7- Si seulement
Cher Journal,
Cela fait longtemps que j'ai su que la vie n'avait pas été un cadeau pour moi. Nombreux furent à me dire que vivre était une chance, tout ça, mais moi, elle ne m'a apporté que du malheur, et chaque jour je pris pour que la mort m'emporte.
Dès qu'on me mit au monde, je compris que ma vie n'aurait rien de joyeux. Ma mère biologique me plaça en orphelinat, et je n'eus aucun souvenir d'elle. Aucune image, aucun nom. Rien.
A quatre ans, personne n'était encore venu me chercher, et j'étais toujours à l'orphelinat. Un lieu immense, pauvre, où flottait une odeur âcre et atroce que je détestais. Les personnes qui s'occupaient de moi étaient froides, distantes, toujours en colère, m'accusaient tout le temps de leur être un fardeau... "Fallait pas travailler dans un orphelinat alors !" avais-je envi de leur hurler. Mais je m'abstenais.
Alors que je devins la seule fille sans famille dans cet établissement pauvre, une famille de France me délivra de cette prison en Chine, et je pris l'avion. Enfin ! Jamais je ne me suis senti aussi libre. J'avais l'impression que des ailes me poussaient, et que j'allai pouvoir prendre mon envol... Ma famille adoptive ne roulait pas sur l'or mais avait l'air d'une famille aimante. Ils m'appelèrent Apolline. Sans frère ni sœur, je commençai ma nouvelle vie...
Hélas. Je pensais que mon calvaire était terminé, mais loin de là. Arrivée en dernière année d'école Maternelle, j'étais nouvelle. Je ne parlais pas français, les élèves se moquaient de moi et de mon physique, la maîtresse commença à me défendre et on me traita de chouchou... Chaque matin, je pleurais pour montrer à mes parents adoptifs que je ne voulais pas aller à l'école, mais aucun n'avait le temps pour moi. Je les aimais, ils m'aimaient, mais n'avaient pas le temps pour gérer une crise de gamine. Alors je supportai, chaque jour, les moqueries des autres, et la solitude, dont j'étais déjà bien habituée.
Je rentrai à l'école élémentaire, et me fit une amie, Klara. Je ne maitrisais pas parfaitement le français, mais mieux qu'avant, et je m'intégrai plus facilement qu'en Maternelle, bien que les moqueries persistaient.
Ah la la Journal ! Penses-tu que j'avais enfin trouvé le bonheur, en France, dans la ville de Bordeaux ? Loin de là, penses-tu !
Mon père adoptif mourut d'une grave maladie alors que j'allais avoir 7 ans. A l'époque, personne ne m'avait indiqué de détails, me jugeant trop jeune pour comprendre, mais plus tard je compris qu'un cancer lui avait arraché la vie.
Je perdis le sourire, m'enfermant dans un mutisme profond et une solitude sans borne. Klara tentait par tous les moyens de me redonner le sourire, mais celui-ci semblait m'avoir définitivement quitté. Ma mère adoptive s'inquiétait pour moi, m'emmena voir des gens qui allaient 'soi-disant m'aider', mais il n'y avait rien à faire.
Le temps passa. Je parlais mais ne riais plus. Mon entourage avait appris à vivre avec.
Et puis...vint le déménagement de Klara, ma seule amie, ma seule confidente, la seule fille qui voulait bien de moi, qui était venu me parler en classe, qui avait bien voulu manger avec moi à la cantine... Étant obligée de suivre son père pour le travail de celui-ci, elle quitta la ville.
Alors que je pensais que ma vie ne pouvait pas être plus pire, justement, le pire arriva. A cause de cette foutue technologie ! Si j'avais vécu au Moyen-Age ou même à la Renaissance, jamais je n'aurai eu cet accident...
L'as-tu deviné, Journal ? Oui, c'est bien cela. Un accident de voiture. Une brute qui me fonça dessus, et l'amputation de mes deux jambes.
Paralysée. Je me souviens encore de cette journée, pareille à un cauchemars, quand on m'annonça que je serai paralysée. Handicapée à vie dans un fauteuil roulant. L'horreur.
A 8 ans, j'avais commencé toutes sortes de sport, me découvrant une passion pour ça. J'avais commencé à pratiquer l'endurance, la natation, le badminton et la gymnastique. J'aimais énormément courir, cette sensation de sentir le vent sur ton visage et me faisant voler mes cheveux noirs. Cette sensation qui me libérait de mon malheur, qui me permettait de me sentir libre... Oui, courir. J'aimais ça. Et pourtant, la vie dût m'arracher aussi cela. Aussi. C'était tellement trop. Jamais je ne me suis senti aussi déchirée.
Je restai plusieurs jours à l'hôpital après mon grave accident, alors que j'avais 10 ans. Ma mère était désespérée, pleurait sans cesse. Elle avait perdu son mari. Elle ne voulait pas me perdre aussi.
Elle restait avec moi pendant chaque journée dans ma chambre d'hôpital. Je lui demandai pourquoi elle n'allait pas à son travail, mais elle me disait qu'elle me tenait compagnie, que j'étais plus importante.
Elle me parlait, me racontait des histoires. La rencontre de Jean, mon papa adoptif, et leur envie de faire un bébé. Mais ma mère ne pouvait pas en faire. Et ils avaient décidé d'adopter.
- C'est très dur d'adopter un enfant, m'avait-elle dit, ça prend énormément de temps. Aussi, c'est pour ça que tu avais quatre ans quand on te vit en vrai pour la première fois, bien qu'on ait eu l'idée de ce projet des années auparavant.
Elle me souriait, essayait de me faire rire. Je savais qu'elle s'efforçait de me changer les idées. Je tentai de lui faire plaisir, m'efforçai de l'écouter avec attention et de lui rendre son étreinte quand elle me prenait dans ses bras... Mais mes pensées dérivaient. Je me faisais un bilan de ma triste vie. L'orphelinat pendant 4 ans, l'adoption, les moqueries à l'école, la mort de mon père, le déménagement de ma seule amie, et enfin mon accident m'amputant les deux jambes, étant alors destinées à finir handicapée dans un fauteuil roulant à vie. La vie de tous les enfants n'étaient pas toutes aussi horribles, j'en étais consciente. A chaque fois que j'entendais des enfants se plaignant d'un problème sans intérêt, j'avais envi de leur hurler dessus, de les étrangler. Ils ne savent pas. Ils ignorent. Ils ignorent ce qu'est le vrai malheur.
OK je suis vivante, OK je vais encore vivre longtemps, mais la vie m'a tout - ou presque- arraché. Mon père, mon amie, mes jambes, mes rêves...
J'ai à présent 14 ans. Cela fait 4 ans que je suis en fauteuil roulant. Quatre années, longues et interminables, où j'ai l'impression que chaque journée en dure le double.
La rentrée après les vacances de Noël a repris. Je suis en 3ème. Dessinant distraitement sur mon agenda, on entend alors la sonnerie annonçant la fin des cours. Je te range dans mon sac et tente de sortir de la salle d'anglais, poussant sur le côté les nombreuses chaises sur mon passage qui n'ont pas été rangé correctement. Même le prof sort de la pièce, sans un regard vers moi, sûrement pour aller se chercher un café... Je lui lance un regard haineux dans son dos. Évidemment, personne ne propose de m'aider, et tous sortent de la pièce en se bousculant. J'ai l'habitude. C'est comme ça depuis toujours. Depuis que Klara est partie à l'autre bout de la France, on ne s'est pas revu. Elle fut ma première, ma dernière et mon unique amie. En tout cas, pour l'instant. Mais rien n'a changé depuis son départ. Je suis toujours aussi seule, aussi solitaire, aussi silencieuse. Je souffre, aussi, mais à l'intérieur. J'ai dis adieu à mes courses folles dans l'herbe, quand ma mère adoptive et moi allions chez ma grande tante à la campagne. Adieu à mes courses sans objectif parmi les champs de fleurs, sur la plage, sur les trottoirs. Et surtout j'ai dis adieu à mes carrières de sport. Je rêvais de faire les jeux olympiques... Un rêve parmi tant d'autres qui ne se réaliseront jamais.
Maussade, je tente de pousser une chaise particulièrement mal placée, quand je sens une roue de mon fauteuil se coincer entre deux pieds de table. Je pousse, tente de la libérer, mais en vain. Et le passage est trop étroit pour que je puisse reculer. Agacée, je donne un coup sur la table. J'en ai marre ! De ce handicap, de ma vie, de tout ! Des larmes de rage se mettent à couler sur mes joues. Je me sens impuissante, minable, nulle, handicapée... Je me rappelle les tant de fois où j'ai souhaité ma mort... J'aimerai tellement mettre fin à ces jours sans fin, remplis de solitude et de désespoir, sans plus avoir à me préoccuper de ma santé, de subir l'ignorance de tant d'élèves, de voir la pitié dans le regard des adultes, de regarder ma mère pleurer si souvent, et de me rappeler, tout le temps, chaque jour, les souvenirs que je déteste que j'ai de ma vie.
Et elle a seulement commencé.
Je n'ai que 14 ans. A la pensée que encore tant d'année m'attendent, mes larmes redoublent. Si seulement tout cela n'était que cauchemars. Si seulement tout ça ne s'était jamais passé. Si seulement le cancer n'existait pas. Si seulement Klara n'avait pas déménagé. Si seulement il n'y avait pas eu cette voiture, là à ce moment là... Si seulement je pouvais refaire ma vie, ou y mettre un terme...
Si seulement...
-Juillet 2018-
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