintéressante. Après dix mois d'amitié sur internet, je doute encore, j'ai encore peur de son avis. Et s'il était occupé, pas disposé à me voir ?
Une fois à Poitiers, je cherche nerveusement un taxi. Si je finis morte et coupée en morceaux à cause de cette dame conduisant mon Uber, j'espère au moins qu'il sera mis au courant. Il est hors de question qu'il pense que je l'ai abandonné !
- Dis moi jeune fille, où vas-tu ainsi, seule ? Ton accent n'est pas d'ici, tu viens de Belgique ?
- Non, ma famille a seulement un accent particulier. Je vais voir ma grand-mère qui habite près d'Angoulême voilà tout.
Je lui souris angéliquement, ressortant mes talents d'actrice pour donner un ton poli, gentil et véridique à ma voix. Elle ne fait qu'hocher la tête, comprenant sûrement que je ne lui en dirai pas plus.
Je finis sur un trottoir d'Angoulême, il fait froid et il pleut. Bon, il fallait bien que ça arrive. Maman m'appelle à nouveau, elle demande des nouvelles et je coupe court à la discussion lorsque je remarque que ma batterie de téléphone est dangereusement faible.
Fiévreusement, je cherche le bon bus. J'ai pris froid, j'éternue et je grelotte mais je refuse d'abandonner. 17 heures, ses cours se terminent. Je finis par embarquer à bord d'un bus rempli de monde, et je sens les nerfs me remplir. Je lui envoie quelques messages, essayant comme je peux de paraître normale. Les nerfs m'assaillent, l'excitation aussi. Je donnerais n'importe quoi pour me blottir dans ses bras, sèche et en bonne santé. Avec un peu de patience, ce moment viendra rapidement.
Le sourire que j'arbore me vaut des regards intrigués, mais j'ignore tout et tout le monde. Il est 18 heures, j'ai réussi à atteindre son quartier. J'utilise mes derniers restes de batterie pour que Google maps m'indique la route de sa maison.
Je cours, je vole presque, comme si le diable était à mes trousses, vers sa maison. Je le vois, il arrive de l'autre côté, l'air las et fatigué. Je m'arrête à quelques mètres de lui, les larmes envahissent mes joues par milliers rien qu'en le voyant. Il finit par relever la tête de ses pensées et de sa musique, et me fixe étrangement quelques secondes.
Je le regarde dans les yeux, fiévreuse, à bout de souffle et en pleurs, je n'ose rien faire. Mais je n'ai qu'à attendre qu'il comprenne que c'est moi, que je suis là comme je lui ai promis, pour qu'il me saute au cou en murmurant des choses que je ne comprends pas. Je le serre dans mes bras, ses larmes salées inondent mon cou.
Je suis là.
Avec lui.
Comme je lui ai promis.
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