La tête dans les nuages

Hier encore j'avais la tête dans les nuages, le soleil était là, l'été arrivait enfin, la chaleur réchauffait l'atmosphère, nos maisons, nos corps, nos humeurs. Le mois de juin était là, avec lui les anniversaires de mes hommes, la première fête de l'école de mon petit garçon devenu grand.

J'allais mieux, physiquement et psychologiquement. On a enfin commencé à diminuer mon traitement. Pas de symptôme de sevrage pour l'instant, ouf. Bon, mon mari a trouvé que je m'étais peut-être énervée un peu plus vite que d'habitude sur mes deux petits garçons qui jouaient à lancer leurs couverts plein de nourriture par terre. A tous ceux qui arrivent à garder un calme olympien dans ces situations-là, chapeau bas !

Hier encore, j'avais la tête dans les nuages, et l'inspiration au bout des doigts. J'écris beaucoup ces derniers temps, l'inspiration me vient peut-être plus facilement, les phrases sortent naturellement, les idées sont présentes. Ces écrits, biographiques ou fictifs, me semblent cathartiques. Je laisse à travers eux une partie de ma peine, de mes troubles, de mes questionnements, de mes angoisses, de mes peurs les plus profondes...

Hier encore, j'avais la tête dans les nuages.


Et ce matin, j'ai la gueule de bois. Assez ironique de la part de quelqu'un qui ne boit pas d'alcool. Mais comment décrire autrement ce sentiment de déchéance, de chute vertigineuse, de mal de crâne entêtant, cette envie de vomir le monde, l'actualité...

Je ne comprends pas. Alors non je ne suis pas blonde (enfin si mais capillairement naturelle), je ne suis pas stupide, je suis tout à fait capable d'expliquer ce qui a fait émerger et prospérer cette haine pendant ces vingt dernières années. Les faits, les actions, les phrases sont là.

Mais je ne comprends pas. Hier encore, enfin, soyons plus précis avant-avant-avant-hier, nous célébrions les 80 ans du débarquement. Nous célébrions les vies que ces milliers de jeunes gens ont accepté d'offrir, de sacrifier pour notre pays, pour notre avenir, pour notre liberté. Nous avons rendu hommage à ces vétérans, centenaires ou presque, revenus sur les lieux de leur courage incroyable.

Alors comment est-ce possible ? Je ne comprends pas.

Où étaient-ils, ces électeurs, pendant ces cérémonies d'hommage à Gold Beach, à Omaha Beach ? Pour les ignorants ou amnésiques, Gold Beach est la plage où débarquèrent principalement les Britanniques et là où ils ont construit un port artificiel comme base arrière de support, ravitaillement.... Omaha Beach est la plage où débarquèrent les Américains, surmontée d'un cimetière, immense lieu de mémoire où sont magnifiquement alignées les croix blanches (ou autres symboles religieux) sur des centaines de mètres, quel que soit l'endroit où notre regard se porte. Ils n'ont jamais dû y mettre les pieds, ces électeurs.

Comment est-ce possible ? Je ne comprends pas.

Allons-nous reproduire la même absurdité ? Faire de l'extrême droite la première force parlementaire du pays ? Obliger le président à nommer chancelier, pardon, premier ministre un dirigeant d'extrême droite ? A tous ceux qui me diront que ce n'est pas la même époque, pas les mêmes partis, pas les mêmes idées, je répondrai que, malheureusement si, nous sommes face à la même situation. Nazi, surnom donné au NSDAP, parti national socialiste du travail qui mentait aux électeurs (bon d'accord, tous les partis le font...) pour obtenir le maximum de voix et mettre en place une politique raciste aboutissant au plus grand génocide de l'Histoire...

Comment est-ce possible ? Je ne comprends pas.

Je me souviens encore de ce lundi matin, cours d'histoire au collège, il y a vingt-deux ans, avec cette prof, qu'on n'aimait pas trop d'habitude. Ce jour-là, elle a oublié son devoir de réserve, de neutralité, et a pris une heure pour nous expliquer la gravité de la situation, qui était le chef de ce parti, pourquoi les camps de concentration et d'extermination n'étaient pas des détails de l'histoire. Aucun collégien n'a critiqué son intervention, aucun parent n'est venu porter plainte, tout le monde a plutôt applaudi son initiative. Que les temps ont changé.


Ce matin, j'ai la gueule de bois, et j'ai peur.

J'ai peur pour l'avenir de mes enfants.

J'ai peur pour mes proches.

J'ai peur pour mes amis, ma famille, mes collègues, mes connaissances.

J'ai peur pour des inconnus.


Hier encore, j'avais la tête dans les nuages. Mais ça, c'était hier.


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top