Ménage de printemps


Quand nous nous décidons à faire un grand ménage de printemps, nous vivons toujours différentes émotions :

- L'envie d'avoir enfin une place nette

- La motivation à son plus haut niveau au réveil

- Le besoin de ranger ce tas créé par notre procrastination : le fameux "nous verrons plus tard"

- L'agacement de retrouver cet objet perdu que nous avons dû racheter

- Le dégout devant un tas de saleté caché derrière un tas de bazar

- L'énervement de ne pas avoir rangé au jour le jour

- L'émergence de nouvelles résolutions (vite oubliées dès le lendemain)

- La fatigue car la tache prévue est trop ardue

- La nostalgie lorsque nous retombons sur un objet oublié


Quand nous nous décidons à faire ce grand ménage, nous retrouvons pêle-mêle : 


la première mèche de cheveux coupés de notre bébé... Nous nous souvenons de cette tignasse que nous aimions caressée, de cette décision difficile à prendre : couper ses jolies petites boucles d'enfance, de l'odeur forte de l'ammoniac du salon, de ses cheveux qui grattent sous les vêtements, de ce petit bout qui n'était pas vraiment d'accord pour se laisser faire, de cette chanson que nous avons répétée pour lui changer les idées... Nous nous souvenons de ce visage différent apparu à la suite de la coupe, visage plus grand, plus mur, plus petit garçon. Nous nous souvenons de ce pincement au cœur et de cette pensée aussi irrationnelle qu'effrayante : mais si nous perdons notre bébé, nous ne saurions pas le reconnaitre...


Un petit bout de plastique rouge, souvenir d'une aile de voiture de sport que notre petit garçon a fait rouler sur le sol pendant de longues heures. Nous nous souvenons évidemment de cette colère mémorable (dont nous avons oublié la raison), qui a vu cette voiture voler et se briser contre un mur, celui de la salle de bain probablement. Nous avons essayé de lui expliquer les sentiments forts qui l'habitaient et pourquoi s'en prendre à cet objet était inutile et bête... Nous ne laissons pas un jeu en plastique brisé à un enfant, il pourrait se blesser avec, alors cette voiture a été envoyée à la déchetterie. Nous nous souvenons de cette nouvelle colère lorsque l'enfant comprend le sort du véhicule abimé...


Une petite pince à cheveux, noire, à laquelle il manque quelques dents : cela nous rappelle ces longues heures assisses sur le canapé à allaiter notre nouveau-né, le sein douloureux, la main posée sur la courbure du sein, ses yeux plongés dans les nôtres dans lesquels nous lisons un amour et une confiance absolus, nos cheveux retenus par cette pince pour qu'ils ne lui tombent pas sur le visage. Ces instants hors du temps resteront gravés en nous pour toujours, nous espérons que ce seront les derniers que nous oublierons avant la fin. Cette impression de bulle formée à deux, qui nous entoure et nous protège du monde extérieur, ces minutes de partage et d'amour, d'échange de regards, de plénitude totale...


Cette peinture faite avec amour et patience, enfant, pour l'offrir à Noël à grand-mère, pour décorer sa nouvelle chambre dans cette nouvelle demeure, qui fut peu un lieu de retraite mais plutôt un mouroir. Alors, ce dernier noël en famille nous revient en tête, nous étions trop nombreux pour cette petite pièce, assis les uns sur les autres, nous nous tenions chaud. Quelques soient les conditions, nous ne l'aurions pas laissée seule. Cette odeur de vieux qui dépérissent, qui nous assaillait les narines dès que nous passions la porte d'entrée. Cette annonce, à peine deux mois plus tard, de son décès. Cette dernière visite, dans cette petite pièce sombre, son corps allongé, reposé, endormi pour l'éternité...


Ce vieux châle beige rangé au fond d'un carton lors du dernier déménagement et oublié depuis. Ce châle offert par grand-mère pour le spectacle de fin d'année de l'école (nous ne parlons plus de kermesse maintenant, quelle est la différence, nous ne savons guère). Ce châle que nous avons porté nombres de fois pour garder son odeur avec nous, pour ne pas oublier, pour sentir se présence, son amour inconditionnel... jusqu'au jour où nous découvrons que notre odeur a pris toute la place.... Ce châle beige, fait en laine, mais surtout fait main. Fait avec amour par notre grand-mère, quand et comment nous ne le savons pas mais nous pouvons l'imaginer. Était-ce pendant les longues soirées d'hiver au coin du feu ? Était-ce pendant les vacances, assise sur la plage, à regarder les enfants s'amuser ? Etais-ce un travail de journée classique entre la gestion des repas et des siestes des petits ? Nous ne le saurions jamais. Elle est partie trop tôt pour que nous lui demandions. Est-ce seulement elle qui l'a tricoté ? Était-ce son châle ou celui d'un proche qui lui avait été transmis ? Nous pouvons tout imaginer : elle pourrait l'avoir hérité d'une tante ou de sa grand-mère elle aussi, et l'avoir chéri pendant de longues heures... peut-être l'a-t-elle porté pour garder son odeur mais qu'un jour elle a réalisé que cette ancienne odeur avait disparu, remplacée par la sienne ?


Ces nappes rangées dans le fond d'une caisse, qui servent pour les fêtes de famille. Au-dessus de celles-ci se trouvent celles que nous avons cherché pendant des heures, dans les vide-greniers et autre dépôt-vente d'Emmaüs, pour dresser les tables de notre mariage. Nous n'avions pas vraiment choisi de thème comme c'est devenu la mode dernièrement. Ou plutôt un thème s'est imposé à nous lors de nos préparatifs : être zéro déchet ou presque. Nous nous sommes plutôt bien débrouillés, il faut l'avouer, notamment grâce à toutes ces napes en tissus lavables. Nous n'avions pas encore récupéré les nappes de mes grands-parents à cette époque-là. Mais aurions-nous osé les utiliser ? 

Ces nappes évoquent pour nous les dimanches après-midi chez eux. La tradition familiale voulait que nous venions pour le gouter, après la sieste de enfants. Nous y allions parfois à vélo, quand il faisait beau, sinon, c'était en voiture. Lorsque nous étions petits, nous y dinions tous les dimanches. Nous ne nous en souvenons plus. Cependant, nous nous rappelons très bien les gouter dominicaux. Lorsque nous étions enfants, nous avions plusieurs options possibles : jouer dehors s'il faisait beau, jouer au babyfoot dans le garage s'il faisait gris. Parfois même nous avions la télé allumée, mais c'était plus rare. Généralement, elle était allumée lorsqu'il y avait du sport, et surtout les grands prix de formule un. Nous n'avons jamais compris l'intérêt de ce sport. A quoi est-ce que cela sert de faire un nombre incalculable de tours sur une route prédéfinie pendant des heures et des heures ? Notre côté écolo s'énervait aussi : que de gaspillage d'essence, de pneu, que de pollutions... pour nous ce n'était pas un sport, et ce n'était pas digne d'intérêt. Nous pouvions aussi jouer à des jeux, le Monopoly notamment. Mais ce n'était pas non plus notre jeu de société préféré...

Lorsque nous arrivions chez mes grands-parents les premiers, nous aidions à installer la salle à manger. Nous enlevions tout ce qui était posé sur la table pendant la semaine et nous installions la fameuse nappe de protection blanche épaisse, moche, dont nous ne supportions pas le toucher. Puis, nous posions par-dessus les fameuses nappes en tissus. Elles étaient de couleurs pastelles dans des tons oscillants entre le rose, le violet, le bleu. Ces nappes étaient très fines et avaient une grande capacité à glisser et à mal se poser sur la table. Elles se rebellaient avant même leur service. Puis, nous installions les chaises, les verres, les bouteilles, les petits gâteaux... 

Nous suivions une tradition bien établie pour ces gouter, d'abord nous grignotions des petits gâteaux (ah ces petits gâteaux, j'adorais lorsqu'ils achetaient ces sortes de fines gaufres couvertes de sucres qui croustillaient sous les dents). Ils étaient accompagnés d'un verre de vin blanc ou de cidre pour les adultes. Lorsque l'assiette de petits gâteaux étaient vides, le café était servi pour accompagner LE gâteau. C'était un de mes moments préférés de la semaine : déguster le gâteau de pépé. Ces tartes aux pommes étaient des délices... réputées auprès de tous ceux qui avaient eu la chance d'y gouter... tout était fait main, avec les produits du jardin, cuisinés avec amour. Nous n'en avons jamais mangé d'aussi bonne depuis. Évidemment l'effet "madeleine de Proust" joue, mais pas uniquement : ce mélange de tarte croquante et fondante, sucrée juste ce qu'il faut avec des fruits doux et fondants... un pur délice. Le décrire me fiat saliver. Hélas, il a emporté son secret dans sa tombe... ces "Savoie" n'étaient pas mal non plus. Des gâteaux légers, doux, fondants... avec parfois une épaisseur de confiture au milieu lorsque l'envie lui venait.

Ces moments-là resteront gravés dans notre mémoire jusqu'à la fin. Nous avons essayé de cuisiner ses gâteaux, mais nous n'avons jamais réussi à obtenir le même gout. Ce qui me rend le plus triste en repensant à ces beaux souvenirs, c'est savoir que mes enfants ne pourront jamais gouter ces délices....


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